Agriculture
Changement climatique : le coup de ‘’pousse’’ de Confian’Sol aux agriculteurs
Kahina Baha est ingénieure agronome. Très sensible à la cause agricole, elle a créé une structure qui accompagne les exploitants du Languedoc-Roussillon en les orientant vers la culture de pistachiers et d’oliviers, plus propice aux aléas du temps et source complémentaire de revenu. Un soutien technique et moral de taille.
C’est la mi-juillet. Après un début d’été mi-figue mi-raisin, la chaleur s’est installée à Rieux-Minervois dans l’Aude. Comme partout ailleurs dans le sud de la France. Elle est soudaine et de plomb. De bonnes chaussures aux pieds, la casquette vissée sur la tête, le bloc-notes et l’outil de mesure à la main, l’ingénieure agronome, Kahina Baha, et l’animatrice arboriculture fruitière au Biocivam de l’Aude, Gwenaëlle Didou, arpentent un champ sec où la vigne règne.
Sur un petit hectare, des arbustes côtoient les ceps. Il s’agit de pistachiers. Ils ont été plantés en janvier 2023. Ce sont eux qui retiennent l’attention des deux femmes. Elles les observent sous toutes les coutures : leur développement, le diamètre du tronc, la pousse des mois écoulés depuis leur dernière visite en avril. Elles notent consciencieusement les chiffres obtenus, leurs impressions. La parcelle est l’un des terrains pilotes d’un projet financé par l’Agence de l’eau et la Région Occitanie. L’objectif est d’étudier plusieurs espèces arboricoles, dont le pistachier, afin d’obtenir des données pour mieux accompagner les agriculteurs engagés dans la diversification des cultures.
Dans l’Aude, quatre parcelles sont investies, réparties entre le Minervois, Limoux et Val-de-Dagne. Quelques hectares dans Hérault et dans les Pyrénées-Orientales servent aussi de ‘’laboratoire’’. Ce déploiement géographique est intéressant car les conditions climatiques diffèrent entre les divers points. Cela permet de recueillir des renseignements plus fournis et localisés. Kahina Baha apporte son expertise technique dans cette opération à travers Confian’Sol, structure qu’elle a créée en mai 2022 à Carcassonne.

Le pistachier s’adapte bien au stress hybride, thermique et lumineux
L’ingénieure agronome n’en est pas à ses premières expériences. Très sensible à la cause agricole, elle intervient auprès des exploitants désireux d’adapter leurs cultures à un changement climatique inéluctable. Cela suppose de laisser derrière soi les pratiques ancestrales et la monoculture traditionnelle. De se tourner vers d’autres modes de productions plus économes en ressources naturelles et respectueux de l’environnement et, à terme, sources complémentaires de revenu.
« C’est un investissement et un changement énormes pour une profession souvent peu considérée », souligne Kahina Baha, qui a baigné très tôt dans ce milieu par l’intermédiaire de ses aïeux paysans. « Je suis consciente des abus du passé engendrés par les différentes politiques agricoles. Ce n’est pas normal qu’en 2024, bon nombre de nos exploitants n’arrivent pas à joindre les deux bouts. C’est aussi pour cela que j’ai voulu contribuer à ma façon au virage qui s’impose ».
Le pistachier s’adapte bien au climat du pourtour méditerranéen, sec et aride. Il a besoin de températures hautes et d’heures de froid. C’est-à-dire en dessous de 10 degrés, ce qui est crucial pour assurer une croissance adéquate. L’arbre tolère un certain nombre de maladies et résiste assez bien aux stress hydrique, thermique et lumineux propres aux aléas climatiques. « Il a besoin d’être irrigué les trois premières années, mais ensuite il n’est pas gourmand en eau », précise la diplômée de l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSAT).

