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Les Fabricoleuses, la première plateforme en ligne des professionnelles du BTP
Seulement 2% de femmes travaillent sur les chantiers du BTP. Un chiffre en progression, mais pas assez. Surtout au regard des besoins : le bâtiment manque cruellement de main-d’œuvre. Pour rendre visibles les femmes compétentes et en inspirer d’autres, Cerise Steiner, peintre en bâtiment à Marseille, a lancé le 8 mars 2024 la plateforme Les Fabricoleuses. Ce LinkedIn du bâtiment au féminin, accessible à tous, affiche les professionnelles de toute la France.
Quand Noémie a voulu se lancer dans un CAP plomberie, elle ne pensait pas que la démarche serait aussi ardue. Cette jeune femme menue avait trouvé facilement une formation, avec les Compagnons du Devoir, mais pas son apprentissage. Il y a certes une question d’âge – la rémunération des apprentis à partir de 30 ans est à la charge des entreprises et non plus de l’État. Mais il y a aussi et surtout une question de genre. De nombreuses entreprises du BTP restent réticentes à accueillir des femmes. « C’est une réalité », appuie la souriante Cerise Steiner, fondatrice-présidente des Fabricoleuses, depuis la maison éponyme située dans le centre de Marseille.
Les femmes ne sont pas forcément les bienvenues

Lorsque cette peintre en bâtiment – ancienne directrice artistique et chargée de production dans la culture et l’événementiel – s’est reconvertie en 2019, les hommes la regardaient comme un « ovni » sur les chantiers. Quatre ans plus tard, rien n’a changé ou presque. Les femmes peinent à se faire une place dans le BTP, notamment à cause de leur soi-disant incapacité physique . Même si les conditions de travail ont évolué, avec des machines guidées et modernes, « cette croyance archaïque » demeure. Et se manifeste sur le terrain par un machisme ambiant. Encore hier, Cerise Steiner a reçu l’appel en pleurs d’une apprentie plombière cantonnée à faire le ménage et la petite main. « Elle est la seule fille parmi les apprentis et on ne la laisse pas apprendre, déplore Cerise Steiner. C’est de la maltraitance ».
Mais elles n’osent pas vraiment y aller non plus

Parfois le harcèlement s’invite également sur les chantiers. Une des Fabricoleuses, électricienne, a essuyé des blagues salaces de la part de ses collègues, quand ils ne regardaient pas des images pornos devant elle pour voir sa réaction. « Son employeur a interrompu son apprentissage. Soi-disant, elle mettait une mauvaise ambiance », s’insurge cette quadra, lunettes XXL et ongles vernis. L’autre explication de la maigre représentativité des femmes dans le BTP est leur frilosité. Pourtant, on trouve de plus en plus de femmes dans les centres de formation. Le CFA de Coutances, dans la Manche, est d’ailleurs passé de 2 à 10% d’élèves apprenties. « Mais une fois diplômées, elles n’osent pas envoyer leur CV », regrette Cerise Steiner. À plusieurs reprises, des chefs de chantier lui ont rétorqué : « On veut bien féminiser le métier, mais où sont les femmes ? ».
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Les visibiliser

Face à ces deux constats – réticence des hommes à embaucher et des femmes à postuler – bâtir un pont fut une évidence. Cette pragmatique a créé une plateforme nationale pour offrir de la visibilité aux femmes du BTP. Mais aussi « pour qu’elles inspirent celles qui voudraient se lancer et qu’on soit plus nombreuses ». Toutes les femmes, qui travaillent dans la construction, le bâtiment et la décoration, sont les bienvenues. « Je dirige une entreprise d’électricité, je suis plombière indépendante, apprentie carreleuse, peintre diplômée ou particulier ? Je m’inscris sur la plateforme pour trouver de la main-d’œuvre, un emploi ou une mission », étaye cette engagée bénévole. Depuis son lancement, par le bouche-à-oreille, elle a enregistré 60 inscriptions.
Leur offrir une maison

