EnvironnementMobilité
Les camions se mettent au vert
Si plus de 96% des camions roulent encore au diesel, de plus en plus d’acteurs du transport routier prennent conscience des enjeux de décarbonation. Parmi eux, le Groupe Berto. Le leader national de la location de véhicules industriels développe une flotte « green » avec différentes énergies renouvelables, à destination de ses clients – du BTP à la distribution alimentaire. En juin 2024, le premier poids lourd 26 tonnes ‘’plateau grue’’ converti à l’hydrogène vert a pris la route.
Le transport routier est confronté à deux défis majeurs. 24% environ des émissions de gaz à effet de serre du secteur proviennent des poids lourds (PL) (bonus). En outre, la transition de ces véhicules vers l’énergie verte nécessite des investissements importants de la part des transporteurs et des constructeurs. Le Groupe Berto, dont le siège historique est à Avignon, mène une politique de décarbonation depuis 2013. Il verdit peu à peu sa flotte qui compte 6000 PL. Pour la deuxième année consécutive, il a passé la barre symbolique des 50% véhicules énergie alternative commandés.
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Cinq énergies différentes

Ce groupe familial, né en 1963 et dirigé aujourd’hui par Adrien Berto, est ainsi en capacité de proposer une flotte appelée Flexy Green, équipée de cinq énergies différentes, qui engendrent très peu ou pas d’émissions de gaz à effet de serre. Le plus ancien camion vert du groupe fonctionne au GNV (gaz naturel pour véhicule). Depuis, la flotte s’est enrichie de PL roulant au Bio-GNV. Un gaz produit à partir de la fermentation de déchets organiques, de boues d’épuration, de résidus agricoles ou de cultures dédiées à la biomasse. Elle est également composée de PL roulant au B100 – biodiesel d’origine végétale type colza – et à l’électrique.
Hydrogène vert

Depuis juin 2024, le groupe a rajouté l’hydrogène vert, qui recourt au procédé d’électrolyse de l’eau grâce à une activation électrique éolienne. Il concerne uniquement, pour l’instant, le poids lourd 26 tonnes ‘’plateau grue’’. Et sert à Point.P, client du groupe, pour transporter et livrer différents matériaux, tels parpaings, tuiles ou sacs de sable. Fruit d’une collaboration étroite entre Le Groupe Berto, Hyliko et Point.P (bonus), ce prototype converti (‘’rétrofité’’ dans le jargon) à l’hydrogène vert a vu le jour après deux ans de recherche et développement (bonus). C’est une prouesse.
♦ (re)lire : L’hydrogène sera-t-il le nouveau carburant des bateaux ?
L’hydrogène, une prouesse technologique

D’ailleurs, peu dans le milieu y croyaient. Les camions utilisant cette énergie existaient déjà, « mais pas le rétrofitage appliqué à ce type de poids lourd », explique dans son bureau Raphaël Ferranti, directeur produit et achat camion du groupe. Les contraintes techniques étaient en effet importantes. Pour faire simple, « il a fallu remplacer le système thermique du camion par une technologie avec des piles à combustible, des batteries électriques et sept réservoirs à hydrogène installés à l’arrière de la cabine », détaille ce passionné, tout en dessinant un schéma explicatif. À cela s’ajoutent des adaptations plus techniques, comme la liaison avec les batteries ou encore la sécurisation de l’hydrogène. En effet, il est inflammable et explosif.
# Le rétrofitage est une pratique encadrée par l’arrêté du 13 mars 2020. Il permet de transformer les véhicules de plus de cinq ans, sans demande préalable au constructeur d’origine.
Zéro émission de CO2

L’avantage de ce camion à hydrogène vert (à ne pas confondre avec le gris, élaboré à partir d’hydrocarbures) est multiple : il rejette zéro émission à l’échappement, uniquement de l’eau. Sa performance est équivalente à celle d’un camion à énergie fossile. Enfin, son autonomie est importante (potentiel de 420 kilomètres) et son temps d’avitaillement, rapide (une vingtaine de minutes). À titre de comparaison, un camion électrique est moitié moins autonome et son rechargement plus long. Lionel Lefèvre, chauffeur Berto dédié à ce porteur et qui a participé à l’élaboration du projet, se montre enthousiaste : « L’hydrogène est pour moi le meilleur des deux mondes. Nous avons le confort et le silence de l’électrique, avec l’indépendance du thermique. Il permet en plus une excellente souplesse et des accélérations immédiates ». Enfin, cette innovation participe à l’économie circulaire. Le Groupe Berto a transformé un de ses camions roulant au diesel en un camion ‘’rétrofité’’. Sa vignette Crit’Air, qui indique sa classe environnementale, est passée ainsi de la classe 2 à la classe 0.
Un coût plus élevé

