Culture
(Re)donner le goût de lire aux plus jeunes grâce… aux séries
Les jeunes Français ne lisent plus autant qu’avant. Pour y remédier, le Département des Bouches-du-Rhône a créé « Marseille Series Stories ». Ce festival propose des projections de séries adaptées d’œuvres littéraires. Avec l’objectif, pas si évident, que les spectateurs passent ensuite de l’écran aux bouquins.
Si l’ensemble des Français est plutôt lecteur, c’est moins le cas des plus jeunes. Près d’un enfant ou ado sur cinq (19% des 7-19 ans) ne lit en effet pas du tout dans le cadre de ses loisirs, d’après l’étude « Les jeunes Français et la lecture en 2024 ». Et ce chiffre double (38%) pour la tranche des 16-19 ans. Pour tenter de changer la donne, le Département des Bouches-du-Rhône a imaginé le festival « Marseille Series Stories ». « On n’y présente que des séries adaptées d’œuvres littéraires. C’est notre grande différence par rapport à d’autres événements dédiés aux séries », expose Christophe Deverdun, délégué général de ce festival.
<!–more–>
La quatrième édition revient ce jeudi 21 pour se dérouler jusqu’au dimanche 24 novembre (lire bonus). « Notre objectif est de redonner goût à la lecture aux spectateurs, particulièrement les jeunes. Les sensibiliser sur le fait que les images animées auxquelles ils sont habitués ont des sources littéraires derrière », ajoute-t-il.
Passer de l’écran au livre

Le cœur du festival repose sur la projection des séries sélectionnées. La programmation a pour mot d’ordre d’être la plus éclectique possible, autant en termes de genre, nationalité ou public. Si bien que les séries françaises côtoient les étrangères. Et les scénarios policiers alternent avec les comédies romantiques, les thrillers, les intrigues historiques et les programmes dédiés à la jeunesse. « Le seul point commun de ces séries est qu’elles n’ont jamais été diffusées en France pour le moment. Certaines ne sont même pas encore sorties ailleurs », précise Christophe Deverdun.
Pour chaque série, deux à six épisodes sont révélés, en fonction de leur longueur. L’idée est que les spectateurs découvrent la suite en se plongeant dans le livre. « Généralement, lorsqu’on a vu quelque chose qui nous plaît, on a envie de développer, de creuser, de se rapprocher de l’œuvre initiale. Beaucoup de personnes ont découvert « Game of Thrones » par la télévision et se sont tournées ensuite vers les livres », indique-t-il. Cette série, adaptation de la saga littéraire que l’écrivain George R. R. Martin a amorcée en 1996, a en effet boosté les ventes des ouvrages. Elles sont ainsi passées de 4 500 unités écoulées chaque année à 70 000 pour les grands formats, selon un article du journal Le Figaro.
-
Lire aussi l’article « Une Capitale du Livre pour relancer la lecture »
Plus facile à dire qu’à faire

Manuel Tricoteaux, directeur éditorial adjoint des éditions Actes Sud a d’autres exemples en tête. À l’instar de « Silo », roman de science-fiction post-apocalyptique de l’américain Hugh Howey sorti en 2012 et récemment adapté par Apple TV+. Ou encore « Le Problème à trois corps », ouvrage également de science-fiction signé de l’écrivain chinois Liu Cixin, dont la série est sortie sur Netflix au printemps. « On voit qu’une série peut relancer les ventes, mais c’est loin d’être une généralité. Il existe en réalité plus de contre-exemples que d’exemples », nuance-t-il. Et de citer le cas de « Patria », mini-série télévisée dramatique espagnole tirée du roman éponyme de Fernando Aramburu. Pourtant produite et diffusée par de gros noms – HBO en Europe et Canal+ en France – Actes Sud n’a pas enregistré de rebond des ventes derrière. Ce, malgré les bonnes critiques reçues.
Il est donc tout à fait possible que les spectateurs ne dévient jamais de l’écran vers les livres. D’autant moins que, on le sait, ces derniers peuvent générer un effet d’addiction. « Les écrans rognent le temps disponible pour les autres loisirs et la lecture est souvent l’une des premières à en pâtir. Surtout que c’est une activité qui demande un effort, un investissement supérieur », relève Manuel Tricoteaux. Un minimum de concentration, entre autres, contrairement aux écrans.
Les chiffres parlent déjà d’eux-mêmes : les jeunes lisent 19 minutes par jour dans le cadre de leurs loisirs. Quand ils passent quotidiennement 3h11 sur les écrans (hors lecture d’un livre numérique ou écoute d’un livre audio), selon l’étude « Les jeunes Français et la lecture en 2024 ». Soit littéralement dix fois plus de temps consacré aux écrans qu’aux bouquins. Et cette tendance s’est accentuée par rapport à la précédente enquête réalisée deux ans plus tôt.
-
Lire aussi l’article « L’Île aux mots, une oasis de livres dans un no book’s land »
Créer l’habitude

L’équipe de Marseille Series Stories en a bien conscience. C’est d’ailleurs pourquoi le festival ne se consacre pas uniquement à la diffusion de séries. Pour le jeune public, des ateliers autour de l’adaptation d’œuvres littéraires sont proposés. Et des actions pédagogiques sont dédiées aux scolaires, avec des projections-débats. « Notre but, plus globalement, est de ramener la lecture dans le quotidien des plus jeunes, qu’elle devienne une sorte de routine. Il est reconnu que plus on met un livre tôt dans les mains d’un enfant, mieux c’est pour en faire un lecteur », souligne Christophe Deverdun.
Et ce n’est pas Manuel Tricoteaux qui le contredit. « Il faut mener des actions auprès des enfants et des plus jeunes pour que la lecture soit une habitude dans leur vie. Leur montrer tous les bienfaits qu’elle apporte », appuie-t-il. Or, ces derniers sont nombreux. La lecture véhicule des connaissances et développe l’imaginaire. C’est un moyen d’améliorer sa mémoire et son attention ainsi que son expression écrite. Sans parler de l’apaisement et de la réduction du stress qu’elle procure.
Pour toutes ces raisons, le Centre national du livre préconise de se sanctuariser chaque jour un temps pour lire. En sacrifiant, par exemple une partie de celui consacré aux écrans. Un conseil qui vaut pour les jeunes, mais aussi pour les adultes. Car la lecture décline en réalité chez l’ensemble des Français (bonus). La remobilisation générale est donc nécessaire. ♦
Bonus

# Une version mobile du festival – Le Series Stories Tour a été organisé pour la première fois en octobre. Un camion de 80 places s’est ainsi déplacé dans les communes bucco-rhodaniennes de Mollégès, Saint-Chamas,Fuveau, Rognes et Sénas. Toujours avec le même objectif de (re)donner le goût de la lecture à ces habitants qui n’ont pas de cinéma. L’équipe espère reconduire l’expérience l’année prochaine.
# Les Français lisent moins qu’avant – 89% des Français sont lecteurs, d’après le Baromètre 2023 « les Français et la lecture », également réalisé par le Centre national du livre. Si cela reste une très grande majorité, c’est toutefois en baisse. Aussi bien par rapport à 2019 (- 3 points) que 2015 (- 1 point). Les Français consacrent en moyenne 41 minutes par jour à la lecture, soit 4h47 par semaine. Contre 3h14 par jour sur écran, pour faire autre chose que lire des livres, soit 22h38 par semaine.