AlimentationSanté

Par Marie Le Marois, le 3 septembre 2024

Journaliste

Notre humeur est dans l’assiette

Une bonne alimentation peut influencer de manière positive notre humeur @Betty Jalenques
De nombreuses études scientifiques ont démontré le pouvoir de l’alimentation sur notre humeur. Le Dr Guillaume Fond, psychiatre, est le porte-voix en France de la psychonutrition, un domaine de recherche en pleine expansion au croisement de la nutrition et de la psychologie. Très occupé à créer la première solution de compléments alimentaires dédiés à la psychiatrie, disponible fin septembre 2024, il s’est entretenu avec nous via visioconférence, depuis son bureau situé à l’hôpital La Timone. 

Marcelle – Il arrive qu’on soit irritable après un repas. Notre assiette peut-elle en être la cause ? 

Dr Guillaume Fond – « Totalement. De nombreuses études scientifiques ont été menées ces dernières années, puis synthétisées à travers des publications de grande ampleur (méta-analyses dans le jargon). Elles démontrent que l’alimentation a une incidence sur notre humeur du jour, mais aussi notre santé mentale – stress, anxiété, dépression, troubles de l’attention et du sommeil. Si votre ado a des coups de déprime ou des troubles de la concentration, regardez d’abord son assiette ». 

♦ À lire : Bien manger pour ne plus déprimer. Prendre soin de son intestin pour prendre soin de son cerveau’’, Dr Guillaume Fond, éditions Odile Jacob

De quelle façon l’alimentation nous affecte-t-elle ?

Le Dr Guillaume Fond est psychiatre, enseignant et chercheur à l’université Aix-Marseille @DR

« Prenons l’exemple du sandwich triangle au pain de mie raffiné. C’est une bombe de sucre par opposition à du pain non raffiné. Si on enchaîne avec une activité physique, ce sucre sera absorbé par les muscles. Mais la plupart du temps, notre activité est sédentaire, c’est-à-dire assise ou couchée. Le sucre s’accumule alors dans nos intestins, crée une explosion inflammatoire, perturbe notre corps et donc notre cerveau. Il en découlera moins d’énergie, moins de concentration, plus de stress et d’anxiété. La dégradation de l’humeur peut être très rapide. En effet, les sucres raffinés passent dans les intestins en une à deux heures ».

Comment l’inflammation de nos intestins monte-t-elle au cerveau ? 

« Il existe plusieurs voies dont la plus simple est celle du nerf vague. Notre microbiote intestinal produit également des molécules dans lintestin, qui montent dans le cerveau via la circulation sanguine et le système immunitaire. Une fois parvenues dans le cerveau, elles peuvent s’avérer délétères pour certaines fonctions nerveuses. Elles conditionnent notre réaction au stress, la génération d’émotions négatives, et notre façon d’appréhender le monde. Autrement dit, plus je mange mal, plus jaugmente ma vulnérabilité mentale »

L’alimentation a-t-elle le même impact pour tout le monde ?

« Nous ne sommes pas tous égaux. Certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres. Tout dépend de notre hérédité, si le sandwich est ponctuel et si on a par ailleurs une alimentation saine et beaucoup dactivités physiques. Dans ce cas, il aura moins d’incidence. Tout dépend également de l’état de notre microbiote. La personne, qui a ingéré beaucoup d‘antibiotiques durant sa vie ou eu beaucoup de gastro-entérites, sera plus impactée ».

Vous mettez en cause les produits ultra-transformés, qu’entendez-vous par là ?

Ce yaourt n’est pas si bon pour la santé avec ses additifs alimentaires @Marcelle

« Un produit qui contient plus de cinq ingrédients, avec des noms compliqués, des exhausteurs de goût, des additifs et des émulsifiants : biscuits, plats cuisinés, snacks, boissons sucrées, bonbons, pâtes à tartiner, nuggets, etc. Les produits ultra-transformés, issus de lagro-industrie, manipulent nos papilles pour nous rendre accros et sont généralement riches en sel, sucre et graisses saturées. Et en même temps, pauvres en nutriments essentiels. Leur composition fait qu’on n’est jamais rassasié. C’est toute la différence entre un aliment et un produit. Le premier comble notre appétit et reste positif pour notre santé. Le second nous laisse sur notre faim et est nocif. Il existe également le produit émotionnel. On ne mange pas parce qu’on a faim, mais pour soulager une émotion – stress, irritabilité, contrariété, etc. Il est souvent très riche en sucre et graisses, comme le pot de glace ou les chips avalés devant une série télé ». 

