Environnement

Par Philippe Lesaffre, le 24 mai 2024

Journaliste

Des studios de jeux vidéo soucieux leur impact écologique #1

À Lyon, le studio de jeux vidéo AwareCorp a transmis à des étudiants du Gaming Campus des données pour que ces derniers calculent son bilan carbone dans le cadre de leur formation. Un calculateur numérique adapté a été lancé pour aider le secteur à réduire son impact écologique.

Après le confinement, César a repris ses études pour pouvoir évoluer dans le monde du jeu vidéo. Le jeune homme a intégré la Gaming Business School, une école de commerce et de management dédiée au jeu vidéo, au sein du Gaming Campus à Lyon. Durant sa formation, il a rejoint en alternance Takeoff, une agence de création dédiée au 10e art. Au cours de cette aventure, il a lancé une étude de marché et a mis en place une équipe de développement dans le but de créer un jeu mobile avec Jean-Claude Van Damme. Juste avant de participer au lancement du studio AwareCorp au sein de l’agence.

L’objectif : créer des jeux gratuits, puis « verser, dit-il, une partie des bénéfices à des associations afin de soutenir des causes telles que le bien-être animal ». C’est ainsi qu’en 2023 Dawn of the chihuahuas a été lancé… grâce au concours de l’acteur belge et de sa chienne Lola. Règle du jeu : sur téléphone, les participants protègent les chiens d’un extraterrestre, venu afin de les voler en vue de repeupler sa planète… tout en collectant des fonds pour des associations de défense animale.

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Le jeu Dawn of the Chihuahuas – Capture d’écran

Partenariat avec une école spécialisée

En début d’année, César, aujourd’hui directeur des opérations d’AwareCorp, a été recontacté par son ancienne école. Celle-ci lui a proposé un partenariat atypique. La Gaming Business School forme ses étudiants en master sur les sujets d’éco-responsabilité et, à cette occasion, elle leur a présenté, en février dernier, l’outil numérique Jyros. Conçu à l’automne 2023 via le Consortium national du jeu vidéo pour l’environnement (1), il vise à aider les professionnels du secteur à calculer leur bilan carbone.

Quand les studios de jeux vidéo scrutent leur impact écologique … 2Pour qu’ils se rendent davantage compte des enjeux, la GBS a souhaité que les élèves puissent analyser, via la plateforme de Jyros, des données fournies par différents studios volontaires et ainsi identifier leurs émissions de gaz à effet de serre sur une année. Cela tombait à pic : AwareCorp, en raison d’un « manque de temps » essentiellement, comme César Fermaut l’a précisé, n’avait pas encore eu l’occasion de sauter le pas. Alors il a accepté la requête de l’établissement et transmis aux jeunes tout un tas d’informations sur les actions mises en place en 2023.

Calculer le bilan carbone d’un studio

« L’outil Jyros est assez simple, indique Carmen Mianowski, en master management de projets, qui a participé à l’aventure. C’est gratuit pour les organisations, qui n’ont qu’à créer un compte en ligne. Puis elles doivent répondre à une série de questions assez précises, ce qui permet de mesurer ce qui a été émis durant l’année. »

Là, les étudiants s’en sont chargés dans le cadre de leur formation. Sur la plateforme, Carmen et les autres étudiants, en possession des données de César Fermaut, ont indiqué le nombre d’employés et de freelances du studio ou encore la taille de leur bureau. En l’occurrence, jusqu’à une quinzaine de personnes sont en général mobilisées avant la sortie d’un jeu, et AwareCorp bénéficie de 25 m² au sein des locaux de Takeoff. Les futurs professionnels ont donné, en outre, des précisions sur la consommation d’électricité, sur le chauffage et la climatisation des pièces.

Jyros questionne aussi les acteurs sur le volume de déchets générés sur place, si ce qui est putrescible est revalorisé ou pas. En outre, la fréquence du télétravail des collaborateurs ainsi que les trajets domicile – bureau entrent en ligne de compte. « Nous sommes situés près d’une gare, beaucoup viennent au travail en transport en commun, à vélo ou à pied », glisse César Fermaut.

