Société

Par Patricia Guipponi, le 18 novembre 2024

Journaliste

Harcèlement de rue : des applications pour sécuriser les femmes

Les trajets de nuit sont problématiques pour les femmes qui rentrent seules. © DR

Chaque année en France, trois millions de femmes sont touchées par la drague importune dans l’espace public. Harcèlement, agressions sexistes et sexuelles (redoutées et avérées) poussent beaucoup d’entre elles à élaborer des stratégies d’évitement. Voire à ne plus sortir. Mais des outils existent pour leur permettre de circuler plus sécurisées. Dans l’Hérault, Manon Delos planche actuellement sur Moonway. Cette nouvelle application  permettra aux femmes de partager leurs trajets à pied ou en transport en commun.

Selon le rapport du groupe de travail ‘’Verbalisation du harcèlement de rue’’ paru en 2018, 3 millions de femmes, âgées de 20 à 69 ans, sont touchées chaque année en France par la drague importune. En mars dernier, une enquête menée dans vingt pays par l’institut de sondages Ipsos, à la demande de la fondation L’Oréal, a révélé que 75% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans l’espace public au moins une fois dans leur vie. 59% des Françaises interrogées ont avoué ressentir un sentiment d’insécurité dès qu’il s’agissait de sortir seule et quand elles se retrouvaient dans la rue.

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Paris et les villes de plus de 200 000 habitants

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Les victimes de harcèlement sont majoritairement des femmes et les mis en cause à 97% des hommes. © Anne Picavez

En 2023, le ministère de l’Intérieur a fait état de près de 3 400 infractions pour outrage sexiste et sexuel, enregistrées par la police et la gendarmerie françaises dont 700 délits. La quasi-totalité des 1 400 victimes prises en charge par la police nationale sont des femmes (88%), âgées de moins de 30 ans. Les mis en cause sont dans 97% des cas des hommes. La majorité des actes sont commis à Paris ou dans les villes de plus de 200 000 habitants, dans la rue et dans les transports en commun. Ces chiffres restent limités aux actes dénoncés et ayant donné lieu à des poursuites.

Votée le 3 août 2018, la loi ‘’Schiappa’’ a amélioré la répression des violences sexistes et sexuelles. Elle a introduit le délit d’outrage sexiste. Depuis la loi du 24 janvier 2023, l’outrage sexiste et sexuel aggravé est puni d’une amende maximale de 3 750 euros. Les outrages sans circonstance aggravante sont passibles d’une amende de 1 500 euros. La condition pour faire cesser les auteurs de ces actes est de les prendre en flagrant délit. Or, c’est souvent impossible.

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Des applications fonctionnant surtout sur la vigilance et la réactivité d’autrui

Divers dispositifs sont disponibles en ligne et en téléchargement pour sécuriser les femmes face aux agressions sexistes et sexuelles. Ce sont essentiellement des applications de géolocalisation qui fonctionnent sur smartphone grâce à la vigilance, la solidarité et la réactivité des personnes de confiance qui sont sollicitées. L’application Umay, par exemple, permet à ses utilisatrices de partager en temps réel leurs trajets avec des personnes de confiance, de trouver refuge dans des lieux sûrs répertoriés et de signaler tout trajet à risque.

The Sorority dispose d’une alerte géolocalisée pour prévenir une cinquantaine de personnes de confiance à proximité. Ces dernières peuvent alors venir en aide à la victime d’agression et contacter les autorités compétentes à sa place. L’application App-Elles va permettre à ses utilisatrices de signaler en temps réel des situations potentiellement dangereuses et d’urgence. Les alertes sont transmises aux contacts de confiance qu’elles auront désignés au préalable.

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Manon Delos, qui planche sur l’appli MoonWay © DR

Actuellement, une application de partage de trajets piétons entre femmes est en développement. Elle est portée par l’Héraultaise Manon Delos. « Cette idée est issue du projet de création d’activité que j’ai mené avec d’autres étudiants dans le cadre du master de management responsable à l’école 3A de Toulouse ». Une fois son cursus terminé, la jeune entrepreneure s’est attelée à poursuivre seule le travail commencé. « Les personnes et les institutions interrogées m’y ont encouragée ».

L’effet de groupe minimise les risques de harcèlement

Manon Delos espère offrir une alternative pérenne pour contrer le harcèlement de rue. « Une solution de trajets à pied et/ou en transport en commun effectués de jour comme de nuit entre femmes peut permettre de se sentir en sécurité et de réduire les atteintes ». Dans la majorité des cas d’outrages et agressions sexistes et sexuelles, les femmes sont le plus souvent seules. « Quand on est en groupe, le risque est minimisé. On se réapproprie alors l’espace public. On se sent plus libre de se déplacer et de s’habiller comme on l’entend ».

En effet, les femmes ont tendance à mettre en place des stratégies d’évitement et d’adaptation pour se protéger. Ce qui restreint leur liberté et comporte des contraintes comme celles de porter des pantalons plutôt que des jupes. De rentrer tôt avant la nuit. De privilégier les modes de transports plus sécurisants comme la voiture, même pour de petits trajets… « 60% des femmes affirment en effet adapter leurs vêtements ou leur apparence pour être le plus neutres possible. Une femme sur quatre a déjà décliné une opportunité d’emploi par peur de se faire agresser. Beaucoup se privent de sortie en soirée pour la même raison », rappelle Manon Delos.

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L’insécurité est aussi ressentie dans les transports en commun © Pixabay

MoonWay sera une application uniquement réservée aux femmes. « Il n’est nullement question de dire que tous les hommes sont des dangers, mais se déplacer avec eux peut provoquer un sentiment d’insécurité. La non-mixité est choisie pour éviter toute problématique », observe la jeune entrepreneure. Chaque femme choisit un lieu et un créneau de départ et l’adresse d’arrivée pour générer des trajets partagés. « C’est sur le même principe qu’un Blablacar mais à pied, ou en transport en commun. Et à l’échelle d’une ville ».

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Un espace sécurisé et de sororité qui conforte le lien social

L’application a aussi pour objectif de créer du lien social, car elle va faciliter les rencontres et les discussions sur le trajet. « C’est en quelque sorte un espace de sororité », commente la Montpelliéraine. MoonWay fonctionnera sur inscription avec une confirmation d’identité. L’envoi d’un selfie sera exigé au même moment par vérifier qu’il ne s’agit pas d’une personne mal intentionnée.

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Les lieux de rencontre seront des points stratégiques choisis à l’avance. ©DR

« Il faudra signer une charte qui reprendra les valeurs de l’application et ses conditions d’utilisation ». Les lieux de rencontre seront des points stratégiques choisis à l’avance dans des endroits non isolés et éclairés. Tout au long de l’utilisation de l’application, un lien avec les forces de l’ordre sera matérialisé par un bouton SOS pour agir immédiatement en cas d’insécurité ou de menace. Enfin, une fois le trajet effectué, un système de notation va permettre de maximiser la sécurité du dispositif.

La mise en service est prévue pour fin 2025 – début 2026. Entre temps, Manon a rejoint l’incubateur d’innovation sociale Alter’Incub Occitanie à Montpellier. Elle planche sur un modèle économique viable. « Or, je souhaite que cette solution soit très accessible aux femmes, voire gratuite », glisse la jeune femme. Pour l’heure, elle recherche une personne avec des compétences techniques en développement d’application mobile et/ou en communication notamment digitale. ♦

⇒ Pour tout renseignement sur cet appel à compétences : moonway.app@gmail.com