CultureSolidarité

Par Agathe Perrier, le 28 mai 2024

Journaliste

Les Souffleurs d’Images démocratisent l’accès à l’art

400 structures culturelles proposent le service Souffleurs d’images dans toute la France © Photo d'illustration, Unsplash

Une personne aveugle ou malvoyante est souvent exclue de fait des expositions ou spectacles. Heureusement, les bénévoles de Souffleurs d’images sont là pour leur prêter leurs yeux et leur faire des descriptions. Ils jouent ce rôle partout en France, dans les théâtres et les musées. Et leur rendent ainsi accessibles toutes les formes d’art.

Le 15 mai dernier, alors que se joue L’Odyssée au ZEF, scène nationale de Marseille, certains spectateurs des premiers rangs glissent régulièrement quelques mots à l’oreille de leur voisin. Sans que le reste du public ou les comédiens n’en soient gênés : en plus d’être discrets, ils sont avant tout des « Souffleurs d’Images ». À savoir des bénévoles accompagnant des personnes aveugles ou malvoyantes pour leur permettre de profiter pleinement de la représentation en leur expliquant ce qu’elles ne peuvent pas voir.

« On ne leur dit que des éléments factuels et non pas notre interprétation », souligne Laura, l’une de ces voix volontaires. L’objectif n’est pas non plus de les abreuver de tous les détails. Au contraire : seul ce qui est important pour la compréhension de l’histoire doit être précisé. « Les premières fois, j’avais envie de tout souffler. Maintenant, je suis plus en retrait et je ne le fais que quand je sens que la personne en a besoin », précise-t-elle.

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Souffleurs d’images est porté par Souffleurs de sens, dont la mission est de favoriser l’accès à la culture aux personnes en situation de handicap © Photo d’illustration, Unsplash

Souffleurs mais aussi guides

Le ZEF n’est pas la seule scène à recourir aux services de Souffleurs d’images, loin de là. 400 structures culturelles le proposent dans toute la France. Il a été créé par l’association Souffleurs de sens, basée à Paris, dont la mission est de démocratiser l’accès à la culture pour les personnes en situation de handicap (voir bonus). Tout est parti d’une sortie au théâtre en 2016. « Des personnes ont naturellement commencé à souffler ce qu’elles voyaient aux malvoyants présents. Cela nous a donné l’idée de former des bénévoles à cette pratique », rembobine Victor Dobin, responsable du dispositif.

La formation pour devenir souffleurs dure une demi-journée et se veut à la fois théorique – pour que les bénévoles comprennent à quoi correspond un handicap visuel – et pratique. Notamment via des mises en situation où ils sont à la fois souffleurs et soufflés. Mais aussi guideurs et guidés. « Être bénévole pour un soufflage ne se résume pas seulement à être avec la personne dans la salle de théâtre. On doit l’accompagner tout au long de la soirée, que ce soit jusqu’à sa place ou aux toilettes, ce qui nécessite de la guider dans ses déplacements », expose Laura. Si bien qu’un souffleur doit faire preuve de grandes qualités humaines et d’un bon sens relationnel.

Il doit en outre justifier d’un parcours artistique ou culturel. « C’est important pour assurer une bonne qualité de soufflage », glisse Victor Dobin. La plupart des 700 volontaires sont ainsi étudiants en art ou artistes et réalisent 400 accompagnements chaque année.

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Pour la représentation de L’Odyssée au Zef, cinq personnes ont bénéficié du service Souffleurs d’images © Agathe Perrier

Organisation clé en main

Théoriquement, lorsqu’un lieu culturel est partenaire, l’ensemble de sa programmation est ouverte au service Souffleurs d’images. « Le soufflé réserve sa place auprès de la structure en précisant qu’il sera accompagné d’un souffleur. Il nous en informe également et nous recherchons alors pour lui un bénévole situé aux alentours. On demande simplement d’être prévenu au moins 15 jours avant pour avoir le temps de tout planifier », indique Victor Dobin. Si la personne aveugle ou malvoyante paye sa place au tarif en vigueur, celle du bénévole est offerte par le lieu culturel.

