Économie

Par Paul Molga, le 16 août 2024

Journaliste

Comment Marsail défie le management avec ses voiles de compétition

Embarque à bord des cadres et dirigeants d’entreprises pour détecter les faiblesses de leur comportement collectif ©Marsail
[la rédac mouille le marcel]

Entre deux courses au large, Christopher Pratt est à la barre d’une entreprise de team building qui transmet aux managers son expérience de la navigation pour améliorer la cohésion de groupe et la prise de décision. Chez Marcelle, on croit dur comme fer au pouvoir mobilisateur des éléments et de la nature. On a testé une traversée dans la rade marseillaise où il opère. C’est en effet puissant…

Il y a peu de vent ce jour-là dans la rade de Marseille. Toutes voiles dehors, le Wind of Trust frôle tout de même les 30 nœuds. À tour de rôle, l’équipage hétéroclite de managers prend la barre avec un sentiment mêlé de fébrilité et de fierté. La bête affiche des mensurations de compétiteurs : 15,24 mètres de long pour autant de large, près de 250 mètres carrés de voiles au portant.

“Une expérience puissante”

Comment Marsail défie le management avec ses voiles de compétition
“Trraverser la tempête, garder le cap et veiller au grain font partie des métaphores communes” ©DR

Passées les premières secondes d’appréhension, on se laisse porter par des sensations inédites. Le trimaran se laisse dompter sans difficulté. La barre est souple. Elle se règle au centimètre pour trouver le vent.

Un coup d’œil sur les penons pour contrôler l’écoulement de l’air sur la voile, un autre sur le speedomètre. La coque décolle, portée par les foils. On glisse. On épouse les éléments en quête de la trajectoire parfaite. Le calcul fait place à l’instinct. On ressent chaque baisse de régime. On réajuste. Le plaisir est intime. La satisfaction totale quand la machine accélère. On vole en trouvant le geste parfait.

« C’est une expérience puissante. On voit tout de suite le résultat de nos prises de décision », témoigne Estelle Castets, ingénieure pédagogique chez Kedge Business School. « On se retrouve dans un environnement naturel qui n’a rien à voir avec nos habitudes professionnelles, amené à prendre des décisions rapides dans un environnement contraint. Ça évolue vite, très vite, et les parallèles avec le monde de l’entreprise se font naturellement », rapporte un autre participant, Thomas Rigolet, responsable du développement chez Razel Bec.

Métaphores navales

Comment Marsail défie le management sur ses voiles de compétition 1
Christopher Pratt ©-©DR

C’est que le couple skipper / bateau fait merveille. L’Ocean Fifty Wind of Trust, mis à l’eau en 2009, s’est illustré sur tous les plans d’eau, en transat et grands prix, et a été régulièrement optimisé, par exemple pour la Route du Rhum, jusqu’à battre le record du tour de la Martinique à la voile en 2022 aux mains de Gille Lamiré. Christopher Pratt, 43 ans, en a pris la barre l’année suivante. « Chris est un des marins les plus talentueux de sa génération. Il est accrocheur, méthodique et rigoureux, avec une vision analytique de la course au large et des qualités de fin régatier », décrit de lui le skipper Jérémie Beyou. Le garçon n’a peur de rien, selon l’entraîneur Henri Giraud. Et surtout pas du monde l’entreprise où traverser la tempête, garder le cap et veiller au grain font partie des métaphores communes.

Aux commandes de la société Marsail avec sa compagne Amandine Deslandes, il embarque à son bord des cadres et dirigeants d’entreprises pour détecter les maillons faibles de leur comportement collectif qui tirent l’organisation vers le bas. « Impossible de se cacher sur un bateau. La navigation perturbe les repères sensoriels et oblige à sortir de sa zone de confort », explique Amandine. Ainsi mis à nu, les participants dévoilent leurs savoir-être, ou soft skills, pour comprendre ce qui ne va pas et agir plus efficacement sur la cohésion de groupe.

Miroir grossissant

Comment Marsail défie le management sur ses voiles de compétition 2
« Se mettre d’accord sur un langage commun » ©DR

Invité à participer à une régate avec son comité de direction, un chef d’entreprise, posté à l’avant du navire, s’est rendu compte que l’équipage n’entendait pas ses consignes, qu’il dictait à la mer devant lui. « J’ai pris conscience de mes erreurs de communication. Quand je parle désormais, je regarde mes interlocuteurs en face », témoigne-t-il. Une autre équipe a débattu plusieurs minutes sur le cap à suivre avant de se rendre compte, trop tard, que leur bateau avait opéré un demi-tour tout seul. Traduction en langage entrepreneurial : gare à ne pas perdre de vue son environnement concurrentiel dans des réunions interminables.

« La communication est vitale, à bord comme dans une entreprise », explique Christopher Pratt. Ce coureur qui est monté plusieurs fois sur le podium de la Transat Jacques Vabre a été l’un des premiers à s’intéresser au sujet en modélisant la prise de décision des grands navigateurs, à l’occasion d’un travail pour son master en psychosociologie en 2010. Une simple erreur de sémantique suffit à semer le doute. Sur un bateau, les directives sont normées et toujours accompagnées d’un accusé de réception. Exemple : « Prêt à barrer ? ». Réponse : « Oui ». « Se mettre d’accord sur un langage commun dans l’entreprise permet d’éviter les interprétations », enseigne le skipper.

À bord comme dans l’entreprise

C’est particulièrement vrai pour l’intégration d’un nouvel employé. À bord, comme dans l’entreprise, on n’accueille pas une recrue sans la familiariser pas à pas à son organisation. Une erreur que reconnaissent pourtant beaucoup de clients de Marsail quand ils sont tenus de prendre en main le bateau, alors qu’ils n’ont pour la plupart jamais navigué. L’effet miroir est imparable. « Ils comprennent que cela nécessite de s’organiser par palier en décryptant la prise en main de chaque poste », reprend Amandine Deslandes. Dans une société de plus en plus sensible aux valeurs, ses clients affectionnent l’approche. Ces deux dernières années, l’entreprise a vu son activité quadrupler. ♦

[cet article a été initialement publié le 28 mars 2023]