ÉconomieEnvironnement

Par Marie Le Marois, le 24 juillet 2024

Journaliste

Un camping XXL projette de recycler 100% de ses eaux !

Le camping prévoit d'ici cinq and de recycler toutes ses eaux usées et d'être semi autonome en électricité ©Sablons

Côté pile, le camping 5* des Sablons à Portiragnes dans l’Hérault, c’est 3000 personnes l’été, avec des rangées de mobilehomes et quatre piscines. Côté face, on y trouve deux hectares de maraîchage en permaculture (qui fournissent en légumes les deux restaurants) et une eau de piscine recyclée (qui arrose les espaces verts). Cette entreprise familiale, qui fête ses 55 ans, entend conjuguer tourisme de masse et tourisme durable. 

Du monde partout. À la supérette de l’entrée, dans le parc aquatique, aux douches de plage, dans les allées bordées de camping-cars. Quand surgit un immense jardin où foisonnent tomates, aubergines, salades et courgettes. Ce havre vert, qui jouxte les terrains bétonnés de basket et du skatepark, était autrefois à l’abandon. « C’était même un peu une décharge », avoue le gérant des Sablons, Thierry Poirot. Jean, polo et sourire avenant. L’idée, née en famille pendant le confinement, a pris forme en 2021. La direction a commencé par aménager quelques carrés en permaculture avec des enfants du camping et des plantes aromatiques avec les ados. Puis, l’année d’après, ce fut un hectare de cultures. « Au début, les gens nous regardaient bizarrement », se souvient-il, tout en goûtant la sauge. 

Des légumes pour les restaurants

Thierry Poirot, devant le plan du camping. À gauche, l’espace Permaculure @Marcelle

Aujourd’hui, les vacanciers, principalement allemands et lyonnais, raffolent de l’espace Permaculture où ils peuvent s’initier aux semis, aux bombes à graines et même récolter des produits frais avec des maraîchers formés à l’animation. Il profite également aux écoliers de la commune qui viennent hors saison jardiner. « Car l’idée du camping est aussi de l’ouvrir aux habitants », insiste le gérant, dont la femme est l’une des huit cousins-cousines actionnaires.

De l’autre côté du chemin se trouve un second hectare de maraîchage, professionnel celui-ci. Il produit 50 kilos de légumes par jour. « On est capable de fournir les deux restaurants du camping », se réjouit le chef d’entreprise, émerveillé par la vitesse à laquelle la nature a rejailli.

Retour à la terre

L’espace Permaculture des Sablons, 1 hectare de culture maraîchère pour initier vacanciers et écoliers de la commune à la permaculture. @Marcelle

Car, dans les années 1970, le camping était encore un domaine viticole tenu par les grands-parents de sa femme, qui l’avaient acheté « pour une bouchée de pain ». Petit à petit, le couple s’est rendu compte que louer des emplacements à des vacanciers était plus rentable et moins fatigant que la viticulture, et l’a abandonnée dans les années 1990. Le camping a gagné du terrain vers la mer et tourné le dos à la terre. Aujourd’hui, ce mouvement est inversé, symboliquement représenté par les vignes qui s’alignent le long de l’espace permaculture. Mais pour parvenir à ce foisonnement végétal, il a fallu d’abord amender un sol pauvre – du sable. Une prouesse réussie grâce au compost mis en place au camping depuis quatre ans. « Nous avons collecté 19 tonnes de déchets alimentaires en 2023. Mais on pourrait atteindre les 80 tonnes », estime le gérant, tout en montrant le terrain sur lequel reposent deux immenses buttes de compost. 

Économiser l’eau

Le château d’eau irrigue tout le camping avec une eau d’exception forée sur place. 125 000 m3 d’eau ont été consommés en 2017, entre 80 et 90 000 m3 en 2023. Dans le même temps, le taux d’occupation n’a cessé d’augmenter. @Marcelle

L’autre grand chantier de cet ingénieur de formation est la gestion de la ressource en eau. Une réflexion qu’il mène depuis qu’il a rejoint l’affaire familiale en 2016. Le camping a la chance d’avoir son propre forage. « Une excellente eau provenant de la nappe phréatique et du ruissellement du massif », détaille-t-il dans le ventre du château d’eau duquel partent neuf voies de distribution. Sur les 125 000 m3 consommés par an, la moitié l’est par les clients – « se doucher, faire la vaisselle, etc. », 15% pour les espaces verts, 20% pour les piscines, un peu pour la laverie et les restaurants. Et le reste, les fuites. « En général, sur n’importe quel réseau, ça représente 30% de la consommation ». Leur localisation reste compliquée, les seuls indices étant une flaque d’eau ou une végétation plus foisonnante qu’ailleurs. Pour les détecter plus facilement, la direction a maillé progressivement le camping avec 40 capteurs d’Osmozis, une PME de la périphérie de Montpellier. Ses boîtiers connectés mesurent les écarts en temps réel, « donc les fuites », qui sont ainsi géolocalisées.

1 000 m3 d’eau de piscine recyclée

Un des premiers projets du camping, en 2016, a été de revégétaliser les emplacements pour leur apporter davantage d’ombre et de fraîcheur. Effet secondaire : moins d’utilisation de la climatisation. @Marcelle

Après avoir réduit de trois quarts la consommation en eau des espaces verts, « en optant pour des variétés adaptées au climat et un arrosage au goutte-à-goutte », Thierry Poirot s’est attaqué aux piscines. Comme elles reçoivent du public, la réglementation l’oblige à renouveler quotidiennement une partie des bassins – environ 182 000 m3 qui partaient auparavant dans les eaux usées. Une absurdité, « surtout que c’est une bonne eau issue du forage ». Il a alors mis en place un système qui décante puis filtre l’eau de piscine. C’est avec cette eau déchlorurée que le camping arrose aujourd’hui ses espaces verts, y compris les deux hectares de maraîchage.  Après cinq ans de travaux, ils parviennent cette année à « un équilibre total entre notre obligation de renouvellement d’eau de piscine et l’arrosage de tout notre camping », se félicite ce repenti de la nature, qui a construit autrefois des centres commerciaux avec son bureau d’étude.

