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Le Présage, un restaurant qui cuisine grâce au soleil
Selon l’INSEE, 22% de notre empreinte carbone sont dus à notre alimentation, dont une petite part concerne la cuisson. Pour décarbonater au maximum sa cuisine, le chef Pierre-André Aubert choisit des produits saisonniers en circuit-court qu’il cuit à l’énergie solaire – gratuite, locale et non polluante. Cet ingénieur de formation a inauguré le 20 juin 2024 à Marseille le premier restaurant d’Europe doté d’un fourneau solaire d’intérieur : Le Présage. Il pourrait ouvrir la voie à d’autres chefs cuisiniers.
[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]
Tout de bois et de vitres vêtu, le restaurant Le Présage se dresse, rayonnant, au milieu d’un jardin comestible en cours d’élaboration. Toute une symbolique pour cette innovation dont l’idée revient à Pierre-André Aubert : utiliser le local en cuisine – du choix du produit jusqu’à l’énergie pour le transformer. Si ce fan de cueillette sauvage ne peut pas, pour l’instant, profiter des légumes de son potager, il a recours au soleil pour cuire ses aliments. Unité de lieu et de temps. Cette vision, il l’a eue dès 2014. Dix ans de travail et d’expérimentations lui ont toutefois fallu pour concrétiser son Présage. Car, si la cuisine solaire est employée depuis longtemps (bonus), il n’existait pas de fourneau solaire d’intérieur. Pierre-André Aubert a pu mettre au point ce bijou technologique grâce à sa rencontre avec Wolfgang Scheffler, l’inventeur des réflecteurs paraboliques éponymes (bonus).
Deux réflecteurs paraboliques

Derrière Le Présage, implanté dans le 13e arrondissement, se cache son essence : deux immenses miroirs paraboliques Scheffler orientés l’un en direction de la plaque de cuisson, l’autre, du four. « Le fonctionnement est très simple, assure l’entrepreneur tout sourire, flanqué d’un #FuturDélicieux au dos de son tee-shirt. La lumière entre dans la parabole en miroir, puis est renvoyée vers la plaque, qui va se mettre immédiatement à monter en température ».
Ce système utilise un phénomène naturel oublié par l’homme moderne : la lumière, en se concentrant, devient source de chaleur. « On ne peut pas la voir, sauf quand on passe devant ! », prévient cet ancien ingénieur en aéronautique en faisant la démonstration avec un bout de bois qui s’enflamme.
Fourneau biénergie

Le miroir parabolique Scheffler a la particularité d’être flexible. Il pivote et s’incline en fonction de la position du soleil dans la journée, mais aussi dans l’année (plus de détails dans bonus). Cette flexibilité permet au restaurant Le Présage de cuisiner 80% du temps à l’énergie solaire. C’est en tout cas le calcul des sept associés, qui ont expérimenté durant trois ans cette technologie avec leur Ginguette Solaire installée dans le parc du tiers-lieu du LICA. 80% ? Même si, avec 170 journées ensoleillées par an, Marseille est considérée comme la ville la plus gâtée de France, elle compte tout de même quelques journées de mauvais temps. « Dans ce cas, nous utilisons l’électricité », complète Pierre-André Aubert. En effet, le fourneau, co-conçu sur mesure avec le fabricant Athanor, est biénergie. « Plus tard, on espère le faire avec du biogaz issu de nos déchets de cuisine », complète Benjamin Leroy, ingénieur et associé. Une partie de l’électricité est fournie par des panneaux photovoltaïques installés sur le toit du bâtiment bioclimatique (bonus).
♦ Lire La cuisine solaire, quand la décarbonation devient un plaisir
Tous types de cuisson

La montée en chauffe du fourneau s’effectue entre quarante minutes et une heure après le démarrage des réflecteurs. « Plus ça va aller, plus ça va augmenter jusqu’à atteindre 480° raconte Pierre-André Aubert. Une fois en route, le système fonctionne toute la journée, mais pas le soir. Cette contrainte n’en est pas une, « il faut juste organiser le temps de cuisine différemment. C’est un jeu avec l’environnement. Intéressant, car il conduit à la créativité », estime ce poète. Griller, sauter, poêler, frire, snacker, rôtir, mijoter, tout est possible. « Si je veux moins chaud, il suffit juste de déplacer la casserole sur le côté », explique ce passionné, qui parle d’une cuisine « plus précise, plus tactile ». Il est à la fois ému de l’aboutissement de ses dix années de travail et toujours étonné du silence. « Normalement un fourneau classique, ça ronronne. Avec le solaire, il n’y a aucun bruit ». Ce calme est une aubaine pour les cuisiniers et les clients, car la cuisine est totalement ouverte. Mais aussi pour la cuisson. Car, selon ce chef, qui a travaillé dans plusieurs établissements marseillais, une belle cuisson nécessite de se servir de l’oreille pour écouter « le chant de la casserole ».
La magie

À côté de lui, s’active Clément Flint, cuisinier et associé. Il fait mitonner au centre de la plaque dit ‘’coup de feu’’ un bouillon d’épluchures et de queues de légumes qui servira à mouiller le risotto au miso de pois chiche et champignons, ainsi qu’à limiter les déchets. À l’extrémité de la plaque, il garde au chaud la polenta crémeuse. Elle agrémentera l’effiloché d’échines de cochon du mont Ventoux cuisiné comme au gaz : marqué sur la plaque et mijoté ensuite. Il sera rehaussé, au moment du dressage de l’assiette, de fleurs de tilleuls sauvages cueillies le matin même. Ces mets sont frais, goûteux et délicats. Mais, au palais, ils ne révèlent rien au goût de leur cuisson solaire. Selon Pierre-André Aubert, le goût dépend « du produit, du produit, de l’art du cuisinier et enfin de la magie. il aime croire que le solaire apporte de la magie ».
Des économies d’énergie et de Co2