L’expression ‘’les carottes rendent aimables’’ est-elle un mythe ?

Le régime crétois diminuerait de 33% le risque de dépression @DR

« On m’a dit ça aussi enfant. Cette phrase fait partie des stratagèmes pour que les enfants mangent des légumes. La carotte a certes des bienfaits, mais pas plus que les autres. Par contre, une méta-analyse datant de 2020 a démontré que la consommation régulière de légumes diminuerait de 9% le risque de dépression et celle de fruits de 15%. Le régime crétois diminuerait de 33% ce risque. Riche en fibres et en oméga 3, il privilégie les fruits et légumes frais, les légumineuses, les noix et céréales complètes, le poisson et la viande, mais la blanche et en petite quantité.

À l’inverse, le pire des régimes est l’alimentation occidentale : produits ultra-transformés, viande, sel, graisses saturées, sucre rapide. Elle augmente de 33% les risques de dépression. Ce régime concerne des centaines de milliers de personnes en France. On peut dire qu’un Français sur cinq fera potentiellement une dépression à cause d’elle. Personne n’est à l’abri, même pas moi. Sauf que je fais très attention ». 

« Cinq aliments bénéfiques pour la santé mentale : les fruits notamment les baies. Les légumes comme les épinards, les brocolis et les asperges. Les légumineuses comme les pois chiches et les haricots secs. Les oléagineux comme les noix de Grenoble, de cajou et les amandes. Les yaourts riches en probiotiques comme le Skyr », Dr Guillaume Fond. 

Vous contribuez à l’essor de la psychonutrition en France. De quoi s’agit-il ?

« La psychonutrition est une science qui relève à la fois de la psychologie et de la micronutrition. Ce domaine en pleine émergence montre l’efficacité sur la santé mentale des aliments et des nutraceutiques – combinaison de « nutriment » et « pharmaceutique » qui sont des nutriments très concentrés commercialisés sous forme de compléments alimentaires (bonus) ». 

Que prescrivez-vous à vos patients souffrant de dépression ?

Les nutraceutiques omégas 3, vitamine D, B9 et Zinc ont prouvé leur efficacité pour la dépression @DR

« Actuellement, je ne donne pas de consultation directe. Je fais de la recherche et coordonne deux centres experts dont un qui ne reçoit que les patients ne répondant pas aux antidépresseurs. Si la personne présente une dépression caractérisée, nous prescrivons demblée les nutraceutiques qui ont prouvé leur efficacité – omégas 3, vitamine D, B9 (bonus), Zinc -, en même temps que nous mettons en place les recommandations alimentaires ». 

Comment aidez-vous les patients à modifier leurs habitudes alimentaires ? 

“On ne va pas retirer la première fois leur ‘’béquille’’, comme la tablette de chocolat, car sinon ils ne reviendront pas”, Dr Guillaume Fond @Marcelle

« On passe à la loupe leur alimentation. Bien sûr, on ne va pas retirer dès la première fois leur ‘’béquille’’, comme la tablette de chocolat, car sinon ils ne reviendront pas. On explore ensemble ce qui peut être supprimé ou remplacé le plus facilement : le sucre dans le café, choisir un chocolat pauvre en sucre (100% cacao), se réhabituer au goût amer… Prendre conscience de ce qui est néfaste dans son alimentation représente la moitié du travail. Savoir, par exemple, que la crème dessert est composée d’émulsifiant et de sucre – un cocktail qui attaque l’intestin – change le regard qu’on avait sur elle ». 

Puisque la psychonutrition a montré son efficacité, notamment sur la schizophrénie (bonus), pourquoi n’est-elle pas plus prodiguée ? 

