Agriculture

Par Frédérique Hermine, le 26 février 2024

Journaliste

« Les vins bio répondent à la tendance du boire moins mais mieux »

Rayon vin bio GD ©F.Hermine
Sur un marché bio en net recul ces derniers mois, les vins bios sont épargnés même si les conversions commencent à marquer un coup d’arrêt. Les consommateurs commenceraient-ils à s’intéresser à leur santé et à leur environnement ? quelle garantie que les vins bios sont bios ? Décryptage avec Nicolas Richarme, président de SudVinBio, l’interprofession des vins bios d’Occitanie, première région productrice de France.

Sur un marché bio en souffrance pour l’agroalimentaire, les vins bios continuent à progresser. Comment l’expliquez-vous ?

Les vins bios sont en effet toujours en progression de 6 % en chiffre daffaires, 1 % en volumes. Cette dynamique est surtout imputable à la forte proportion de ventes directes dans notre commercialisation, près de 30% en moyenne avec des consommateurs fidèles. A l’inverse, la grande distribution où les ventes de vin sont en général en fort recul ne représente qu’une faible part (moins de 10 %). Ces cinq dernières années, les surfaces de vignes en bio ont doublé. Elles dépassent désormais 170 000 hectares en France, soit 21,5% de la superficie dont environ un tiers encore en conversion. Environ 12000 vignerons sont concernés*.

Une offre supérieure à la demande peut-elle être une situation pérenne ?

« Les vins bios sont meilleurs pour la santé et pour l’environnement » 1
Nicolas Richarme, président de SudVinBio ©DR

La progression ces dernières années n’est effectivement pas suffisante pour absorber tous les volumes qui arrivent sur le marché suite aux nombreuses conversions, notamment de jeunes viticulteurs. Ils ont donc l’impression que la demande arrive à saturation. Mais le bio a toujours fonctionné par pallier. On ne va pas se plaindre de cet engouement pour une viticulture plus écologique et durable. Le nombre de viticulteurs « prêts à y aller » ne sera pas en développement exponentiel et le marché se régulera naturellement. De fait, le nombre de conversions va forcément ralentir. Il faut donc s’attacher à sensibiliser davantage de consommateurs avant de produire plus.

Quels arguments avancez-vous aux consommateurs encore septiques au sujet des vins bios?

« Les vins bios répondent à la tendance du boire moins mais mieux » 2
Vignoble bio alsacien ©F.Hermine

Ils sont avant tout meilleurs pour la santé et pour l’environnement. Ils répondent aussi à la tendance du boire moins mais mieux. Un vin bio suit un cahier des charges rigoureux. Il interdit les produits chimiques de synthèse en vigne avec de fortes restrictions en cave comme pour les sulfites. Ceux-ci sont limités à 100 mg/l. pour les rouges et même 70 mg pour les vins en biodynamie au lieu de 150 pour les vins conventionnels. En évitant les intrants, nous protégeons ainsi les ressources en eau et les paysages. Pour être sûr qu’un vin bio est bio, il doit être certifié par le logo AB ou Eurofeuille sur la bouteille avec le nom de l’organisme certificateur qui contrôle la production. 

Est-ce qu’un vin une fois certifié l’est définitivement?

« Les vins bios sont meilleurs pour la santé et pour l’environnement »Un vin bio n’est certifié que pour une année, pour une seule récolte. Il est contrôlé par un organisme indépendant, une fois par an minimum sur place. Ce contrôle consiste en contrôles visuels, en analyses de feuillages, de raisins et des prélèvements dans les cuves. Il s’agit de vérifier si il n’y a pas de résidus de pesticides. L’exploitation est également soumise à des contrôles inopinés une à deux fois par an pour s’assurer qu’elle fait les choses dans les règles. Quand on n’est pas dans les clous, ce qui arrive rarement, une commission étudie la possibilité de contamination croisée par un voisin qui aurait pulvérisé plus loin que son vignoble. Dans ce cas, le vin doit être commercialisé en conventionnel. Pour les années à forts aléas climatiques, il ne peut y avoir de tolérance : on respecte ou non le cahier des charges, sinon ce serait trop facile. Il faut d’ailleurs accepter de perdre une récolte sur cinq en moyenne. 

C’est ce qui fait le surcoût de production ?

« Les vins bios répondent à la tendance du boire moins mais mieux »
Millésime bio ©F.Hermine

Il est en effet évalué en moyenne entre 20 et 30%, à cause des pertes de récolte. Mais aussi parce qu’il nécessite 1,5 fois plus de main d’œuvre. Nous nutilisons pas de produits de synthèse ni dherbicide. Donc beaucoup de choses doivent se faire à la main. Cela implique de passer plus souvent dans ses vignes pour un suivi technique pointu, très chronophage. Comme les traitements autorisés, tels cuivre et soufre, sont lessivables, il faut repasser après chaque pluie. Mais on ne peut pas répercuter l’intégralité de ce surcoût sur les prix des ventes. On répartit donc les charges autrement.

Le cuivre est justement souvent pointé du doigt par vos détracteurs. Est-il un danger pour la santé des consommateurs ?

