CultureÉconomie

Par Paul Molga, le 13 septembre 2024

Journaliste

Festival photo : le noir et blanc donne des couleurs aux villes

La pétanque à travers l’objectif de Hans Silvester @Rencontres d'Arles

Après le vinyle, l’argentique fait son retour dans le cœur des nouvelles générations. De plus en plus d’expositions fleurissent. Elles dopent l’image et le tourisme des territoires qui les organisent, comme à Arles dont les Rencontres de la photographie ont accueilli 1,5 million de visiteurs en dix ans.

Elles interrogent, surprennent, forcent de nouveaux angles, suspendent le temps, émeuvent, choquent, dérangent… Les images des Rencontres de la photographie d’Arles (jusqu’au 29 septembre) qui signent cette année leur 55ème édition, font toujours l’effet d’un électrochoc. « C’est de l’adrénaline sur argentique », décrit Aurélie de Lanlay, directrice adjointe de cet événement devenu la référence mondiale du secteur pour les professionnels et les amateurs de belles images. La saison qui s’achève à la fin du mois aura vu défiler pas loin de 145 000 visiteurs. Sur dix ans, les entrées à la cinquantaine d’exposition présentées dans des sites patrimoniaux de la ville auront totalisé 1,5 million d’entrées. Et procuré 42 millions d’euros de retombées directes et indirectes à l’économie locale. <!–more–>

Tout le monde en profite : hôtels, restaurants, locations saisonnières, commerces, agents immobiliers… « Les prix au mètre carré ont explosé depuis trois ans », témoigne l’un d’eux. Lancées par le photographe Lucien Clergue et l’écrivain Michel Tournier avec une poignée de bénévoles, les Rencontres ont aussi créé une offre culturelle sans équivalent dans une ville provinciale de cette taille (50 000 habitants). Avec notamment les fondations Luma et Van Gogh, l’éditeur Actes Sud, l’école de la photo ou celle du cinéma d’animation Mopa.

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Une des photos du festival animalier de Montier-en-Der © DE MELAS Alexandre

Un concept qui fait florès

Nombreuses sont donc les villes qui aspirent au même destin. Ces dernières années, le cercle des festivals photo s’est gonflé de dizaines de nouveaux rendez-vous, proposant parfois des thématiques étonnantes. Comme à Vichy, où l’établissement thermal, classé monument historique, expose exclusivement l’art du Portrait(s), nom de ce rendez-vous estival (jusqu’au 29 septembre) qui a attiré l’an passé 47 700 visiteurs.

Ou le curieux Usimages, la biennale de la photographie industrielle (prochaine édition en 2025). La 5ème édition proposée par le service d’action culturel de l’agglomération Creil Sud Oise présentait l’an passé le travail d’une quinzaine de photographes sur le thème de l’énergie et de la métallurgie.

Outre les Rencontres d’Arles, ces nouveaux venus s’inspirent de success stories inattendues, à l’image du festival de Montier-en-Der (du 21 au 24 novembre 2024) devenu la référence internationale de la photo animalière. En quatre jours seulement, ce village de 2000 âmes près de Saint-Dizier attire plus de 40 000 visiteurs autour d’une centaine d’expositions. Les retombées économiques sont énormes : près de 7 millions d’euros, selon une étude de la Chambre de commerce et d’industrie de la Haute-Marne. Elle indique également que chaque festivalier dépense en moyenne 174 euros pendant son séjour.

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Dans les rues de Montier-en-Der © AFPAN l’Or Vert

Un village transformé en galerie d’art

À La Gacilly, fief de la famille Rocher, le champion des cosmétiques, Jacques, le fils de l’industriel et maire depuis trois mandats, a fait de son festival photo « un vecteur de cohésion territorial, de sens et d’attractivité ». Il l’a créé en 2004 quand la revitalisation commerciale autour des boutiques d’artisans d’art réhabilités par la commune dans les années 1970 a fini par s’essouffler. « Il en allait de la survie du village », explique-t-il.