Limiter son empreinte…

Les studios qui jouent le jeu doivent par ailleurs renseigner sur leurs achats d’équipements informatiques. « Il a fallu que je donne aux étudiants la part des achats en reconditionné. Or, l’an dernier, nous n’avons acheté que du matériel de seconde main », précise-t-il. Via l’outil Jyros, les élèves ont analysé, par ailleurs, les déplacements professionnels. Typiquement, les tournages. Un représentant d’AwareCorp, pour Dawn of the chihuahuas, a rejoint l’acteur Jean-Claude Van Damme en Asie en avion, ce qui est fortement impactant. « En revanche, nous avons travaillé avec une équipe de tournage locale. »

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Toutes ces informations, en tout cas, ont permis aux étudiants de « formuler quelques pistes pour aider le studio à limiter son empreinte écologique », détaille Carmen Mianowski. Des recommandations partagées avec César Fermaut à l’hiver dernier. L’occasion de lancer un débat sur les activités de la société, notamment sur les transports. « Nous nous sommes rendus par exemple sur deux salons à Genève pour présenter notre jeu. Au World Dog Show en août et aux Automnales en octobre 2023. Nous sommes partis en camion à plusieurs. Les étudiants m’ont demandé si cela avait été utile d’y aller en groupe. J’ai répondu que oui, sourit le jeune homme. Car c’était aussi une opportunité de se retrouver au moment de la sortie de Dawn of the chihuahuas. »

Les élèves ont rappelé la nécessité de privilégier le train à l’avion quand cela est possible, avant d’en venir à la partie communication et marketing, aussi scrutée. « On m’a demandé si je comptais réduire le nombre de publicités. J’ai dit que ce n’était pas au programme. Il faut même que nous en fassions davantage, pour augmenter la notoriété du studio. » En revanche, le directeur des opérations compte bien s’appliquer à réduire le temps de production, le poids et la résolution des contenus promotionnels sur smartphones. « Ce conseil est pertinent, cela nous permettra de réduire notre empreinte tout en dépensant moins d’argent… »

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L’outil numérique Jyros aide les professionnels du secteur à calculer leur bilan carbone- Illustration ©Unsplash

… pour obtenir des subventions

Et de poursuivre : « Comme l’outil est assez récent, peu l’ont utilisé en vue d’obtenir son bilan carbone. Donc c’est encore assez difficile de se comparer aux autres. » Le résultat global tombe sous forme d’un diagramme, avec différentes catégories. Pour AwareCorp, le plus gros poste demeure les achats de produits et de services, avec 33,9 tonnes équivalent CO2 (78% du total), devant les déplacements professionnels (7 tonnes équivalent CO2 ), la production de déchets (0,7 tonne équivalent CO2 ).

« Une fois que l’on connaît les ordres de grandeur, il est plus facile de partir en quête de solutions pour limiter son impact écologique », analyse l’étudiante Carmen Mianowski, actuellement en alternance à NOG Studio, un développeur de jeux vidéo. « La lutte contre le dérèglement climatique devient de plus en plus urgente », soutient la directrice de l’école lyonnaise Karen Lo Pinto. Les pressions sur les entreprises pour réduire leur impact environnemental grandissent d’année en année. »

Y compris au sein de ce secteur, la prise de conscience fait bouger les lignes. César Fermaut l’a appris il y a peu, « le Centre national de cinéma et de l’image animée (CNC) demandera bientôt le bilan carbone prévisionnel d’un projet avant d’accorder une subvention ». D’où l’idée de se pencher sérieusement sur ses émissions carbone… ♦

1) piloté à l’initiative de huit associations régionales d’entreprises du 10e art, du Syndicat national du jeu vidéo et du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs
Bonus 

Les chiffres du jeu vidéo. Le monde compte 2,7 milliards de joueurs, et l’industrie rejette chaque année 37 millions de tonnes d’équivalent CO2 (contre 600 millions pour le secteur de l’aviation), selon Green IT.