L’économie sur la facture d’électricité, elle, est bien réelle, « 3 à 5000 euros par an », estime Benjamin Leroy. Un chiffre précieux compte tenu de la hausse de l’énergie. Pour le CO2, il prévoit une réduction d’au moins 50% : « On prend en compte notre approvisionnement local, le bâtiment bioclimatique – donc peu d’énergie pour chauffer en hiver et peu pour rafraîchir en été – et la cuisson solaire ». Pour parvenir à ses résultats, l’équipe a dû faire face à des difficultés. Comme « la conception et la fabrication du miroir secondaire, ainsi que la qualité du suivi du soleil », détaille Benjamin Leroy. Difficulté de faire accepter aux architectes et différents bureaux de contrôle « qu’on allait faire rentrer de la lumière concentrée dans un bâtiment ». Ils ont également été obligés de suivre les mêmes normes de renouvellement d’air que s’ils utilisaient du gaz « alors que l’on n’a pas les mêmes problèmes de fumée, etc ». Enfin, tout est nouveau dans ce projet, « du coup tout est plus compliqué ». Ce qu’il reste à faire ? Améliorer le miroir secondaire.
Essaimer la technologie

Si ce système est trop puissant (et trop cher) pour les particuliers, il est prometteur pour d’autres usages professionnels, tels que le four à pain ou la brasserie solaire. L’équipe du Présage, de son côté, souhaite faire de ce restaurant innovant un lieu de recherche et d’expérimentation de l’alimentation du futur qui inspire et pollinise son environnement. Elle projette notamment d’essaimer sa technologie auprès d’autres restaurateurs. La cheffe Nadia Sammut, marraine du projet, compte l’utiliser dans le futur restaurant de son domaine. L’étoilée, qui travaille également sur le solaire (bonus), s’apprête à créer une formation sur le sujet dans les écoles hôtelières. Pour un #FuturDélicieux.
Bonus
- La cuisine solaire. Il existe des pionniers au Chili « qui cuisinent avec de petites paraboles/tulipes sur leur toit et des cantines en Inde où l’on cherche plus la quantité que la qualité », raconte Benjamin Leroy, un des sept associés du présage. « La plus vieille est à Auroville, je crois ».
- Wolfgang Scheffler est l’inventeur des réflecteurs paraboliques flexibles à focale fixe et directeur de Simply Solar. Cette société a installé des cuisines solaires de grande taille, notamment en Inde, en Afghanistan et au Mexique. Les réflecteurs Scheffler servent à d’autres usages, en Afrique notamment : torréfier les noix de karité, refroidir le lait à énergie solaire, alimenter une rizerie, etc.
- La rencontre. Pierre-André Aubert a découvert la parabole de Wolfgang Scheffler au Portugal. « Puis il est allé chez lui en Bavière pour faire réparer une vieille parabole sur remorque qu’il a redescendue à Marseille et que l’on a longtemps utilisée à la Guinguette. Elle nous sert aujourd’hui pour faire des tests dans les laboratoires de IUSTI/Polytech Marseille », détaille Benjamin Leroy. Le partenariat avec Polytech a permis de comprendre les phénomènes du solaire pour optimiser la technologie, accéder aux outils de mesures thermiques et logiciels de calcul.
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(Re)lire Cuisine solaire : parler aux ventres pour éveiller à la transition écologique
- La singularité des réflecteurs Scheffler. « Cette flexibilité lui permet de concentrer le rayonnement solaire en un point fixe tout au long de l’année, sans nécessiter de rotation du réflecteur autour de ce point. Dès lors, le point focal peut être positionné à l’intérieur d’un bâtiment dans lequel une cuisine peut être aménagée », détaille le Dr Gabriel Guillet, dans son introduction de thèse portée sur le cuiseur solaire du Présage.
- De la vision idyllique à la réalisation. Le bâtiment du présage est bioclimatique (bois, béton de chanvre, orientation plein sud…). Il bénéficie d’une chaudière à granulés pour l’hiver. Et, sur son toit, de trois panneaux photovoltaïques (électricité) et de quatre panneaux biénergies (électricité et eau chaude). Pierre-André Aubert et ses associés ont dû cependant faire quelques compromis. « C’est tout l’enjeu entrepreneurial ». Par exemple, une partie du mur est « de l’agglo et non du bois ». Ils travaillent à améliorer le projet, notamment à transformer les déchets organiques en biogaz. Et à traiter les eaux usées pour arroser ses plantes.
- Financements du Présage. La Région, la Métropole, l’ADEME pour la partie conception du bâtiment et fonds propres. Le coût important des équipements (dont le montant est tenu secret) sera compensé à terme, selon Pierre-André Aubert, par les économies d’énergie.
- Pourquoi Le Présage ? Pierre-André Aubert a choisi ce nom, pour la vision qu’il a eue du projet et… l’asperge, anagramme de Présage. Pour la petite histoire, lorsque la ville lui a proposé l’emplacement à Château-Gombert, ce fan de cueillette sauvage y a trouvé des asperges sauvages. Un signe.