Alimentation

Par Agathe Perrier, le 19 juin 2024

Journaliste

La cuisine comme pont entre Marseille et Yaoundé

Sandrine Nkou Ebogo a notamment réalisé un déjeuner à quatre mains avec Sébastien Richard, le chef du restaurant marseillais le République © Julie Cohen, DR

La cheffe camerounaise Sandrine Nkou Ebogo a posé ses valises à Marseille le temps d’une résidence culinaire destinée à favoriser les échanges et la transmission de savoir et de culture. Trois semaines qui lui ont permis de rencontrer nombre de cuisiniers et acteurs de la scène alimentaire provençale. Inspiration mutuelle garantie.

On sait la cuisine vectrice de partage et d’apprentissage, ce dont peuvent témoigner Sandrine Nkou Ebogo, cheffe du restaurant du Musée National de Yaoundé au Cameroun, et Sébastien Richard, son homologue au sein du restaurant marseillais Le République. Ils ne se connaissaient pas il y a encore quelques semaines et viennent pourtant de passer plusieurs jours ensemble. Et surtout de travailler ensemble. « On a notamment élaboré un déjeuner à quatre mains, chacun avec ses orientations », explique le cuisinier de cet établissement solidaire. Lui a mis à l’honneur le végétal et le poisson, elle, le poulet et les épices typiques de son Afrique natale. Un exercice dans l’objectif de se transmettre mutuellement des pratiques et savoir-faire, de partager des traditions alimentaires. « Il faut toujours aller voir ce qu’il se passe ailleurs, comment les autres cuisinent », estime la cheffe.

Au quotidien derrière ses fourneaux, Sandrine Nkou Ebogo promeut et valorise les mets traditionnels du Cameroun. Ce qu’elle a aussi cherché à faire lors de son escapade à Marseille. Elle y a donc atterri avec une valise pleine d’épices, d’herbes, de racines et de tubercules. Qui n’ont pas manqué de surprendre et titiller la créativité de Sébastien Richard. Particulièrement « une baie qui vient de la forêt et ressemble à une noisette. Je ne la connaissais pas et ça m’a donné envie de la torréfier comme du café pour voir quel arôme il en ressortirait », confie-t-il. De quoi le transporter loin de ses sentiers battus.

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Comme une résidence d’artiste

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Le séjour de Sandrine Nkou Ebogo a été ponctué de nombreuses visites, comme ici avec Gérald Passédat, chef du Petit Nice © DR

Le séjour en Provence de Sandrine Nkou Ebogo a été ponctué de nombreuses heures de cuisine (lire bonus). Mais aussi de rencontres, notamment avec Gérald Passedat, chef du Petit Nice, fort de trois étoiles au Guide Michelin. Un moment marquant pour la restauratrice, qui a pu découvrir les équipements en cuisine de cette table marseillaise réputée. Elle a en outre passé deux jours dans l’auberge vauclusienne La Fenière, tenue par une autre étoilée, Nadia Sammut. Et visité une demi-douzaine de lieux de bouche, tels que le marché aux poissons du Vieux-Port, celui de Noailles, la production de la brousse du Rove ou encore le laboratoire de la pâtisserie végétale Oh Faon.

Un programme chargé, et complet, imaginé par le Fonds de dotation Compagnie Fruitière*. Coutumière de l’organisation de résidences croisées entre artistes, l’équipe a souhaité reproduire ce concept avec des chefs. « Nos statuts stipulent que l’on doit œuvrer aux échanges culturels entre la France et l’Afrique », explique Marie-Pierre Fabre, sa présidente. Elle a axé son action depuis deux ans sur l’alimentation durable, cadre qui a suscité ce projet « pilote ». « D’ordinaire, on est un fonds de dotation distributif, mais cette fois, on ne fait pas que le chèque », souligne-t-elle. L’organisme a but non lucratif a été appuyé par le mouvement Les cuisines africaines pour trouver les candidat(e)s à la résidence – une autre cheffe sélectionnée n’a finalement pas pu venir. Tous les frais de séjour de Sandrine Nkou Ebogo ont été pris en charge et la cheffe a même perçu une petite rémunération.

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Match retour à l’automne

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Sandrine Nkou Ebogo envisage de revisiter la traditionnelle bouillabaisse avec les produits de son Cameroun natal © Julie Cohen, DR

Après trois semaines à 100 à l’heure, le bilan est positif pour la cheffe. Les objectifs de partage et transmission ont été pleinement atteints à ses yeux. « Je pensais que j’allais juste cuisiner mais j’ai été agréablement surprise par toutes les visites. J’ai beaucoup appris et tout ça va me permettre d’améliorer mes recettes », estime Sandrine Nkou Ebogo. Elle envisage déjà, une fois de retour dans son antre, de revisiter la traditionnelle bouillabaisse avec les produits de chez elle. Et ainsi faire découvrir à ses clients, dont une partie sont des locaux, des saveurs plus européennes que d’ordinaire. Un sentiment positif partagé par Sébastien Richard. Lui aussi retient la façon de travailler de son homologue camerounaise, de mélanger les ingrédients et d’assaisonner. « Ça apporte une autre vision », apprécie-t-il.

Fort du succès de cette première édition, le Fonds de dotation Compagnie Fruitière mijote un deuxième round à l’automne. Et, cette fois, ce sera une ou un chef marseillais qui sera accueilli au Cameroun. « Par Sandrine évidemment ! », glisse Marie-Pierre Fabre. Le programme est en cours d’élaboration. « On voulait voir en pratique comment se passait la première résidence avant d’organiser l’échange inverse », explique-t-elle. L’appel à candidatures sera lancé dans les semaines à venir. ♦

* Le Fonds de dotation Compagnie Fruitière est le parrain de la rubrique « alimentation » de Marcelle. Cet article n’est toutefois pas une commande puisque ce rôle ne donne ni droit de regard, ni ingérence dans le choix des sujets et la ligne éditoriale de notre média. Plus d’informations en cliquant ici.
Bonus
  • Des centaines de convives régalés – Outre le déjeuner à quatre mains réalisé avec Sébastien Richard, Sandrine Nkou Ebogo a assuré le dîner de clôture du Festival La 1ère Outre-Mer, qui s’est tenu à la Friche la Belle de Mai, pour 350 convives. Elle a aussi préparé un repas d’inspiration camerounaise pour 130 salariés du siège de la Compagnie Fruitière, basée à Marseille.
  • Sandrine Nkou Ebogo, cheffe engagée – À la tête du restaurant du Musée National de Yaoundé depuis cinq ans, elle dirige une équipe de 12 salariés, qu’elle forme elle-même. Elle prend régulièrement en stage des femmes défavorisées, des veuves et des enfants de la rue. Elle a pour ambition d’ouvrir un plus grand restaurant où elle n’embaucherait que des femmes, « l’année prochaine pourquoi pas » glisse-t-elle. Elle rêve aussi de fonder une école de cuisine pour les femmes à Nanga Eboko, commune du centre du pays dont elle est originaire.