AgricultureÉconomie

Par Frédérique Hermine, le 9 septembre 2024

Journaliste

Ferme-auberge : un modèle intéressant pour les domaines viticoles ?

Dans les fermes-auberges, La liste des produits autorisés est définie par département, en fonction de la production locale. ©F.Hermine
Aujourd’hui, il ne reste qu’environ 200 fermes-auberges en France, plutôt concentrées au sud d’une ligne reliant l’Alsace au Sud-Ouest. Un phénomène lié à la raréfaction de la polyculture. Dans le Var par exemple, seuls deux domaines viticoles ont tenté ces dernières années le label « Bienvenue à la ferme » réservé aux fermes-auberges. La cuisine en circuit court y est de grande qualité, accompagnée des vins du domaine. Mais les bénéfices restent mitigés.

Avec le cadre plus astreignant du label Bienvenue à la Ferme du début des années 2000, le nombre des fermes-auberges n’a depuis cessé de diminuer dans l’Hexagone. De nombreuses exploitations ont abandonné l’activité. Ou bien changé de statut pour devenir des restaurants purs et simples. Les prix (et les normes d’hygiène) sont d’ailleurs de plus en plus alignés sur la restauration classique, comparés à la cuisine familiale et bon marché à l’origine d’un concept qui s’était généralisé dans les années 1970.

La polyculture tendant à disparaître, c’est tout le modèle qui est remis en cause. Il semble n’être viable qu’avec une gestion familiale d’agriculteurs impliquant la mobilisation de plusieurs générations ou à partir de lourds investissements en équipements et en main d’œuvre. Aujourd’hui, il ne reste qu’environ 200 fermes-auberges sur tout le territoire, plutôt concentrées au sud d’une ligne reliant l’Alsace au Sud-Ouest.

En Paca, on en dénombre seulement une quinzaine dans les six départements (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse). Sur les cinq labellisés dans le Var, deux sont des domaines viticoles : La Font des Pères au Beausset, près de Bandol, et La Table de Mentone, près de Lorgues.

Une charte plus contraignante

La charte Bienvenue à la Ferme, sous la houlette désormais des Chambres d’Agriculture, s’est faite de plus en plus précise, traçabilité oblige. Il faut reconnaître que la définition d’origine a longtemps été floue : la ‘provenance substantielle des produits issus de l´exploitation’ étant difficile à apprécier. Ainsi, depuis vingt ans, le taux d’approvisionnement, calculé sur la base des cartes et menus, doit être d’au moins 51%, à respecter en moyenne sur l’année.

« Cuisiner les produits de l’exploitation relève d’un prolongement d’activité agricole », précise Alexandra Estival, en charge du suivi des dossiers à la Chambre d’Agriculture du Var. « L’origine des produits et le nom du producteur doivent être mentionnés sur la carte pour une meilleure traçabilité de l’approvisionnement ». Les ingrédients principaux (viandes, poissons, fromages, fruits et légumes, gibier, œufs, champignons…) doivent être de qualité fermière. Soit en provenance du domaine, soit de celui d’un agriculteur voisin.

La liste des produits autorisés est définie par département, en fonction de la production locale. Les desserts doivent être de fabrication maison. Les ingrédients secondaires tels que vins, boissons, farine, beurre, épices… entrent également dans le calcul mais dans une moindre mesure. « C’est la matière principale de l’assiette qui compte. Mieux vaut donc proposer une omelette ou des œufs au lait plutôt qu’un gâteau. C’est une gymnastique à pratiquer pour valoriser sa production ».

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« Une belle caution »

« Il est vrai que la procédure est lourde : il m’a fallu six mois pour monter le dossier », avoue le propriétaire de La Font des Pères, Philippe Chauvin, néovigneron depuis dix ans avec sa femme Caroline. « On a créé 5000 m2 de potager avec fruits, légumes et herbes aromatiques et un poulailler avec 249 poules. Ce qui implique d’autres contraintes réglementaires, un renouvellement des volailles tous les un an et demi et l’embauche de plus d’un salarié pour une production qui n’est pas mécanisée. Ce sont de très gros investissements, y compris pour viabiliser et clôturer les installations. Sans compter la difficulté de trouver un chef. ».

