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Par Paul Molga, le 18 avril 2024

Journaliste

Comment le futur mondial de la cancérologie se construit à Marseille

HalioDX est une des pépites de l’écosystème de recherche en immunologie marseillais ©DX
Depuis un an, la recherche phocéenne en immunologie bénéficie du label biocluster destiné à lui donner une envergure mondiale. Les contours d’un campus calqué sur le modèle à succès de Boston se dessinent. Il pourrait attirer plusieurs milliards d’euros de fonds propres et des dizaines de startup et de laboratoires. En ligne de mire : la stimulation de nos défenses immunitaires pour lutter contre les cancers et les maladies auto-immunes. Marcelle vous livre les clés pour comprendre les enjeux économiques.

Biocluster in progress. Un an après la labellisation de l’écosystème de recherche en immunologie marseillais, les contours de ce projet à 100 millions d’euros se précisent. Quatre plateformes techniques sont au cœur de ce dossier destiné à créer un écosystème de dimension mondiale dans la lutte contre le cancer et les maladies auto-immunes.

En 2027, un Centre de recherche clinique exploratoire, le C2IT


La plus importante prendra place à l’hôpital Sainte-Marguerite avec la construction d’ici 2027 du Centre de recherche clinique exploratoire, le C2IT, d’un montant de 50 à 60 millions d’euros. Proche de l’Institut Paoli Calmette spécialisé en cancérologie, il doit servir de pôle d’essai clinique permettant aux industriels de tester et valider leurs futurs candidats médicaments. « Il sera la locomotive du savoir-faire phocéen », se réjouit Hervé Brailly, un des principaux acteurs de Marseille Immunology Biocluster (MBI).

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Hervé Brailly, docteur en immunologie de l’Université d’Aix-Marseille, un des acteurs clé de Marseille Immunology Biocluster (MBI) ©DR

Trois autres plateformes accompagneront ce totem. « Notre modèle est celui de Boston où les acteurs académiques et industriels, publics et privés, travaillent en coordination autour des mêmes outils », explique Daniel Olive, cofondateur d’Imcheck Therapeutics, lui aussi très impliqué dans le développement du biocluster. Les outils en question seront certainement installés à Luminy où se concentre bon nombre de startup biotechnologiques. L’une d’elle, B-Screen, permettra par exemple d’isoler à visée de tests les lymphocytes B, une composante essentielle du système immunitaire que visent les traitements du futur en cancérologie à base d’anticorps monoclonaux et de thérapies cellulaires.

À Marseille, MBI vise la création et l’implantation de 60 nouvelles entreprises dans ces domaines révolutionnaires. « Elles pourraient lever 2 milliards d’euros de capitaux propres avec plusieurs milliers d’emplois à la clé », jubile le président de la Région Sud. Renaud Muselier s’est en effet impliqué dans le dossier d’appel à projets, pour combattre « le scénario jacobin » qui se dessinait pour l’attribution des bénéficiaires.

Révolution dans l’éprouvette

Initié au début des années 80 dans le « Larzac scientifique » de Luminy, au sud de la ville, l’écosystème de recherche en immunologie marseillais est à l’origine de nombreuses pépites qui creusent le berceau originel de la discipline. Comme Innate Pharma, devenu champion mondial des travaux sur les anticorps. Comme HalioDX, un spécialiste du diagnostic immuno-oncologique racheté par l’américain Veracyte. Ou ImCheck Therapeutics qui a déjà levé un total de 154 millions d’euros pour ses recherches et son candidat médicament de nouvelle génération ICT01 (en phase d’essai clinique IIb pour son potentiel contre les tumeurs solides et hématologiques). Et Trophos, reprise à prix d’or par Roche pour son candidat médicament pour le traitement de l’amyotrophie spinale, une atteinte génétique qui affecte les neurones moteurs.