« Il reste beaucoup de freins. D’abord, l’impact de l’alimentation sur notre humeur reste encore méconnu. Lors de mes études il y a vingt ans, je n’ai eu que quatre heures de macronutrition et c’était surtout de la diététique, comme le calcul des calories. Ensuite, la psychonutrition est un domaine qui évolue vite et s’avère plus complexe que les antidépresseurs. Il faut détailler les compléments un par un, connaître la posologie, la forme d’admission – dose ou ampoule ? Pour pallier ces méconnaissances, je forme des psychiatres, des médecins et des para-pharmaciens via le e-learning. J’ai également synthétisé toutes les données sur la psychonutrition dans un e-book gratuit ». 

Peut-on parler de révolution de la psychonutrition pour la santé mentale ?

« Elle le sera quand je verrai des professionnels que je n’ai pas formés utiliser la psychonutrition. Les premières études datent de 2010, c’est donc extrêmement récent. Au début, la psychonutrition faisait rire. Douze ans plus tard, en 2022, elle figurait sur liste des recommandations de la Fédération mondiale des sociétés de psychiatrie biologique pour le traitement des troubles psychiatriques ».♦ 

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Bonus

  • Origine de la psychonutrition. Guillaume Fond raconte que la première étude montrant l’association entre des consommations d’aliments et la santé mentale est une étude australienne publiée dans l’American Journal of psychiatry en 2010. Les chercheurs australiens ont été ensuite leaders pour fédérer une communauté scientifique et établir des recommandations internationales publiées en 2022.
  • Exemple de nutraceutique : la vitamine B9. Dans la dépression, les patients souffrent dun déficit de sérotonine (neurotransmetteur du cerveau qui intervient dans lhumeur). « Il peut être utile de prescrire la vitamine B9 active, le méthylfolate, coenzyme qui facilite la synthèse de la sérotonine », Guillaume Fond. 
  • La première solution de psychonutrition disponible fin septembre 2024. Cette solution répondra aux patients qui ne trouvent pas de compléments de qualité ou sous-dosés. Elle sera commandable directement sur internet sous forme d’abonnement sans engagement. « La cure n’a en effet aucun sens puisqu’un cerveau ne peut pas faire de stock », souligne le Dr Guillaume Fond qui y travaille depuis un an et demi. Cette solution contiendra bien sûr des omégas 3, de la vitamine D, de la vitamine B9 active, du zinc et d’autres nutriments essentiels pour la santé du cerveau. « Le prochain sera certainement un psychobiotique : un probiotique qui a prouvé son efficacité sur le stress, l’anxiété et la dépression ».
  • Lire aussi : Nutrichamps, le jeu qui parle agriculture ET alimentation 
  • Une chaîne YouTube. Pour partager ses connaissances au plus grand nombre et aider les patients à modifier leur comportement alimentaire durablement, Guillaume Fond a créé une communauté avec une chaîne YouTube et un compte Instagram (@dr_guillaume_fond). Il a également écrit ‘’Je fais de ma vie un grand projet’’ (éd. Flammarion)
  • “Mon fils suit les préconisations du Dr Guillaume Fond. Ce qui est compliqué pour lui, c’est de penser à prendre les compléments “, Christine, maman d’un jeune souffrant de schizophrénie @DR

    Une découverte concernant la schizophrénie. « La schizophrénie touche 500 000 patients en France, particulièrement les 18-25 ans. Elle ne provoque pas toujours, comme on le croit, des délires ou des hallucinations, mais reste très handicapante. Au terme de trois ans de recherche, nous avons fait une découverte surprenante qui est l’efficacité d’un conservateur alimentaire : la benzoate de sodium. Il sert à lutter contre les moisissures et les levures. Il diminue les délires, les hallucinations et le repli sur soi des patients dont la schizophrénie ne répond pas suffisamment aux antipsychotiques. La N-acétylcystéine et les Oméga 3 sont aussi très efficaces respectivement pour le repli sur soi et les symptômes dépressifs ». Lire Les antipsychotiques ne sont plus lalpha et loméga du traitement de la schizophrénie.