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La 3D : une solution décarbonée pour les expositions ?
Le Calais Street Art Festival fait sa révolution cette année avec un parcours expérimental inédit, en réalité augmentée, signé Stephan Muntaner. Vingt créations y sont visibles depuis un téléphone portable, sur des sites choisis. Il suffit de scanner un pictogramme réalisé au pochoir sur le sol et l’œuvre apparaît en 3D. On peut en faire le tour, l’agrandir pour en saisir les détails depuis un banc ou debout au milieu des passants. Au-delà de l’aspect visuel bluffant, cette nouvelle technologie révolutionne le monde de l’art en l’ouvrant à des générations qui ne vivent plus qu’avec le numérique. Avec un impact carbone plutôt compétitif.
Pour accéder aux œuvres, il suffit cet été de cheminer dans les rues de Calais et de son agglomération. Véritable laboratoire à ciel ouvert, Calais XXL Experience propose vingt créations en réalité augmentée, visibles depuis un téléphone portable (iPhone ou Android). Installations de rues invisibles (et donc non intrusives pour ceux que ça n’intéresse pas), ces œuvres virtuelles s’inspirent de références issues de la culture pop, de l’art, des contes fantastiques, des jouets de l’enfance et du kitsch. Elles sont signées du designer marseillais Stephan Muntaner, qui s’applique à explorer des thématiques telles que l’amour, l’environnement, le handicap, la différence, la guerre, la peur, l’inconnu, la confiance en soi… Tout en les abordant sous un angle poétique, ludique, décalé et parfois même burlesque.
Depuis 2022, cet artiste exubérant et avant-gardiste (lire bonus) revendique l’utilisation de l’intelligence artificielle dans son travail de création. « J’utilise Midjourney, une IA spécialisée dans la création d’images génératives à partir de descriptions textuelles. La machine va vite, 30 secondes pour une proposition. Mais il m’arrive de passer une journée entière pour qu’elle arrive à produire ce que j’ai imaginé, et ce après avoir généré plus de 1400 images… À l’inverse, je peux partir avec une idée et l’IA au fil des représentations va m’orienter sur autre chose. Une sorte dialogue se crée. Pour autant, c’est mon cerveau qui décide quand le but est atteint. Quand l’idée que je veux représenter et transmettre est aboutie ». Cette coopération entre l’artiste et l’IA renvoie une nouvelle fois à la proposition de Marcel Duchamp au début du 20ème siècle pour définir une œuvre d’art : le choix relève du seul artiste.

Une démocratisation de l’art urbain
Au-delà de ce débat qui perdure, le projet estival Calais XXL Experience vise à démocratiser l’accès aux modes de création utilisant les nouvelles technologies. Car la réalité augmentée est souvent limitée aux grandes métropoles en raison de facteurs culturels et techniques. Les infrastructures et les ressources nécessaires pour ces technologies y sont généralement concentrées, créant un déséquilibre dans la diffusion des innovations artistiques. Les métropoles bénéficient en effet de la densité de population, de financements et d’institutions culturelles favorisant l’adoption rapide de nouvelles formes d’art.
Cette exposition poursuit ainsi, entre autres objectifs, de rendre la création plus accessible à des territoires urbains plus restreints et ruraux. L’usage répandu du téléphone portable dans toutes les tranches d’âge facilite cette initiative. Contrairement aux expériences nécessitant des casques onéreux, l’application développée spécifiquement pour cette exposition Calais XXL Experience fonctionne sur les téléphones portables de trois générations. Elle intègre aussi les dernières évolutions technologiques, permettant de toucher un public plus large et d’éviter de créer une différence sociale liée à l’accessibilité technologique.
♦ Relire l’article : Calais, station balnéaire plutôt que jungle
Une empreinte carbone minime
Dans ce cas précis, l’empreinte carbone est moindre. Réaliser ces créations en version « réelle » impliquerait des coûts environnementaux élevés. Cela inclurait fabrication, transport, maintenance, carburant, électricité pour l’animation, gardiennage, dispositifs de sécurité, installation et démontage, mais aussi recyclage des déchets. Bien que le dispositif ne soit pas exempt d’émissions de carbone, il reste bien en dessous des émissions provoquées par ces éléments.
Le projet Calais XXL Experience s’inscrit donc dans une démarche de réduction de l’impact environnemental des solutions numériques. En optant pour l’embarquement des créations 3D directement dans l’application, le parcours dans l’agglomération limite fortement l’usage du réseau data. La démarche a été pensée pour trouver le juste équilibre entre la qualité d’affichage des créations et animations artistiques et le poids de l’application. Une phase de R&D pour optimiser le positionnement géolocalisé des œuvres virtuelles dans leur environnement réel a également permis de limiter drastiquement l’usage du réseau data par les futurs visiteurs de cette exposition.

