Environnement
Le Domaine de la Voisine, modèle d’une sylviculture douce
On ne connaît pas encore la portée des effets du changement climatique. D’où l’intérêt de projets pilotes qui pourraient aider à anticiper. La propriété du groupe Pernod-Ricard en forêt de Rambouillet vise ainsi à servir d’exemple à la préservation de la biodiversité et la mise en place d’une sylviculture douce. Ce laboratoire à ciel ouvert pourrait notamment aider la filière bois à adopter des pratiques plus vertueuses.
Le Domaine de la Voisine à Clairefontaine en Yvelines, acquis en 1954 par Paul Ricard, est devenu « un observatoire à ciel ouvert ». « Il est destiné à mesurer la biodiversité et accueillir les formations pour la nouvelle génération de forestiers et de sylviculteurs », résume fièrement Alexandre Ricard, PDG du groupe Pernod Ricard. Le domaine de 170 hectares et son château classé monument historique ont accueilli pendant quelques décennies les salariés du groupe marseillais et leurs familles, en villégiature dans la région. Ainsi que les joueurs du XV de France jusqu’à la construction du centre d’entraînement de Marcoussis en 2002. Il a été converti en 2017 en campus international du groupe dédié aux nouveaux talents, mais également pôle de séminaires pour les entreprises en partenariat avec Chateauform.
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Servir d’exemple pour sensibiliser à la biodiversité
« Pernod Ricard est lié à cet endroit magique au milieu de la nature depuis des décennies, estime Morgane Yvergniaux, directrice Climat et Nature de Pernod Ricard. Ici, nous travaillons sur la résilience des terrains, les conditions climatiques, les écosystèmes et l’équilibre entre les différentes composantes. Nous en mesurons les impacts afin de déterminer s’ils génèrent plus de bénéfices que de pressions. L’objectif est d’essayer d’anticiper les effets du changement climatique avec une vingtaine de projets pilotes, dont ce site géré de façon écoresponsable. Puis de les développer à grande échelle ».

Dans le cadre de son ambitieux programme RSE, Pernod-Ricard a investi dans ce site près de 900 000 euros sur cinq ans. Le deuxième groupe mondial de spiritueux travaille en collaboration avec Biota. Cette start-up créée en 2019 par Emmanuel Aubé et Benjamin d’Hardemare aide les entreprises et les collectivités locales à s’engager en faveur de la biodiversité et du climat. « Il est plus facile de sensibiliser à la biodiversité, reconnaît Benjamin d’Hardemare. Dans ce cadre, notre rôle est de proposer des actions qui peuvent permettre à la forêt de se régénérer naturellement. Les humains étant juste là pour l’aider. Nous avons vocation à servir d’exemple pour une sylviculture douce. Nous sommes arrivés avec un cahier des charges lourd et le groupe a accepté les contraintes ».
Transmettre des engagements d’exemplarité
Venu en voisin, Gérard Larcher, sénateur des Yvelines mais également propriétaire forestier, déplore l’échec croissant des plantations ces dernières années en vallée de Chevreuse. Ses 30 000 hectares ont beaucoup souffert des épisodes de sécheresse, de canicules, d’orages de grêle… Le président du Sénat s’alarme aussi de la progression des parasites, comme les chenilles processionnaires et les scolytes. « Quand on sait que la forêt représente 80% de la biodiversité, la décarbonation est un enjeu primordial. Un projet pilote comme celui-là est à décliner sur le plan territorial. Et c’est le rôle d’une grande entreprise de transmettre des engagements d’exemplarité ».
L’écologue-géographe de Biota, Agnès Baldzuhn, explique qu’il faut « zoomer et dézoomer en permanence pour identifier les enjeux locaux. Savoir s’il faut juste restaurer ou amplifier la biodiversité ». Un travail d’autant plus pointu que le massif de Rambouillet est hétérogène, avec de nombreux cours d’eau et zones humides. Celles-ci sont de véritables éponges générant des écotones, des zones de transition entre deux milieux naturels. « Avec l’accélération du réchauffement climatique, la gestion classique d’un milieu est moins compatible avec la régénération d’une forêt, souligne Emmanuel Aubé, également agriculteur et forestier. Il faut changer de vision, garder la fonction patrimoniale de la gestion des bois pour rester présent dans la filière. Tout en favorisant l’observation et le travail manuel ».

