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En Lozère, un blue-jean très green relance la filière
Selon l’Ademe, l’industrie du textile arrive en troisième position des industries les plus polluantes au monde. Et la fast fashion produit 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Face à ce constat, des initiatives émergent un peu partout pour relancer des filières plus responsables sur le plan environnemental. En 2016, Julien Tuffery a ainsi racheté l’atelier de confection de jeans fondé par son arrière-grand-père en Lozère. Visionnaire et audacieux, le couple qu’il forme avec sa femme Myriam opte pour une approche éthique de la mode. Participant pleinement à la relance de tout un secteur textile local, il planche aussi sur des solutions alternatives au coton.
« Recherche une ou un berger amoureux des bêtes et de la conduite des troupeaux ». L’annonce a été postée sur les réseaux sociaux en février dernier. Et les retours ont été nombreux. Mi-avril, Julien Tuffery, à l’origine du communiqué, a déjà sélectionné le gardien de son futur élevage d’ovins sur le Causse Méjean. C’est là, au cœur des terres familiales maternelles, que le trentenaire va réaliser un vieux rêve : celui de produire de la laine de brebis Mérinos. Les bêtes devraient arriver en fin d’année. La première collecte de laine s’effectuer en 2025.
« L’idée est d’être maître à 100% d’une laine de qualité qui servira à la confection de nos jeans et de nos autres articles vestimentaires », confie le jeune et dynamique chef d’entreprise. Ceux qui le connaissent savent que ce n’est pas du pipeau. Julien Tuffery ne parle jamais en l’air. Des rêves et des projets, sa femme Myriam et lui en ont réalisé plus d’un, avec courage et obstination.
Tous deux ingénieurs, ils ont fait fi d’une carrière toute tracée pour reprendre la plus ancienne fabrique de jeans de France, située à Florac en Lozère. Pas n’importe laquelle toutefois. Celle qu’ils ont rachetée en 2016 a été créée en 1892 par Célestin, l’arrière-grand-père de Julien. « Il taillait des pantalons dans des bâches agricoles résistantes, en toile de coton, pour les travailleurs de la ligne de chemin de fer traversant les Cévennes ».

Apogée après-guerre et production très confidentielle avec la mondialisation
Célestin comprend très vite le potentiel de la toile qu’il va chercher à Nîmes, à une bonne centaine de kilomètres de son atelier. Il transmet à son fils Jean-Alphonse le métier et son savoir-faire. Ce dernier va assoir la renommée de la maison Tuffery en rendant le jean indispensable, tant dans le placard des messieurs que dans la garde-robe des dames. L’entreprise est à son apogée dans les années 60 et 70 et son sérieux irrigue l’Hexagone. Jean-Jacques, Jean-Pierre et Norbert, qui ont rejoint leur père dans l’aventure, sont aussi les artisans de ce succès.
Tuffery est une marque à part entière et, par ailleurs, à l’atelier, on confectionne également des jeans pour les grandes maisons parisiennes. Mais, avec la mondialisation et le déclin de l’industrie textile française, la production s’essouffle jusqu’à devenir quasiment confidentielle. Les trois fils de Jean-Alphonse s’accrochent. L’entreprise frôle le pire. Passe de 60 salariés à trois en quelques mois. Personne ne mise un kopeck sur le devenir de la fabrique cévenole.
Alors, dans les années 2010, quand Julien explique à son père Jean-Jacques et à ses oncles qu’il veut relancer la machine, ces derniers sont dans un premier temps très sceptiques. « Myriam et moi avons un immense respect pour les métiers artisanaux. En rachetant l’affaire familiale, nous souhaitions perpétuer un savoir-faire et privilégier le circuit court, la vente directe tout en œuvrant à la relance des filières de tissage, de filature… ».