D’abord discrètes, les expositions ont fini par envahir les rues. « J’ai transformé le village en galerie d’art », s’amuse le maire. Cette année, cap sur l’Australie notamment avec 20 expositions déambulatoires à ciel ouvert et en grand format avec des toiles jusqu’à 80 mètres carrés habillant les façades et jardins du bourg.

Renouveau villageois

La visite est gratuite, mais elle a un prix : un million d’euros pour payer la logistique, les tirages, la communication et les photographes, une spécificité unique en France. La famille Rocher met 40% de sa poche. Le solde provient des collectivités, du mécénat local, des ventes de catalogues et depuis peu de la cession de sa licence à Baden, en Autriche, qui expose les œuvres présentées à La Gacilly avec un an de décalage. « Ça vaut le coup », estime le maire, sur la foi d’une étude réalisée par Protourisme. Entre juin et octobre, 300 000 personnes font le déplacement vers cette commune de 2200 habitants qui compte 1250 places de restaurant et une centaine de commerces et d’artisans d’art. Le cabinet a chiffré à 7 millions d’euros les retombées locales (quasiment le double du budget municipal) en plus d’une centaine d’emplois créés en amont et en aval du festival.

♦ Relire l’article : À Roubaix, le street art offre la culture à tous

Combats citoyens

Les retombées en termes d’image sont telles que les collectivités n’hésitent plus à mettre la main à la poche pour boucler leur financement. À Perpignan, le festival de photojournalisme Visa pour l’Image a accueilli près de 5 millions de visiteurs depuis sa création en 1989. Il est exclusivement financé par les collectivités locales (région Occitanie, département des Pyrénées-Orientales, agglomération, ville, chambre de commerce) et près de 80 entreprises partenaires qui fournissent 300 000 euros sur 1,5 million de budget. « Nous recevons le double de retombées économiques avec 200 000 visiteurs et des professionnels venus de plus de 50 pays où notre destination fait écho », témoigne Jean-François Leroy, président-fondateur de cet événement qui fait visiter la ville en s’invitant sur les murs de ses lieux de patrimoine.

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L. (12 ans, à droite) avec sa sœur C. (9 ans) qui n’a pas encore de « vrai » smartphone mais peut faire semblant grâce à des appareils factices de constructeurs chinois de smartphones – Visa pour l’image © Jérôme Gence

Pour les villes organisatrices, ces festivals de l’argentique sont aussi l’occasion de mener des combats citoyens. Ainsi, à Perpignan, l’organisation mène campagne pour éduquer les enfants à la lecture des images. « 20 000 sont initiés chaque année », détaille le directeur du festival, Jean-Luc Soret. À Arles, c’est sur le volet insertion que se concentre Aurélie de Lanlay. Elle emploie 400 saisonniers, dont le quart font l’objet d’une convention avec France Travail pour accompagner leur retour à l’emploi, sur des postes d’accueil, de vente et de sécurité, avec un dispositif de formation et d’accompagnement renforcé. « 70% retrouvent un contrat de travail à l’issue de la saison », se félicite-t-elle. ♦

Bonus

♦ Sur les murs des particuliers. La photo trouve également de plus en plus sa place dans le salon des particuliers. C’est la certitude de Blue Altitude Invest qui a pris le contrôle, en 2021, du réseau de galeries YellowKorner. « Nous voulons en faire des lieux de vie pour démocratiser l’accès à la photo d’art », explique son cofondateur et directeur éditorial, Alexandre de Metz. Le premier a été ouvert en 2006. Il en gère désormais une centaine, dont deux tiers sont en franchise, dans vingt pays, concentré en Europe.

Aujourd’hui, il est question de renforcer l’offre de rencontres avec des photographes, d’exposition monographique et de présentoirs de beaux livres. Un peu à l’image de ce qui se fait déjà à La Hune, la librairie emblématique de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, reprise par l’entreprise en 2015. En janvier par exemple, l’adresse avait accueilli là une séance de signature du livre de photos de Nikos Aliagas, Regard Vénitiens, qui avait attiré beaucoup de fans. Car l’activité pèse aujourd’hui 30 millions d’euros avec 240 employés. Elle pourrait presque doubler avec un positionnement plus passionnel.