Société

Par Agathe Perrier, le 19 juillet 2024

Journaliste

Exploiter le passé minier de la Provence

Il ne reste aujourd'hui plus que trois bâtiments pour témoigner de la présence de la mine de Gréasque © Musée de la mine, DR
En France, l’industrie minière est toujours associée au nord et à l’est du pays. Pourtant au sud aussi du charbon a été sorti des entrailles de la Terre pendant des siècles. Une histoire qui se découvre sur le carreau de l’ancien puits Hély d’Oissel, à Gréasque, transformé depuis l’an 2000 en musée. Si seuls trois bâtiments témoins de cette période ont subsisté, ils renferment des trésors permettant de s’immerger dans cette douloureuse et fascinante période ouvrière.

La Provence, terre de charbon ? N’en déplaise aux sceptiques, des tonnes de minerai ont bel et bien été exploitées sous le soleil. « Même ici, beaucoup de gens ne connaissent pas l’histoire des mines et du charbon de Provence alors qu’ils vivent au-dessus. Notre but est de conserver les traces de ce passé et de partager avec les jeunesses futures ce travail et ce métier nobles », explique Jean-Luc Turzo, président du musée de la mine de Gréasque.

Au 20e siècle, cette bourgade de 4 000 âmes, à l’est des Bouches-du-Rhône, a vécu un temps au rythme de l’extraction du charbon. 41 ans durant, au puits Hély d’Oissel, qui tient son nom d’un ancien directeur (lire bonus). « Il a été creusé à partir de 1912 et le début de l’exploitation a démarré sept ans plus tard, quand les hommes sont revenus de la guerre. Cela s’est arrêté fin 1960 », précise-t-il. Il sera complètement remblayé et son accès condamné par un bouchon de béton au début du 21e siècle.

Ne pas oublier le passé minier de la Provence 5
Francis, ancien mineur, est aujourd’hui l’un des bénévoles les plus actifs du musée de la mine de Gréasque © Agathe Perrier
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À l’entrée du musée, l’ancien chevalement de 25,50 mètres de haut se dresse encore aujourd’hui © AP

Musée de la mine et d’une histoire collective


La pièce maîtresse de l’actuel musée, c’est l’ancien chevalement. Cette structure métallique de 25,50 mètres de haut soutenait la cage d’ascenseur par laquelle les mineurs descendaient sous terre ou remontaient en surface, à l’instar du précieux minerai. Il est inscrit depuis 1989 au titre des monuments historiques industriels – tout comme le bâtiment de la machine d’extraction et les éléments qu’il renferme. Et c’est un peu grâce à lui que les vestiges de la mine de Gréasque existent encore aujourd’hui. Menacé d’être rayé du paysage, l’association La Carbouniero de Prouvènço a été créée pour le sauver. Le musée a pris le relais retraçant, outre l’histoire de ce puits, le passé minier de toute la Provence.

La visite commence avec l’origine de la formation du charbon, grâce à une « salle de géologie » qui fait figure d’exception. « Les autres musées français n’en ont pas et se focalisent seulement sur la mine », souligne Dragan, l’un des employés assurant notamment les visites guidées. Au total, le bassin de l’Arc – du nom du fleuve éponyme qui le traverse – a compté 64 puits et 500 kilomètres de galeries de service et d’exploitation. La production sur cette zone géographique est estimée à 130 millions de tonnes de charbon entre 1814 – période à laquelle les premières concessions d’exploitation ont été accordées à des sociétés privées – et 2003 – date de fermeture de sa dernière mine, située à Gardanne.

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Sur le carreau de la mine de Gréasque, d’anciens véhicules utilisés au fond des mines sont exposés © AP

Tenter d’imaginer l’impossible

L’activité a connu de grandes évolutions pendant ce laps de temps. Que le musée raconte à grand renfort d’outils et de matériels des différentes époques : camions, lampes, chariots… Des reconstitutions permettent de s’immerger dans ce passé bien qu’il soit difficile de réellement s’imaginer le quotidien à la mine.

À Gréasque, les mineurs descendaient à 455,85 mètres de profondeur. La cage d’ascenseur déboulait à une allure diabolique : 5 mètres par seconde (18 km/h) quand celle des ascenseurs grand public actuels varie entre 0,6 et 2,5 m/s. Mieux valait avoir le cœur bien accroché. Les plus anciens ont vécu le travail à coups de pioche, aux côtés de chevaux et même d’enfants. Avant que la mécanisation se démocratise et facilite les tâches.

Francis, vingt ans « de fond » à son actif, n’a connu que le temps où les machines creusaient à la place des mains. « J’ai terminé ma carrière au puits Morandat de Gardanne qui était, à sa fermeture, la mine la plus moderne d’Europe. Elle était quasiment entièrement mécanisée, ce qui permettait d’atteindre des records de productivité. Pour autant, même si les métiers ont changé, le travail est resté dur », glisse-t-il.