Des difficultés

Le camping est le paradis des enfants (et donc des parents) @Marcelle

Thierry Poirot, qui craint le greenwashing, ne brandit surtout pas Les Sablons comme un exemple de développement durable, « il reste encore des milliers de progrès à faire ». Par exemple, la production maraîchère est pour l’instant exploitée seulement en partie par les restaurants. Dans le monde idéal de ce quinqua animé de bonnes intentions, les chefs de cuisine composeraient leur menu uniquement à partir des légumes du potager, et non l‘inverse. « Il y aurait alors une vraie osmose entre la culture et l’assiette. Et les clients découvriraient des légumes goûteux et une autre manière de les cuisiner ».

Moins de clim’

Dans le champs professionnel, les cultures sont en abondance grâce aux techniques de permaculture, à la terre enrichie et à l’absence de problème d’eau. Pour l’instant fermé aux clients du camping, il sera accessible aux vacanciers souhaitant se former à la permaculture ©Sablons

Le camping offre le surplus aux salariés et aux clients inscrits aux ateliers, en attendant de former les cuisiniers en place depuis un an. Pareil pour la gestion de la climatisation, il faut former les femmes/valets de chambre pour qu’ils la programment quand c’est nécessaire. Thierry Poirot projette de trouver un système pour la centraliser et la piloter depuis un ordinateur, comme pour les capteurs de fuites. D’ailleurs, à propos des capteurs, « sur le papier, ça marche, mais il faut surveiller le tableau de bord, observer les écarts et bien sûr repérer la fuite. L’année dernière, on a mis 15 jours à en trouver une. L’enjeu est de continuer d’apporter un service à notre clientèle. On ne peut pas couper l’eau trop longtemps ». 

Recycler 100% des eaux usées

Les douches de sortie de la plage seront à terme de l’eau recyclée @Marcelle

Pour mener à bien ses desseins, Thierry Poirot prend le temps, observe, accepte de se tromper, explore plusieurs pistes. Mais, poussé par son ami Charles Hervé-Gruyer, de La Ferme du Bec Hellouin, il voit grand. Ainsi l’ambitieux s’est lancé le défi d’ici cinq ans de recycler toutes les eaux usées, « zéro rejet dans la station d’épuration ». Un projet qu’il estime réalisable, car « on maîtrise les usages de l’eau dans le camping : vaisselle, sanitaire, cuisine, etc. Et donc, la qualité », explique cet adepte des challenges. En effet, aucun risque a priori que des vacanciers la polluent, avec de la peinture par exemple. Il est donc possible de trouver un traitement adapté – par UV, avec bambou, etc. – pour chaque usage. Et utiliser, par exemple, l’eau de vaisselle pour les sanitaires, qui servira ensuite pour les espaces verts. Si la collecte et le traitement s’annoncent aisés, la difficulté reste la redistribution de ces eaux recyclées. 

Un investissement élevé

Les lettres des Sablons sont formées par des abris à insectes pour faire revenir les oiseaux. Il y en aurait plus de 70 sur le camping. @Marcelle

Cet agitateur d’idées aimerait connecter aussi les eaux pluviales, « mais à quoi ? On ne sait pas encore ». Éliminer les bouteilles d’eau en plastique à la supérette – « une hérésie alors que notre eau est exceptionnelle ». Être en quasi-autonomie en électricité – « un mix certainement avec du photovoltaïque, on se donne cinq ans ». Et bien d’autres projets pour que « ce gros camping de bord du littoral soit plus respectueux de l’environnement, voire écologique ». Plus rien ne l’arrête – « on est au début du commencement ». Pas même l’investissement : 28 millions d’euros depuis 2016. Ce montant paraît démesuré, d’autant que Thierry Poirot affirme qu’il entreprend cette transition écologique par conviction, « quand on met l’économie au premier plan, on se plante ». Il s’avère qu’à l’arrivée, cette stratégie est payante. Le camping a augmenté son nombre de nuitées de 25 % ces six dernières années et s’annonce complet cet été. Les clients sont en effet contents, « le taux de satisfaction explose ». Ils apprécient l’espace Permaculture, mais aussi les animations. Ce soir, c’est soirée karaoké et pool party.♦   

Bonus

  • Le projet en cours est un parc de cinq hectares. Il englobera les deux espaces maraîchers et l’aire de loisir qui sera renaturée. Il sera connecté avec les deux étangs, longtemps ignorés, où l’on aperçoit parfois des flamants roses. Ce futur parc présentera un parcours agréable pour les vacanciers qui pourront alors (re)découvrir la nature.
  • Charles Hervé-Gruyer est le cofondateur de La Ferme du Bec Hellouin, qui fait aujourd’hui référence en matière d’agriculture naturelle. Sa notoriété s’est accrue avec la sortie du film Demain qui y consacre un chapitre. La ferme dispose d’un centre de formation et développe un programme de recherches-actions, en partenariat avec diverses institutions. Le programme 2023-2030 est « L’écoculture – Une agriculture naturelle et résiliente pour le monde d’aujourd’hui et de demain ». Charles Hervé-Gruyer est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « PERMACULTURE. Nourrir les hommes, guérir la Terre » (éditions Actes Sud).