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Des matières 100% françaises et locales et des paris sur l’avenir
Des investissements colossaux sont réalisés. Recréer des unités de fabrications écologiques et raisonnées, et toute une chaîne du textile sur un territoire ramassé n’est pas de toute simplicité. « C’est un pari sur l’avenir, le chemin le plus noble pour durer dans le temps », estime Julien Tuffery. Il se définit avant tout comme un « passeur » qui entend céder à ses successeurs dans quelques décennies « une entreprise pérenne et vertueuse autant sur le plan environnemental qu’humain ».
Cet état d’esprit et d’entreprendre passe par l’emploi de matières premières 100% françaises et locales, issues majoritairement de la région Occitanie ou des proches alentours. Les 14 tonnes de laine nécessaires à la production de 2023 proviennent ainsi d’une vingtaine d’exploitations agricoles de Lozère. « La laine est lavée en Haute-Loire, filée en Ariège, tissée dans le Tarn. L’impact carbone est moindre », relève Julien Tuffery, audacieux mais pas idiot. « On prend des risques. On fait des choix économiques coûteux. 80% des gens disent vouloir acheter français. Mais, en 2023, le « made in France » ne représentait que 3% des achats effectués ».
Myriam et Julien ont également misé sur la culture du chanvre en prenant une part très active dans la coopérative VigoCoop (bonus). Située dans le Tarn-et-Garonne, cette structure s’engage dans la construction de filières textiles locales et écologiques de la terre jusqu’au tissu. « Mon arrière-grand-père créait déjà ses vêtements en fibres naturelles. Ainsi, nous ne faisons que perpétuer cette pratique en utilisant le chanvre, alternative au coton, pour élaborer l’une de nos gammes de produits ».

Sont bannies de la maison les cadences infernales et la surproduction
La surproduction n’est pas du goût de la maison qui sort en moyenne chaque année 40 000 pièces vendues en France et à travers le monde sous l’étiquette Tuff’s. Car l’essentiel est de répondre à la demande en temps réel sans céder aux cadences infernales. « On produit moins vite, mais mieux. Il est hors de question de tuer nos collaborateurs à la tâche ! », insiste l’entrepreneur lozérien. Le bien-être des équipes prime sur tout. La trentaine de salariés, formés par la maison, est donc polyvalente afin d’éviter la lassitude et la routine. Chacun participe à l’élaboration des produits et a son mot à dire.

Depuis 2023, la maison s’est dotée d’un atelier ultramoderne de 2000 m2, tout en sobriété énergétique. En effet, cet investissement de 3 millions d’euros était nécessaire pour poursuivre les projets du couple d’entrepreneurs. « Les open-spaces et les locaux au confort optimum ne sont pas réservés aux grandes entreprises digitales. La machine à coudre a autant sa place dans le monde du travail que l’ordinateur », poursuit Julien Tuffery. L’atelier reprise et répare les jeans de ses clients. Et a mis au point un service d’achat et de vente de seconde vie.
La vente des produits se fait directement sur site ou en ligne. Puis les articles sont expédiés dans du carton recyclé par une entreprise de Toulouse. « On souhaite tout contrôler de A à Z. Pour plus de traçabilité et de relation de confiance avec le client. Pour éviter aussi que nos jeans soient vendus 500 euros dans les grands magasins », précise l’employeur, les yeux rivés sur la pendule. Car les journées de travail à l’atelier Tuffery commencent par du stretching et des exercices de respiration. Et les patrons n’y coupent pas. ♦

Bonus
- Virgocoop. En Occitanie, Johann Vacandare, cofondateur d’Enercoop, Mathieu Thiberville, spécialisé dans l’habitat écologique, Mathieu Ebbesen-Goudin, président de l’atelier Tissages d’Autan et Clémence Urvoy, animatrice socio-culturelle, ont décidé d’unir leurs forces pour créer en 2018 Virgocoop. Basée dans le Lot, cette société coopérative d’intérêt collectif (Scic) s’est donnée pour ambition de « redonner du sens au secteur textile en impliquant citoyens, agriculteurs, entreprises et collectivités autour d’une même mission : développer un secteur textile écologique, éthique et source de dynamisme pour les territoires ». Elle s’attache notamment à développer une filière chanvre en Occitanie.
Sur cette filière du chanvre, un récent article de la Gazette du Midi nous en dit plus et notamment le plus grand bien.
- Les jeans éco-responsables. Le média The Good Goods a publié sa “liste ultime des marques de jeans éco-responsables” : en coton bio, recyclés, upcyclés et fabriqués en France et ailleurs. Tuffery est dans leur liste, ouf !