En parallèle, Cerise Steiner a créé La Maison des Fabricoleuses dans le centre de Marseille. Elle est dotée d’un espace de coworking, d’un showroom pour montrer le savoir-faire des artisanes et d’une matériauthèque pour exposer grandeur nature les matériaux et leur rendu, comme un mur à la chaux. Elle dispose également d’une permanence pour les femmes en insertion, en reconversion ou en projet d’activité. L’idée est de les accompagner à 360° : monter sa société, acquérir les bonnes postures pour travailler sans se faire mal, trouver un équilibre quand on est mère/enceinte, faire face à un client odieux, etc. « Elles ne seront plus seules », se réjouit celle qui l’a été à ses débuts et qui aujourd’hui épaule les débutantes. La fondatrice rêve de développer l’entraide au sein de la maison, « sur le format de marrainage ». Elle aimerait également ouvrir une permanence psychologique et « pourquoi pas téléphonique »
Organiser des sessions de recrutement

Des événements mensuels, ouverts à tous, sont organisés sous format petit-déj’ ou apéro. Autour de différentes thématiques : plomberie, peinture, menuiserie, conduite de travaux… Ces rencontres, composées à chaque fois d’une spécialiste, d’un organisme de formation et d’une entreprise, portent leurs fruits. Ainsi une électricienne en devenir y a trouvé son contrat d’apprentissage. Depuis le 28 octobre 2024, La Maison des Fabricoleuses propose des journées de recrutement inédites. La première a permis à huit candidates d’intégrer les équipes du groupe VINCI Construction, partenaire des Fabricoleuses. Dix postes étaient à pourvoir – plombières, électriciennes et maçonnes en bâti ancien – avec stage et formation en interne à la clef.
Embarquer les hommes

Six mois après le lancement de la plateforme, Cerise Steiner peine à trouver des financements. Mais elle peut compter sur une équipe de bénévoles convaincues par le projet et des adhérents engagés, quel que soit leur métier ou leur genre. Ainsi actuellement, l’association, “Les Fabuleuses Fabricoleuses”, compte 160 adhérents dont 35% d’hommes. En effet, il est important pour la fondatrice de monter un réseau inclusif et pas seulement féminin. « La féminisation du BTP ne passera pas si on n’inclut pas les hommes, si on ne les aide pas à conscientiser les bénéfices et les atouts. Il est également important de mettre en lumière les hommes favorables, pour qu’ils en entraînent d’autres ».
Une féminisation positive pour tous

Certaines entreprises interrogées dans le cadre d’une étude sur la féminisation, portée par l’Observatoire des métiers du BTP en Île-de-France, vantent des « effets positifs sur l’organisation, la performance et le climat social ». Des chefs d’entreprise, comme ce peintre dans les Deux-Sèvres, mettent en avant le travail bien fait et précis des artisanes. « Elles excellent dans l’intelligence collective et les bons gestes, deux atouts qui permettent de ne pas user prématurément le corps, comme c’est souvent cas dans les métiers des bâtiments », ajoute Cerise Steiner, tout en donnant l’exemple d’une plombière de l’association. « Elle a mis au diapason tout le monde sur le chantier. Elle a fait comprendre qu’un homme n’a pas à jouer au ‘’bonhomme’’, à porter seul des charges lourdes comme un ballon d’eau chaude, et que tout le monde a à gagner à s’entraider ». L’entrepreneuse rêve d’atteindre le chiffre de 5% de femmes sur les chantiers fin 2025. Les difficultés de recrutement dans le BTP jouent en faveur d’une ouverture aux profils féminins.♦
Bonus
L’adhésion à la plateforme. Elle sera au 1er novembre 2024 de 30 euros pour les professionnelles du bâtiment, 10 euros pour les demandeuses d’emploi et les apprenties. Elle sera libre d’accès pour les entreprises ou les particuliers qui cherchent une professionnelle sur la plateforme en échange d’un don ou d’une adhésion à l’association (10 euros). Pour adhérer, c’est ici.
Autres réseaux féminins :
En Île-de-France, l’association Les SouterReines entend promouvoir les métiers du BTP, participer à la levée des freins à l’embauche des femmes et à l’évolution des mentalités concernant la place des femmes dans le secteur du BTP. Elle souhaite également aider les entreprises, quelle que soit leur taille, à féminiser leurs équipes.
Le cercle de Zaha : un réseau de femmes lyonnaises dans la construction, l’architecture et le paysage.
Batimix : une association ayant vocation à recruter des femmes dans le BTP.
BatiFemmes : le premier réseau des artisanes de second œuvre en Nouvelle-Aquitaine.