Un petit coup de pouce à la nature
Biota a planché sur la réduction de l’impact des activités humaines. Par exemple par l’utilisation de petit matériel qui limite le tassement des sols et les dégâts sur la végétation. Priorité est donnée à la régénération naturelle. Mais quand les fougères qui colonisent les landes empêchent les jeunes arbres de pousser, l’équipe de forestiers intervient pour donner un coup de pouce. Les plantes invasives sont alors écrasées par un quad « brise fougères » afin de les affaiblir. « Car si on les coupe ou si on les broie, elles repoussent encore plus vite, précise Agnès Baldzuhn. On les bâtonne ainsi plusieurs fois par an pour les épuiser. Et on scarifie les sols avec des râteaux pour arracher les rhizomes. Ainsi, au bout de quelques années, les petits chênes peuvent mieux repousser ».
Des fagoteuses sont aussi utilisées dans les parcelles pour valoriser les coupes de petites branches, en complément du bois d’œuvre en scierie et du bois de chauffage. Ces branchages qui chauffent beaucoup en produisant peu de cendres sont très demandés pour allumer des fours à pains ou à pizzas.

Les arbres morts, véritables hôtels à insectes
L’entreprise a incité à la conversion des espaces forestiers en futaies irrégulières avec une diversité d’essences, de diamètres et de tailles différentes. Elle favorise la résilience et limite la pullulation d’insectes contrairement aux forêts en mono-espèces. « De nouvelles essences d’arbres plus méditerranéennes sont testées dans le cadre du réchauffement climatique. Mais globalement, nous privilégions les essences locales », précise Emmanuel Aubé.
Par ailleurs, à La Voisine, les travaux forestiers sont davantage liés à la saisonnalité de la forêt. Ainsi, les abattages ont été supprimés l’hiver pour ne pas perturber les chauves-souris (noctules), régulatrices efficaces des ravageurs. De même pendant la période de nidification et de reproduction des oiseaux. Des pièges à coléoptères ont été installés sur des placettes témoins pour mesurer l’impact des interventions.
♦ Lire aussi : Repeupler les forêts du nord avec des arbres du sud
Un Indice de Biodiversité Potentielle
D’autre part, un Indice de Biodiversité Potentielle (IBP) aide à mieux évaluer le peuplement forestier et à comprendre l’utilité des zones de sénescence. Ces milieux en évolution libre avec des bois morts préservés au sol, favorisent la population d’insectes, de pics, de chauves-souris… Un inventaire amphibien est par ailleurs en cours avec le Parc Naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse qui s’inscrit également dans la démarche de certification de la biodiversité par l’OBC (Organization for Biodiversity Certificates).
« On collecte des données scientifiques et on définit ainsi les meilleures pratiques afin de développer une gestion durable des forêts », conclut Emanuel Aubé. Les études sont ensuite communiquées aux entreprises de la filière bois. Sachant que près de 70% des surfaces forestières en Ile-de-France sont privées, il s’agit de les inciter à en appliquer les enseignements. ♦
Bonus
Précieuses tourbières. Les tourbières du Domaine de la Voisine sont particulièrement sous surveillance, car cet écosystème incroyable représente 30% du stockage de carbone. Ces puits à carbone se révèlent très utiles grâce aux sphaignes, des mousses qui peuvent absorber 30 fois leur poids en eau pour la relarguer progressivement en période de sécheresse. Elles stockent également les pollens, ce qui permet d’avoir des analyses sur des centaines d’années. Elles abritent les libellules, excellents prédateurs et régulateurs des moustiques, taons et autres nuisibles, lanceurs d’alerte sur la qualité des cours d’eau et réservoir de nourriture pour les oiseaux.
