ÉducationJustice

Par Audrey Savournin, le 21 février 2024

Journaliste

Quand les avocats vont à la rencontre des lycéens

Durant deux heures, une à deux fois par mois, un avocat reçoit les élèves qui le souhaitent au sein du lycée. Qu'ils soient victimes ou mis en cause. @ Photo d'illustration Pixabay
Pour améliorer laccès au droit des adolescents, le barreau des Hauts-de-Seine expérimente depuis septembre 2022 des permanences davocats denfants régulières dans quatre lycées du département. Confidentielles et gratuites.

Un avocat dans un lycée, c’est peu commun – en dehors d’événements spécifiques comme la Journée des droits de l’enfant. Mais dans quatre établissements des Hauts-de-Seine, c’est devenu une habitude. À Simone-Veil (Boulogne-Billancourt), Joliot-Curie (Nanterre), René-Auffray (Clichy) et Michelet (Vanves), un avocat est présent une à deux fois par mois, pendant deux heures. Il y dispose d’un bureau pour recevoir les élèves, gratuitement et en toute confidentialité, avec ou sans rendez-vous.

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Le barreau des Hauts-de-Seine organise des permanences au tribunal. Mais elles attirent peu les mineurs. @DR

« Le barreau des Hauts-de-Seine avait mis en place des permanences pour enfants au tribunal : « Mercredi, j’ai avocat » (voir bonus), retrace la bâtonnière Me Isabelle Clanet dit Lamanit, elle-même avocate d’enfants (voir bonus). Et on a constaté que ce n’était pas facile daccès pour eux, notamment parce que cest très sécurisé. On a donc réfléchi à se délocaliser vers des centres de vie des plus jeunes et on sest orienté vers le milieu scolaire. » Le barreau finance en grande partie le dispositif, avec une petite aide du Centre départemental de l’accès au droit. Il a signé une convention avec l’Inspection académique pour chaque établissement retenu.

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La bâtonnière Me Isabelle Clanet dit Lamanit, à l’origine de “Mercredi, j’ai avocat” et de ces permanences. @ DR

Avec ou sans rendez-vous

«Puisque les mineurs venaient difficilement à nous, on est allés aux mineurs », rebondit Me Ariane Ory-Saal, présidente de la commission droits des enfants au barreau. Et de poursuivre : « On voulait de gros établissements, avec des problématiques, pas un établissement privé de Neuilly. Pour se rapprocher dune population qui a encore moins les moyens daller seule vers les droits. » Elle-même participe ponctuellement à ces permanences, comme peuvent le faire les 76 membres de la commission. Tous candidats.

Concrètement, un avocat présente la permanence à une partie des élèves, explique le rôle d’un avocat d’enfants, les sujets abordés, les créneaux de présence… Des affiches sont placardées çà et là. Puis les lycéens peuvent choisir de le rencontrer spontanément ou de prendre rendez-vous. Chaque établissement a défini son mode de fonctionnement : inscription sur un cahier disponible à la « vie scolaire » pour certains, via l’application permettant les échanges avec la communauté éducative pour d’autres.

“1001 problématiques”

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Beaucoup de mineurs ont besoin de l’aide d’un juriste. @ DR

« Cela marche mieux dans certains établissements que dans dautres, reconnaît Me Ory-Saal, sans avoir encore identifié la formule parfaite, cest encore en rodage. Le manque de confidentialité dans la prise de rendez-vous, parfois, est clairement un frein. Mais les établissements jouent le jeu et ça ne peut que fonctionner. Quand on intervient lors de débats, ils ont toujours énormément de questions… Et ils sont très nombreux à avoir des problèmes, que ce soit de harcèlement, de réseaux sociaux, dans leur famille… Quil sagisse de droits de visite, daddiction, de violences conjugales, voire intrafamiliales… Il y a 1001 problématiques. En permanence jai tout eu : « je recherche un stage dans un cabinet », « je voudrais devenir avocat », « mon oncle frappe ma tante »… »

> (Re)lire notre article : Un bus pour rapprocher le Droit et les citoyens
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“C’est important que les mineurs sachent qu’ils ont le droit d’être accompagnés d’un avocat”, insiste Me Clanet dit Lamanit.  @ DR

« Pas mal denfants sont en souffrance à cause de problèmes juridiques, souvent dans le cadre de séparations, prolonge Me Clanet dit Lamanit, parfois ils se retrouvent détenteurs dun secret, en détresse psychologique… Ils doivent savoir quils ont le droit dexprimer leur opinion devant le juge aux affaires familiales, dêtre accompagnés dun avocat et d’être ensuite suivis par cette personne…

Cest important aussi quils sachent quils peuvent être accompagnés lors dun conseil de discipline où lenfant se retrouve souvent paralysé, seul avec un parent, face à une quinzaine de personnes appartenant toutes à la même institution. Cest très rare que la famille se fasse assister. Par méconnaissance et par manque de moyens financiers. Ce nest pas dans le budget de laide juridictionnelle. Du coup, cest une zone de non-droit. »

Favoriser laccès au droit

Qu’on ne s’y trompe pas pour autant, l’objectif de ces permanences « nest ni de conflictualiser ni de judiciariser. Mais bien de favoriser laccès au droit » insiste Me Ory-Saal.  « Sils ne connaissent pas leurs droits, ils ne peuvent pas les exercer et ces droits nexistent pas. Un enfant peut avoir son avocat, qui est tenu par le secret professionnel. » Elle le rappelle dans une courte vidéo (ci-dessous) dédiée aux lycéens pour présenter ces permanences. Elle y précise également que les avocats y accueillent les victimes, mais aussi les mineurs mis en cause. Et qu’ils pourront aborder de nombreux sujets. « Cest tout un bouleversement culturel » conclue la bâtonnière. En espérant pouvoir bientôt l’amorcer dans d’autres lycées, mais aussi dans des collèges. ♦

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Bonus
  • Les avocats d’enfants. La notion est apparue avec la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Cela a donné lieu à une structuration au sein des barreaux, en groupement, association ou commission. La mention est ensuite apparue en 2022. Tout enfant en âge de discernement (à partir de 7-8 ans) a droit à un avocat. Ce sera le même durant toute sa minorité.
  • D’autres consultations gratuites. Le barreau des Hauts-de-Seine a également mis en place une ligne téléphonique et un mail spécifiques. Dédiés aux droits des enfants. Dans les faits, ce sont surtout des adultes qui y ont recours, pour des enfants. On peut y prendre rendez-vous pour une permanence gratuite dans le cadre de « Mercredi j’ai avocat ». Ou demander un bon pour une consultation gratuite chez un avocat d’enfants proche de chez lui. De nombreux barreaux proposent ce type d’aide.