Le pistachier et l’olivier, arbres qui ne nécessitent pas beaucoup d’eau
Le pistachier intéresse beaucoup les viticulteurs du coin. Le fruit des variétés italiennes et grecques (Egine, Napolitaine, Pontikis, Sirora, Larnaka) – et de la variété iranienne plantée sur la parcelle de Rieux-Minervois (Avdat) – est réservé à la pâtisserie. Les pistachiers, dont le fruit est produit pour le snacking, sont de plus gros calibres et réclament plus d’eau. En Provence, la culture de l’arbre originaire du Moyen-Orient est déjà bien relancée. Le Languedoc-Roussillon prend la même voie, épaulé par le syndicat France Pistache, dont Kahina Baha est l’un des membres du conseil d’administration.

La culture de l’olivier est aussi une alternative pour faire face aux aléas climatiques et économiques. « C’est un arbre que l’on trouve beaucoup en région Paca et dans l’Hérault, un peu moins dans l’Aude. Il se plie très bien aux conditions de temps du pourtour méditerranéen », explique l’ingénieure agronome, partie prenante d’un projet de ferme de 150 hectares, dont 50 de forêts et 100 d’oliveraies de quatre variétés différentes, à Roullens, au cœur du Pays Cathare. Le programme Nectar Ingénierie agricole en est le principal porteur.
L’olivier contribue à limiter les effets du réchauffement climatique grâce à son effet puits de carbone. Ses besoins hydriques sont très modestes. Une oliveraie d’un hectare nécessite 800 m3 d’eau par an contre 3 500 pour la même surface de céréales. Le fruit récolté peut servir à la consommation directe (conserves, commerces de primeurs…), à la fabrication d’huiles. Mais aussi de biocarburant via le noyau à l’instar de ce qui est déjà expérimenté en Espagne.
♦ Relire l’article : Un verger conservatoire pour les variétés anciennes
Des projets à la pelle pour sensibiliser au monde agricole
Outre son expertise, Confian’Sol, la structure de Kahina Baha hébergée par la coopérative d’entrepreneurs Crealead, ambitionne de sensibiliser à la cause et au monde agricoles le jeune public des collèges et lycées, ainsi que le milieu associatif. « J’aimerais également être une passerelle qui favorise le rapprochement entre les migrants et l’agriculture dans un souci d’apport mutuel et d’intégration. Il y a tant à faire pour les uns et les autres ».
Touche-à-tout débrouillarde, la trentenaire est toujours sur la route, calée sur le rythme des saisons. Le printemps et l’été en cadence avec le végétal. L’hiver plus à l’écoute des besoins du sol. Sa soif d’entreprendre et d’apprendre l’amènent à suivre dès que possible des formations pour affiner ses connaissances : à Bordeaux à l’École nationale supérieure des sciences agronomiques pour élargir ses compétences sur la conservation des sols, à Saint-Rémy-de-Provence pour parfaire ses conseils en oléiculture…
Et puis il y a ce rêve si cher de pouvoir un jour disposer en son nom propre d’une exploitation agricole. Pour y cultiver des oliviers et des pistachiers. Cela va de soi. Un retour aux sources qui illustre, par ailleurs, sa conviction que l’avenir appartient bien aux gens de la terre. ♦

Bonus
- Une enquête pour mieux cerner les besoins. Les associations de producteurs Bio de l’Aude, de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales ont lancé une enquête à destination des consommateurs et des acheteurs. De quoi mieux connaître la demande en produits afin d’accompagner les producteurs d’Occitanie dans l’adaptation des cultures au dérèglement climatique. Au banc des aliments concernés, se trouvaient les pistaches, les avocats et les agrumes. Mais également des fruits plus exotiques comme le feijoa (goyavier du Brésil) et le pacanier (noix de pécan).
« Dans les mois qui suivent nous allons analyser les données récoltées », raconte Gwenaëlle Didou, animatrice arboriculture fruitière au Biocivam de l’Aude. Les questions portaient à la fois sur la fourchette de prix à l’achat que le consommateur était prêt à dégager que sur l’intérêt d’avoir ces variétés sur les étals des épiciers et autres maraichers.
- Le réseau des Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). Composé d’agriculteurs et de ruraux qui œuvrent de concert à la transition agroécologique, il comprend 130 associations à travers l’Hexagone. Leurs valeurs sont les mêmes, avec des objectifs adaptés au territoire de résidence.