Société

Par Agathe Perrier, le 29 octobre 2024

Journaliste

SOS tombes en danger

Marie-Hélène Vivier a contribué à l’opération « Sauvons nos tombes » en photographiant pas moins de 600 tombes © Agathe Perrier

200 000 tombes sont rayées de la carte des cimetières chaque année en France. C’est pourquoi le site de généalogie Geneanet invite depuis dix ans à les prendre en photo via l’opération « Sauvons nos tombes ». Car les sépultures sont riches d’informations sur le passé de nos ancêtres, mais peuvent disparaître au fil du temps. En garder la trace participe au devoir de mémoire et se révèle également précieux pour les amateurs de généalogie.

Chaque année, 200 000 tombes disparaissent des cimetières français. Pour des raisons purement législatives : la concession – nom donné à la location d’un emplacement – est arrivée à terme et n’a pas été renouvelée. Ou elle a fait l’objet d’un constat d’abandon (lire bonus). Dans tous les cas, les restes du défunt sont déplacés – ils sont mis en ossuaire – et les éléments de la sépulture, comme les monuments funéraires, détruits. Avec eux s’envolent de précieuses informations pour les passionnés de généalogie. Les noms, prénoms et dates, bien sûr, ainsi que les éventuels messages laissés sur la tombe. Mais pas seulement.

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« Puisqu’on est généralement inhumé là où on a vécu, cela renseigne le dernier lieu d’habitation de la personne et des pistes pour creuser son passé. Si elle repose aux côtés d’autres individus, cela permet aussi d’en apprendre plus sur elle », relève Jérôme Galichon, responsable recherche et innovation du site de généalogie Geneanet.

Plus de six millions de tombes sauvées

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Une concession qui ne semble plus entretenue de longue date au cimetière de Mazargues à Marseille © AP

Pour éviter que toutes ces informations ne tombent aux oubliettes, l’équipe de cette plateforme a lancé l’opération « Sauvons nos tombes ». Le principe est simple : ses utilisateurs, et même l’ensemble des Français, sont invités à se rendre dans les cimetières pour photographier les sépultures et inscriptions qui y figurent. Deux week-ends par an mettent en lumière cette démarche, au printemps et à l’automne, près de la Toussaint. Elle peut néanmoins être entreprise n’importe quand. Si bien qu’en dix années d’existence, 32 000 participants ont immortalisé 6,8 millions de tombes dans 48 000 cimetières. Soit 10 millions d’humains dont les traces ont été préservées.

Marie-Hélène Vivier est de ces contributeurs. Avec pas moins de 600 tombes photographiées à son actif. Elle a tout bonnement capturé l’intégralité des sépultures du cimetière de la commune où elle a grandi, près de Grenoble. « C’est un lieu où ma grand-mère m’emmenait souvent le jeudi, jour où l’on n’avait pas école, à l’époque. On y jardinait toutes les deux autour de la tombe de mon grand-père », se rappelle la septuagénaire. Ce travail de sauvegarde lui a permis de se remémorer de nombreux souvenirs. Car y reposent plusieurs membres de sa famille, notamment ses parents. « J’ai aussi pu revoir des noms de personnes que j’ai connues jeune et dont je ne savais pas vraiment quand elles avaient disparu », ajoute cette Marseillaise d’adoption.

Facilité éprouvée

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Geneanet a créé une application dédiée à l’opération « Sauvons nos tombes » afin de faciliter la tâche des volontaires © AP

Cette mission lui a pris au total trois jours complets compte tenu du volume traité. Pour faciliter la tâche des volontaires de « Sauvons nos tombes », Geneanet a créé une application dédiée. Il suffit de la télécharger sur son smartphone ou sa tablette et de s’en servir pour prendre les photos. Tous les clichés sont ensuite transmis automatiquement sur la plateforme – il est également possible d’utiliser un appareil photo et de les transférer manuellement. « Veillez à prendre une photo de la tombe entière et autant de photos que nécessaire pour les détails de celle-ci », est-il précisé.

Dernière étape : l’indexation des clichés. À savoir relever toutes les inscriptions qui figurent sur les tombes. « Ce n’est pas nécessairement le photographe qui s’en occupe », précise Jérôme Galichon. Ce que confirme Marie-Hélène Vivier, qui a seulement indexé celles de sa famille. « Généralement, on a à peine transmis les photos que des gens sautent dessus pour les indexer », assure-t-elle.

Nourrir les arbres

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Les tombes dans les cimetières conservent de précieuses informations sur le passé de nos ancêtres © AP

Chaque tombe photographiée fait l’objet d’une fiche sur Geneanet, recensant toute les informations relevées dessus. L’ensemble est consultable par tous les utilisateurs via un système de recherche, par nom, prénom ou même cimetière. « C’est très utile pour les personnes qui savent l’endroit où leur proche est inhumé, mais ne peuvent pas s’y rendre eux-mêmes », souligne Jérôme Galichon.

Mieux encore : grâce à un algorithme performant, la plateforme est capable de recouper les informations. Par exemple, elle détecte si un généalogiste a inscrit dans son arbre les mêmes éléments que ceux d’une tombe tout juste indexée. Et le prévient automatiquement de l’arrivée des nouvelles données. Lui apportant ainsi des billes supplémentaires pour améliorer ses connaissances sur cet ancêtre, plus ou moins proche. « Il faut évidemment vérifier qu’il ne s’agit pas d’un homonyme. Il est toutefois rare que deux individus partagent à la fois prénom, nom et années de naissance et de décès », glisse Marie-Hélène Vivier.

C’est aussi pour nourrir cette base de données XXL et participer à l’effort collaboratif que cette dynamique retraitée a donné de son temps à l’opération « Sauvons nos tombes ». « On a toujours besoin des autres lorsqu’on fait de la généalogie », appuie Jérôme Galichon. Dans la mort comme dans la vie. ♦

Bonus

# La disparition des tombes, une démarche très encadrée – Pour être inhumé dans un cimetière, il faut demander une concession auprès de la commune (collectivité qui a la gestion de ces lieux). Il s’agit en fait de la location d’un emplacement, la mairie reste propriétaire du terrain. La concession peut-être obtenue à titre individuel, collectif ou familial. Sa durée peut varier de cinq à cinquante ans voire être illimitée – on dit alors qu’elle est perpétuelle. Une commune peut reprendre une concession si elle n’a pas été renouvelée au bout de la période initiale ou si elle est constatée en état d’abandon. C’est à ce moment-là que la sépulture est détruite. Plus d’infos sur le site de l’administration françaises en cliquant ici.

# Les Français mordus de généalogie – 71% se déclarent intéressés par leurs racines et leurs origines, d’après un sondage publié par Geneanet et réalisé par l’IFOP en 2022. Et, sans surprise, les plus âgés l’emportent lorsqu’il s’agit de franchir le pas. Ainsi, 58% des plus de 65 ans effectuent ou ont déjà effectué des recherches sur l’histoire de leur famille. Un chiffre qui tombe à 41% chez les moins de 35 ans. En cause : la complexité des recherches et le temps requis. Et ce n’est pas Marie-Hélène Vivier qui dira le contraire. « Faire son arbre généalogique est en quelque sorte une enquête de police. Ça prend du temps », confirme celle qui a recensé plus de 2 800 individus dans son arbre. Elle est d’ailleurs remontée jusqu’à ses ancêtres du XVIème siècle.