En amont, un coût énergétique diffus mais réel
Reste que, comme toute activité humaine, l’IA génère sa propre empreinte écologique. Celle-ci est mesurée par le bilan carbone. Les besoins en puissance de calcul, en stockage de données et en énergie, sont autant de facteurs contributifs. Notamment l’utilisation massive d’applications d’intelligence artificielle générative grand public, telle que ChatGPT.
Ainsi depuis 2022, la demande en ressources ne cesse d’augmenter. Elle s’inscrit dans le contexte plus large de l’impact environnemental du numérique avec des technologies numériques désormais omniprésentes. L’étude de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) dresse un constat alarmant. Des data centers aux appareils connectés, l’empreinte environnementale du numérique se situe entre 3 à 4% des émissions des GES dans le monde et 2,5% en France. Ces émissions pourraient augmenter de 60% d’ici 2040 (source IA School).

Le web 3, la solution pour un futur artistique durable ?
Parallèlement à l’exposition Calais XXL Experience, la plateforme de Web3 Divenci s’associe au Musée d’Art Yindi et à l’Académie d’Art Li Keran pour organiser l’exposition “60 ans de relations diplomatiques entre la Chine et la France.”

Stephan Muntaner, au côté d’autres artistes renommés français et chinois, présente des œuvres symbolisant six décennies d’échange culturel. Divenci utilise la blockchain et les NFT pour garantir la sécurité et l’authenticité des œuvres. La plateforme se définit comme une opportunité donnée aux artistes de protéger leurs créations, d’atteindre un public mondial et d’explorer via l’IA des univers sans limites. Reste l’impact environnemental. Il y a fort à parier que l’IA soit mise à contribution pour apporter des solutions… ♦
Bonus
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Stephan Muntaner, artiste protéiforme au parcours éclectique. Graphiste, designer, directeur artistique, photographe, plasticien, illustrateur, typographe, scénographe et vidéaste, il est inclassable. Se décrivant lui-même comme un “oignon trapéziste”, il incarne l’équilibre et la diversité de son travail.
Dans les années 1990, partageant son temps entre Marseille et Barcelone, il crée le logo et les pochettes emblématiques du groupe de rap IAM. Puis, en 2003, avec le studio graphique “Tous des K”, dont il est cofondateur, il remporte une Victoire de la Musique pour le meilleur site internet. Il poursuit ses explorations visuelles pour des groupes comme Massilia Sound System, les Troublemakers et DJ Oil. Signe également les affiches du festival Jazz des Cinq Continents de Marseille, pendant 15 ans et les flyers du festival électro “Boréalis”.

Muntaner est sollicité pour concevoir l’identité de nombreuses institutions culturelles. Ses collaborations incluent Philippe Decouflé / Cie DCA, Angelin Preljocaj / Pavillon Noir, Hervé Robbe / CCN Le Havre Haute-Normandie, Le Merlan et LE ZEF / Scène nationale de Marseille. Il travaille étroitement avec François Delarozière pour les visuels des spectacles de La Cie La Machine. Et avec Pierre Oréfice pour les Machines de l’île à Nantes et la “Halle de la Machine” à Toulouse. À Calais, il conçoit l’identité visuelle de “Calais la Plage” et “Calais XXL”.
Communication décalée et expérimentations
Impliqué dans plusieurs projets de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture, il remporte en 2018 l’appel d’offres pour la communication graphique de “Quel amour !”. Il collabore également avec Bernard Souroque sur des événements majeurs comme les 2600 ans de Marseille, le passage à l’an 2000, les Jeux Mondiaux de la voile et le spectacle d’ouverture de Marseille Capitale européenne de la culture en 2013.
Depuis février 2022, Stéphan Muntaner explore donc les algorithmes d’intelligence artificielle générative. Il intègre, désormais cette technologie dans son processus créatif qu’il explore sous différentes formes avec le collectif BBB (Big Bold Brothers). Un collectif informel autour de projets de création expérimentale afin de créer des univers singuliers.
Il est le concepteur des logos et chartes graphiques de “Marcelle” et “22-med”. Pour ce média déployé dans les 22 pays du pourtour méditerranéen en autant de langues, il conçoit avec un recours à l’IA les images qui illustrent le dialogue entre scientifiques de la tribune du jeudi sous l’égide de l’Unesco. En septembre, ces œuvres d’art seront présentées dans un espace-galerie et deviendront des NFT. Une collection marquant les problématiques d’une époque dans un espace géographique menacé, la Méditerranée, considéré comme le berceau de notre civilisation.