Le ZEF a quelque peu adapté le dispositif. L’équipe le propose pour quatre spectacles dans sa saison. En amont, une visite tactile est organisée avec un ou plusieurs membres de la compagnie. « C’est notre façon d’apporter une plus-value », explique Bérangère Chaland, chargée des relations avec les publics et par ailleurs souffleuse bénévole. Avant L’Odyssée, les cinq personnes ayant sollicité Souffleurs d’images ont donc bénéficié d’un temps d’échange avec Isabelle, l’assistante à la mise en scène. Elle leur a décrit la scénographie, épurée, les tenues des personnages, sobres elles aussi. Et les a avertis d’un détail crucial : seulement cinq comédiens jouent les 25 rôles. De quoi inquiéter les soufflés. « Vous comprendrez le changement de personnage à leur interprétation », les a-t-elle rassurés. Ils ont évidemment aussi pu compter sur les mots de leur souffleur. En tout cas, tous sont sortis charmés par cette adaptation de la célèbre œuvre d’Homère signée Pauline Bayle.

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Le Zef propose, en amont d’un spectacle ouvert à Souffleurs d’images, une visite tactile avec la compagnie © AP

Démocratiser l’accès au spectacle vivant

Avant que Souffleurs de sens ne déploie son service, de petites initiatives du genre avaient émergé dans les structures culturelles. « Des étudiants le faisaient déjà à La Criée* (ndlr : théâtre emblématique de Marseille ayant le statut « centre dramatique national »). Maintenant, c’est plus structuré », relève Véréna. Avec l’association l’Amicale des déficients visuels de Provence dont elle est secrétaire, elle participe régulièrement à des spectacles via Souffleurs d’images. Tout comme Karim. « Avant on allait voir un spectacle ou un film au cinéma avec une personne de notre entourage, mais les gens derrière nous disaient de nous taire », se souvient-il. Pour éviter tout conflit d’ailleurs, le souffleur explique la démarche aux spectateurs voisins en amont de la représentation. Et se rend le plus discret possible.

Outre Souffleurs d’images, l’audiodescription permet aux personnes aveugles et malvoyantes de profiter de spectacles. Le principe est finalement le même, sauf que les éléments descriptifs sont préalablement enregistrés et diffusés en direct via un casque. Pas besoin de réquisitionner un bénévole donc. « Dans le soufflage il y a une notion de partage entre le souffleur et le soufflé », apprécie toutefois Dorothée, spectatrice elle aussi régulière avec son association La Luciole. La pratique s’avère très marginale dans le spectacle vivant, en raison du coût financier qu’elle représente. En revanche, elle s’est plutôt bien démocratisée au cinéma, notamment grâce aux contraintes légales imposées aux sociétés de production pour améliorer l’accès aux films des personnes présentant un handicap visuel ou auditif. S’il reste encore beaucoup de chemin pour que le secteur culturel soit totalement inclusif, l’évolution est en route. ♦

* La Criée est parrain de la rubrique « éducation » de Marcelle. Cet article n’est toutefois pas une commande puisque ce rôle ne donne ni droit de regard, ni ingérence dans le choix des sujets et la ligne éditoriale de notre média. Plus d’informations en cliquant ici.

Bonus
  • Envie d’en savoir plus ? Pour devenir bénévole, profiter d’un spectacle ou devenir partenaire, rendez-vous sur le site de Souffleurs d’images en cliquant ici.
  • Quatre partenaires à Marseille – Outre Le ZEF, trois autres structures marseillaises ont rejoint Souffleurs d’images. Il s’agit du festival Les rencontres à l’échelle, du Théâtre Massalia et du Mucem (par ailleurs parrain de Marcelle). La liste de l’ensemble des partenaires à l’échelle de la France est à retrouver ici.
  • Derrière Souffleurs d’images, Souffleurs de sens – Cette association parisienne existe depuis 30 ans. Sa mission est de favoriser l’accès à la culture et aux pratiques artistiques aux personnes en situation de handicap. Elle fait partie du Groupe SOS Solidarités.