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Raphaël Linossier, chef de la Font des Pères ©DR

Depuis cinq ans, Raphaël Linossier jongle à merveille avec œufs, fruits et légumes selon les saisons. Sans oublier les arrivages de poissons de Bandol « qui passent directement de la mer aux fourneaux ». La cuisine est ouverte sur la salle en pierre avec une terrasse face au coucher du soleil sur la Sainte Baume, en surplomb du vignoble. Le chef rivalise d’imagination pour proposer des assiettes goûteuses et colorées, en accord avec les vins du domaine, Bandol et Mont Caume dans les trois couleurs. Philippe Chauvin a même lancé un vin rosé pétillant à partir de ses raisins ainsi qu’un gin, une vodka, un marc… Et encore des liqueurs à partir d’herbes du potager (thym, fenouil, romarin, verveine).

Ferme-auberge, une belle caution

Pour faire grimper les prix du menu (entre 32 et 49 euros pour un plat), il envisage aujourd’hui d’investir dans une serre aux morilles pour le printemps prochain. « Après six ans d’exploitation, on a parfaitement intégré les règles. On peut dire que le fait d’être ferme-auberge ne nous apporte pas forcément de clientèle. Mais c’est une belle caution qui prouve que même un établissement de luxe peut travailler en circuit court au sein d’un domaine viticole. Avec toutes nos productions, on grimpe jusqu’à 70% de la valeur, dont plus de 20% uniquement avec les vins ».

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La salle-à-manger de La Font des Pères©F.Hermine

« Un concept encore méconnu »

Le bilan est plus mitigé pour Nicolas Bretton et Martin Serre à la Table de Mentone. Ils envisagent même de renoncer au label. Après avoir rencontré de nombreuses difficultés à fidéliser un chef, les deux frères ont fait appel au renommé Sébastien Sanjoux du Relais des Moines voisin pour superviser une cuisine viticole. Fruits, légumes, huile d’olive, œufs, parfois des truffes et bien sûr les vins bios de Côtes-de-Provence sont produits sur le domaine. Le reste provient de producteurs et maraîchers des environs. Les menus du jour (entre 35 et 45 euros) sont servis sur la grande terrasse sous les arbres, face au caveau, ou dans la grande salle à manger en pierre réaménagée par l’architecte star Jean-Michel Wilmotte.

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Les chefs Romain Lamothe et Sébastien Sanjou, de la Table de Mentone. ©DR

Mais Nicolas Bretton peine à assumer les lourdeurs du label. « Il est parfois difficile de s’approvisionner au domaine ou dans les environs selon les aléas climatiques, surtout en matière de maraîchage. On ne trouve pas toujours chez les voisins. Et il est difficile de mentionner l’origine des produits quand ils changent parfois toutes les semaines. Nous avons à la fois les contraintes d’un domaine agricole et d’une entreprise commerciale ; ça fait beaucoup pour développer un véritable projet œnotouristique ».

Le vigneron envisage donc de se concentrer sur l’obtention d’une étoile Michelin « qui attire plus de clientèle. Le concept de ferme-auberge, finalement méconnu, génère peu de retombées, même en termes d’image. Et le système manque de souplesse, surtout quand le vin est compté comme un ingrédient secondaire alors que nous sommes un domaine viticole ».

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Terrasse de la ferme-auberge Mentone.©DR

Une plus-value dans le verre

« Même si le vin est un ingrédient secondaire, c’est un véritable atout pour un domaine. Car il représente une valeur importante dans un menu », rappelle Alexandra Estival. « Proposer par exemple des menus accords mets-vins aident à la valorisation. Une liste de produits autorisés existe pour chaque département, en fonction de la production locale. Cependant, nous tenons compte bien sûr des accidents de gel ou de grêle selon les secteurs et le calcul se fait sur une moyenne annuelle. Par ailleurs, les contrôles effectués de façon aléatoire se font plutôt l’été, quand la production de l’exploitation est maximale ».

Certains domaines viticoles se sont déjà affranchis du label, tel le Château Saint-Roux dans la plaine des Maures. Mais la chargée du dossier estime que « le terme de ferme-auberge reste une sacrée valeur ajoutée pour une exploitation qui a un devoir de traçabilité pour le consommateur. Néanmoins, nous sommes en train de travailler au niveau national sur une simplification de certaines démarches. Pour faciliter notamment le développement de l’œnotourisme ». ♦