ÉconomieEnvironnement

Par Maëva Gardet-Pizzo, le 7 mars 2024

Journaliste

Grâce au bambou, une startup fait des eaux usées une ressource

L’efficacité du bambou serait dix fois supérieure aux plantes couramment utilisées en phytoremédiation - dépollution qui recourt aux végétaux ©DR

Dans le monde, 80% des eaux usées seraient rejetées sans traitement dans la nature. Implantée à Aix-en-Provence, la jeune pousse Bamboo For Life a justement mis au point une technique pour les dépolluer, qui s’appuie sur le bambou. Une plante aux mille vertus, qui permet aussi d’absorber du carbone, de constituer des îlots de fraîcheur et de produire une biomasse valorisable de nombreuses manières.

C’est un problème de santé publique majeur. D’après l’ONU, 80% des eaux usées seraient rejetées sans traitement dans l’environnement. Drainant avec elles des particules de plastique, des polluants microbiens et autres traces médicamenteuses qui se diffusent le long des rivières, empoisonnant les écosystèmes et, forcément, les humains qui en font partie. De sorte que l’eau sale serait à l’origine de 1,7 million de décès par an dans le monde, la moitié concernant des enfants.

Pour éviter cela, il est possible d’installer des stations d’épuration. Mais celles-ci sont coûteuses. Elles exigent en outre un approvisionnement constant et fiable en électricité ; un luxe dans de nombreuses parties du globe. Par ailleurs, ces stations génèrent des boues qu’il faut encore traiter. Preuve s’il en fallait que l’économie extractive, souvent linéaire, aboutit généralement à des impasses. Mais à Aix-en-Provence, une entreprise a trouvé une solution directement inspirée de la nature, dans laquelle rien ne se perd et tout se transforme.

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Bernard Benayoun, cofondateur de Bamboo For Life. @DR

Phytoremédiation par le bambou

À l’origine, un binôme composé de Bernard Benayoun et Myriam Lankry. Depuis 2002, tous deux s’intéressent à la phytoremédiation. Utilisée depuis les années 1970, celle-ci définit des modes de dépollution par les plantes, généralement des arbres, en premier lieu saules et peupliers.

Mais le tandem d’entrepreneurs découvre qu’une autre plante, issue de la famille des graminées, présente de sérieux atouts en matière de dépollution des eaux. Il s’agit du bambou, dont l’efficacité serait dix fois supérieure aux plantes couramment utilisées en phytoremédiation.

Efficace car le bambou est une plante vorace, capable, dans les régions tempérées, d’atteindre une vingtaine de mètres en seulement deux à trois mois. Pour cela, il absorbe d’importantes quantités de nutriments que ses rhizomes peuvent aller puiser jusqu’à six mètres sous le sol. Des nutriments que ses racines extraient justement des eaux usées dont elles décomposent les molécules polluantes, les mettant ainsi hors d’état de nuire. De sorte que ces eaux ne constituent plus un déchet, mais bien une ressource.

Une plante créatrice de valeur économique

Une ressource pour le bambou, mais aussi – et c’est ce qui nous intéresse- pour l’homme. Car cette plante constitue une biomasse rapidement renouvelable qui peut être valorisée de nombreuses manières. « Il existe de nombreuses filières qui valorisent le bambou. On l’utilise pour fabriquer des fibres textiles, du bois, de l’énergie, du charbon actif … », explique Benard Benayoum.

Et les vertus du bambou ne s’arrêtent pas là. Cette plante constitue ainsi un gourmand puits de carbone – elle peut absorber 60 tonnes de CO2 par an et par hectare. De plus, une partie significative de l’eau qu’elle absorbe est évapotranspirée, ce qui permet de générer des îlots de fraîcheur de plus en plus nécessaires face au réchauffement climatique, et particulièrement en milieu urbain. En milieu tempéré, la réduction de température générée par l’implantation de forêts de bambous oscille en effet entre 3°C et 8°C. En zone tropicale, on peut gagner entre 10 et 20°C.

C’est sur l’ensemble de ces atouts que s’appuient Bernard Benayoum et Myriam Lankry lorsqu’ils fondent Bamboo For Life en 2018. Concrètement, il s’agit d’installer des stations de phytoremédiation par le bambou. Des stations un peu plus volumineuses qu’une station d’épuration classique, mais qui exigent beaucoup moins d’électricité, et ne génèrent aucune boue d’épuration susceptible d’altérer l’environnement.

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Utilisé depuis des millénaires en Asie, le bambou est valorisable dans de nombreuses filières. Parmi lesquelles l’ameublement, la construction ou encore le textile. @DR

Une cinquantaine de stations

À ce jour, l’entreprise de cinq salariés a « installé une cinquantaine de stations. Nous traitons des eaux usées domestiques, agroalimentaires, mais aussi pharmaceutiques puisque nous traitons des effluents d’hôpitaux ».

Les différentes vertus du bambou offrent de potentielles sources de revenus qui permettent de financer l’installation des stations. « Nos stations génèrent une rentabilité intéressante. D’abord parce qu’elles génèrent peu de coûts. Ensuite parce qu’elles permettent de créer de la valeur à travers la vente de biomasse auprès de nos partenaires en circuit court. Enfin, parce qu’elles absorbent le carbone ». Et ce dernier peut être vendu sur le marché des crédits carbone.

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L’absorption de carbone et les îlots de fraîcheur comme nouvelles clés d’entrée

D’ailleurs, si l’argument premier de l’entreprise était au départ le traitement des eaux usées, celui de l’absorption de carbone attire de plus en plus de clients, tant l’enjeu est devenu prégnant. « Nous avons justement l’intention d’accréditer notre technologie sur ce volet pour mieux valoriser son potentiel ».

L’entreprise est également parfois sollicitée pour la mise en place d’îlots de fraîcheur. Elle a pour cela développé sa Bioclimatique Bamboo Box, dite B3, un dispositif clé en main qui permet de faire baisser la température en milieu urbain tout en traitant des eaux usées.

Présente en France, l’entreprise est aussi parvenue à séduire des clients à l’international. Notamment dans des régions chaudes où le bambou s’épanouit davantage encore. « Nous avons des projets en Afrique et au Moyen-Orient ».

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Pour renforcer sa force commerciale et sa recherche et développement, la société veut lever 5 millions d’euros en deux temps. @DR

Ouvrir le capital pour pousser plus vite

Des marchés sur lesquels la startup voudrait accélérer, convaincue du potentiel de sa solution. « Nous avons donc décidé d’ouvrir notre capital dès cette année, et de lever 5 millions d’euros en deux temps ». De quoi renforcer l’équipe commerciale tout en poursuivant les efforts de recherche et développement. « Nous travaillons sur les pollutions industrielles et cherchons à optimiser leur pré-traitement afin de pouvoir traiter plus de quantités sur de plus petites surfaces ».

Un travail qu’elle compte mener depuis le très boisé Technopôle de l’Arbois, près d’Aix-en-Provence, auquel Bamboo for life reste profondément enracinée. « L’ancrage local est très important pour nous. Le technopôle nous accueille, nous aide à nous structurer, nous soutient dans notre développement. Il nous permet de faire des démonstrations locales et met à notre disposition de nombreux outils qui nous permettent de nous développer sereinement ». Ce, en interaction avec d’autres acteurs des technologies de l’environnement dans lesquelles est spécialisé le Technopôle ♦.

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