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Innate Pharma, un champion mondial des travaux sur les anticorps ©DR

Emergence Therapeutics révolutionne le traitement des cancers

Mais aussi, tout récemment, Emergence Therapeutics, revendu l’an passé au numéro un mondial de la pharmacie Eli Lilly pour plus de 400 millions d’euros. C’est le fonds français Kurma Partners, devenu un acteur clé du financement du secteur de la santé en Europe, qui est à l’origine de cette société créée en 2019. Il en avait assuré un premier financement d’amorçage de 6 millions d’euros, aux côtés notamment de Bpifrance à travers InnoBio 2. Début 2022, la biotech avait signé un second tour de 87 millions d’euros « pour devenir un leader dans le domaine des ADC », selon son président fondateur Jack Elands. Les ADC (Antibody Drugs Conjugates, en français conjugués anticorps-médicaments) sont une classe de traitements biopharmaceutiques qui promet une révolution dans la prise en charge des cancers. Car ciblant exclusivement les cellules tumorales sans toucher aux cellules saines, contrairement à la chimiothérapie.

Le premier anticorps de la biotech, ETx-22, cible la Nectine-4, une molécule toxique découverte à l’Institut Paoli-Calmette. Elle est massivement exprimée par les cellules tumorales, et uniquement elles. Avec son dernier tour de financement, Emergence Therapeutics avait fait entrer son produit en phase préclinique pour les cancers de la vessie et du sein. Chez Eli Lilly, le traitement pourrait à terme intéresser ceux de l’ovaire, de la tête, du cou et du poumon.

Un vivier de cerveaux

Globalement, une trentaine de sociétés de la Région Sud se réclament du champ de l’immuno-oncologie. Pour leurs recherches, elles peuvent s’appuyer sur un écosystème universitaire riche de plus de 3000 chercheurs, cliniciens, ingénieurs, industriels, et 39 000 étudiants dans les sciences de la vie et la santé. « C’est une usine à essaimer », décrit le professeur Éric Vivier (aujourd’hui président de Paris Saclay Cancer Cluster) qui a dirigé jusqu’en 2017 le Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy à l’origine de ce succès.

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Plus de 160 entreprises ont émergé depuis les années 1980 dans les secteurs des biotechnologies, des équipements médicaux et des services sous contrat ©JM Huron.

Généralement issues du bouillon de la recherche publique marseillaise, plus de 160 entreprises ont émergé depuis les années 1980 dans les secteurs des biotechnologies, des équipements médicaux et des services sous contrat. « Beaucoup de leurs patrons se sont connus dans les laboratoires et bancs de fac. Ils entretiennent et enrichissent un puissant réseau de connaissances scientifiques », témoigne Hervé Brailly. Lui-même a quitté le pionnier Immunotech – dont il était le directeur de la division immunologie-oncologie – pour créer sa société en 1999, quand son employeur est passé aux mains de l’américain Beckman-Coulter.

Un Marseille attractif

Depuis, son entreprise s’est introduite en bourse et a fait entrer un premier candidat médicament anti-tumoral en phase 3, monalizumab. « Grâce à une triple combinaison sans chimiothérapie, il est en première ligne dans le cancer de la tête et du cou », selon le directeur médical d’Innate Pharma. Ses perspectives sont énormes : Yervoy, un traitement du mélanome métastasé qui a inauguré la nouvelle classe de médicaments à base d’anticorps monoclonaux a réalisé 700 millions de dollars de chiffre d’affaires la première année de son lancement en 2011.

Bon nombre de patients tests de ces sociétés sont recrutés à Marseille, à l’Institut Paoli Calmette où toutes les start-up opérant dans l’oncologie ont leurs entrées. Toutes recrutent également sur place. « Après leur post-doc à l’étranger, beaucoup de jeunes chercheurs reviennent poursuivre leur carrière à Marseille », observe Hervé Brailly. Avec sa labellisation comme Biocluster, la cité phocéenne figure désormais dans leur premier choix. ♦