Gabriel & Co, premier acteur viticole en France labellisé Fair for Life
Raisins ©Stéphane zamanski

Le cuivre est en effet utilisable en bio et en conventionnel. Mais les bios ont une limite beaucoup plus faible, contrôlée tous les ans. On ne peut pas dépasser 28 kg sur 7 ans. Son utilisation, notamment contre le mildiou [un parasite de la vigne], est extrêmement raisonnée grâce à des connaissances techniques de plus en plus pointues car elle coûte cher. La vigne a besoin de ses oligoéléments qui sont des substances naturelles, dégradés quand on travaille les sols. Nous avons fait des analyses de sols sur les vignes en bio depuis les années 70. Et il n’a pas été constaté daccumulation. Il faudrait en mettre beaucoup plus pour ça. À raison de 4 kg par an en moyenne et certaines années et on en est loin, on ne risque rien. C’est un faux procès de la bio. Et pour compenser notre bilan carbone, on travaille sur le réemploi et l’allègement des bouteilles, le recyclage…

Les règles du bio sont-elles très différentes d’un pays à un autre ?

« Les vins bios répondent à la tendance du boire moins mais mieux » 3
vins bios dégustation ©F.Hermine

Nous avons une certification européenne commune. Mais libre à chaque pays d’être mieux disant. La France l’est toujours comme pour le cuivre avec une limite plus basse qu’en Espagne par exemple. Ces normes environnementales peuvent engendrer la colère de certains agriculteurs. Pour le consommateur, cest une bonne chose. Mais il faudrait que le viticulteur soit rémunéré pour le fruit de son travail afin d’éviter la concurrence déloyale qui vient surtout d’un problème de traçabilité. Hors Europe, chaque pays a sa norme et nous avons signé des reconnaissances d’équivalence avec certains pays comme les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, le Chili. En France, les vins bios n’ont pas vraiment de concurrents : on consomme à 99% français. Si près d’un tiers de nos vins bios sont aussi vendus à l’export, on manque de compétitivité sur les premiers prix comparés aux vins espagnols et italiens. Mais il n’est pas nécessaire de se battre sur ce créneau. Mieux vaut sintéresser aux vins que lon parvient à valoriser grâce à une belle aura de fiabilité et une image de sérieux.♦

Bonus

  • Qui consomme bio ? D’après une étude réalisée par le salon Millésime Bio et l’institut CSA en 2022**, le label bio apparaît le mieux identifié par les consommateurs de vin en matière de certification environnementale. 96% reconnaissent un label bio contre 39% le label HVE. 93% des consommateurs français identifient un label bio et savent ce qu’il signifie. 73 % seulement pour le label HVE. Dans le Top 10 des certifications environnementales, le label AB français arrive largement en tête (87%) suivi du label bio européen (62%). Loin devant la mention « sans sulfites ajoutés » (47%), Vegan (30%), HVE (27%), Vignerons Engagés (24%). Mais aussi Terra Vitis (19%), Demeter (18%), RSE (16%) et Vin Méthode Nature (15%). Les consommateurs européens interrogés estiment que « la famille des labels bio est la mieux positionnée sur des critères majeurs. Tels que la non-utilisation de produits chimiques de synthèse, le respect de l’environnement, la préservation de la santé et la fiabilité des contrôles ainsi que sur la qualité organoleptique ». Ces consommateurs estiment à 61% qu’il est justifié qu’un vin bio soit plus cher qu’un vin dit conventionnel.
  • (Re)lire Du bio pour sauver oliviers et autres arbres fruitiers
  • 39% de néo-acheteurs depuis un an. Selon l’étude du cabinet Circana spécialisé dans la consommation, réalisée fin 2023 : La vente de vins bios en grande distribution et dans les magasins spécialisés est en baisse, de 7 % sur chaque circuit. Les ventes en CHR et chez les cavistes sont en revanche à la hausse, respectivement de 12 et 8 %. L’étude affirme que les vins bios continuent de recruter avec 39 % de néo-acheteurs depuis un an, plus jeunes, citadins et sur des profils CSP variés. 32 % des personnes interrogées prévoient d’augmenter leurs achats de vins bios contre 12 % qui pensent les réduire. Les acheteurs de vin bio se disent d’abord motivés par des préoccupations environnementales (57 % pour le respect de l’environnement, 43 % pour des producteurs engagés). Ces critères précédent la confiance envers les produits et le souci de sa santé. Mais ils sont aussi 33 % à avouer qu’ils achètent de façon « passive », le bio n’étant pas le premier critère de l’achat (plutôt sur un conseil ou par goût de ce vin). Les vins bios représentent un vin sur quatre consommés hors domicile, surtout dans les restaurants. Loin devant les bars à vin et les brasseries. Les consommateurs estiment néanmoins qu’il y aurait des efforts à faire en termes de nombre de références dans la sélection. Et de mise en valeur sur les cartes des vins.
*Dans le top 6 en superficie, la Gironde, le Gard, l’Hérault, le Vaucluse, l’Aude et Var  (les quatre premiers pesant 45% des surfaces bio en France). L’Occitanie avec 35% des surfaces est leader et revendique près de la moitié en conversion.
** auprès d’un panel d’un peu plus de 4000 personnes dans quatre pays (France, Belgique, Royaume-Uni et Allemagne).