Le camion est utilisé par Point.P dans le 91, à proximité de la première station d’avitaillement en hydrogène vert en Île-de-France lancé par Hyliko en septembre 2024. Après quatre mois sur les routes, l’essai est concluant. Le porteur circule toute la journée, cinq jours par semaine pour livrer ses clients. « Nous avons zéro panne, zéro fuite, se réjouit Eric Schuler. Il faut dire que le véhicule est surveillé de près par Hyliko ». Alors certes, cette solution a un coût au rétrofitage, mais il sera certainement économique à long terme. Point.P prend à sa charge le coût – il ne le reporte pas sur ses clients. Car l’entreprise « a une vraie politique de décarbonation », comme de nombreux clients du Groupe Berto. « On voit une vraie accélération, observe Raphaël Ferranti. Avant, quand ils devaient renouveler leur flotte, nos clients ne nous parlaient que de diesel. Maintenant ils nous parlent d’énergies alternatives ».
Un mix énergétique

L’entreprise familiale, classée parmi les 200 entreprises les plus innovantes de France en mai 2024, ne souhaite cependant pas privilégier cette énergie plutôt qu’une autre. En effet, tel modèle de camion n’est pas toujours duplicable avec un moteur à hydrogène. Ou tous les transporteurs n’ont pas une station à hydrogène à proximité. En outre, pour accompagner au maximum les clients vers la décarbonation, « il est indispensable de leur proposer un large choix d’options », insiste Eric Schuler, directeur des achats et technique du groupe. Les défis restent nombreux. Avec Hyliko, Le Groupe Berto poursuit la R&D pour produire de l’hydrogène vert de manière industrielle. Et garantir un niveau suffisant d’approvisionnement.
# L’État soutient l’acquisition ou la location de 248 poids lourds électriques par des PME du transport routier. Et ouvre un nouvel appel à projets à toutes les entreprises.
Passer au super vert

La recherche avance également vers une nouvelle compression de l’hydrogène pour doubler l’autonomie et ainsi passer à 800 kilomètres. Enfin, but ultime : accéder à l’hydrogène ‘’super vert’’ qui possède un bilan négatif en carbone. Car il est produit avec de la biomasse. En effet, la direction, qui participe à la Convention des entreprises du climat (CEC) de PACA, veut aller au-delà de la décarbonation du transport. Et basculer d’une économie extractive à régénérative. Enfin, elle entend rétrofiter d’autres modèles pour allonger la durée de vie de ses camions. Et bien sûr, passer progressivement toute la flotte en énergies alternatives. ♦
Bonus
# Le transport est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. Car 97% des GES émis sont constitués de CO2 provient de la combustion de carburants. En 2019, le transport représente 31% des émissions françaises de GES. Les transports routiers contribuent à la quasi-totalité (94%) des émissions du secteur des transports. Les émissions liées à la circulation routière incombent à hauteur de 54% aux véhicules particuliers, de 24% aux poids lourds et de 20% aux véhicules utilitaires légers. Plus de détails ici.
♦ (re)lire Le refit, avenir d’une filière à bout de souffle ?
Comment fonctionne un moteur à hydrogène ?
# Le prototype du poids lourd 26 tonnes ‘’plateau grue’’. Il a pu voir le jour après deux ans de R&D (recherche et développement) grâce à une collaboration étroite entre le Groupe Berto, Hyliko et Point.P. Le premier a apporté son expertise du poids lourd. Le second, du transport routier de marchandises à l’hydrogène et le troisième, d’utilisateur. « Il faut normalement entre cinq et dix ans de développement, là nous avons mis deux ans », se félicite Raphaël Ferranti, directeur produit et achat camion. Cette prouesse a été rendue possible grâce à la technique bien sûr, mais aussi l’humain. Les responsables des trois entreprises associées ont travaillé main dans la main, avec un même objectif : mener à bien ce challenge. Et les ingénieurs d’Hyliko ont travaillé étroitement avec Lionel Lefèvre, le chauffeur Berto dédié à ce camion. « Il a remonté en permanence aux ingénieurs ses sensations, les besoins, les anomalies », expose Eric Schuler.