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La lampisterie du musée de Gréasque présente différents anciens modèles de lampes © AP

Souvenirs et anecdotes en pagaille

Quel mineur pourrait dire le contraire quand, avant ou après la mécanisation de l’activité, chaque journée consistait à travailler dans une poussière permanente qui s’incrustait dans la moindre parcelle de la peau. À passer des heures dans un endroit artificiellement éclairé – même le casse-croûte se prenait en profondeur. Sans parler des risques permanents, entre éboulements ou ces redoutés coups de grisou – des explosions accidentelles dues à la présence de méthane.

Les mineurs ont au fil du temps appris à connaître la mine pour tenter de se prémunir du danger. Ainsi, le pin a rapidement été l’essence choisie pour soutenir les parois « car c’est le seul bois qui craque avant de s’effondrer »,explique Dragan, laissant aux hommes une chance de s’échapper et de ne pas se retrouver ensevelis. Le pin a par la suite été remplacé par des poteaux métalliques.

Ils se sont également fiés à l’instinct des animaux : lorsque les chevaux voulaient rebrousser chemin – ou que les rats et les insectes fuyaient – mieux valait aussi faire demi-tour. « Eux sentaient le danger contrairement à nous », souligne Francis. Quant aux premières lampes, elles étaient dotées d’un mécanisme faisant changer la couleur et la taille de la flamme en cas de méthane dans la galerie – des capteurs leur ont ensuite succédé. Et ce n’est qu’un échantillon parmi les mille et une anecdotes évoquées lors de la visite guidée.

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Le secteur de la mine employait plus de 6 000 personnes en 1946 en Provence, dont une partie à Gréasque © Musée de la mine, DR

Le « plus beau métier du monde »

Malgré toutes les évolutions, « la mine blessait une personne par jour en France », assure Jean-Luc Turzo. « On a eu beau mettre des règles de sécurité et améliorer le matériel, toutes les conditions étaient là pour avoir des blessés. Car on creusait dans la roche, on se battait contre les éléments », rappelle-t-il. Lui-même a été victime d’un grave accident qui, après vingt ans au fond, l’a cantonné à la surface pour les treize dernières années de sa carrière. Pas de quoi entacher ses souvenirs pour autant. « C’était un métier formidable, passionnant, extraordinaire. Je l’ai adoré et j’en parle toujours comme du plus beau métier du monde ». Cela s’entend dans chacune de ses phrases, comme dans celles de Francis. Un paradoxe que seuls les mineurs peuvent finalement comprendre.

Mu par la volonté d’avoir un musée le plus réaliste possible, le président souhaite l’agrandir. En le dotant d’une nouvelle partie qui simulerait une descente sous terre. « Avec la technologie actuelle, les visiteurs auront l’impression d’y être », se réjouit-il déjà. Une galerie les plongera dans la réalité des premières mines puis des plus récentes. Un projet à 15 millions d’euros pour lesquels Jean-Luc Turzo va solliciter les collectivités d’ici la fin de l’année. Bien décidé à braquer toujours plus de lumière sur cet ancien or noir auquel la Provence doit beaucoup. ♦

  • Le musée de la mine de Gréasque est ouvert toute l’année du mercredi au samedi (les horaires varient selon les périodes). Tarif : 5 euros pour les adultes, 3 euros pour les enfants (gratuit pour les moins de six ans). Visite guidée possible à partir de trois entrées payantes. Plus d’infos et contact en cliquant ici.
Bonus
  • Qui était Hély d’Oissel ? Le puits porte le nom d’Étienne Émile Hély d’Oissel. De 1898 à 1915, il a été le président du conseil d’administration de la Société Nouvelle de Charbonnages des Bouches-du-Rhône, la société privée qui a exploité le puits de Gréasque ainsi que d’autres à Saint-Savournin et Biver. Trois autres sociétés privées se sont partagé l’exploitation du bassin minier de Provence à la même époque, jusqu’à la nationalisation des mines en 1946.
  • À chaque région son vocabulaire minier – Dans le nord, on parle de terril pour désigner les dépôts artificiels constitués des déblais de matériaux stériles extraits d’une mine. Alors que dans le sud et l’est, le terme utilisé est celui de crassier. Ici, le trou pour descendre à la mine s’appelle un « puits », dans le nord, il s’agit d’une « fosse ». En Provence, on appelait les enfants de 7 à 14 ans qui travaillaient à la mine « mendits ». Dans le nord, on les surnommait « galibots ». Quelques exemples parmi tant d’autres.
  • Les autres musées de la mine en France – La liste est longue selon d’après Wikipédia. Comme à Gréasque, il n’est toutefois pas possible de descendre dans les anciennes galeries, pour des raisons de sécurité notamment. En revanche, cette expérience est accessible au musée minier d’Escucha, en Espagne, et à celui de Rammelsberg, en Allemagne.