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Déterminés à créer leur entreprise
Les habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV) comme ceux qui vivent en milieu rural manquent de moyens (connaissances, contacts, argent…) pour créer leur entreprise. Une injustice économique et sociale que l’association Les Déterminés, créée à Cergy en 2015, s’efforce de contrer. Elle propose ainsi des formations gratuites à la création d’entreprise et au retour à l’emploi dans vingt villes de France. Reportage à Marseille avec des candidats « déter ».
La boutique éphémère de « La fabrique des Déterminés » était comble le 28 novembre dernier, pour son inauguration. Installée le temps des fêtes au deuxième étage du centre commercial Les Terrasses du Port, à Marseille, elle a accueilli les corners de sept jeunes entrepreneurs (lire bonus) « déter ». Comprendre persévérants et motivés. Membres des Déterminés, l’association grâce à laquelle ils ont lancé ou développé leur société. Et qui leur a ainsi donné l’opportunité de se confronter à leur clientèle, souvent pour la première fois. Une association, mais aussi une grande « famille » de plus de 1 530 personnes accompagnées – dont 64% de femmes – et 950 entreprises créées en France depuis 2015.
« C’est important qu’ils puissent se faire connaître, tester leurs produits, revoir leurs offres. insiste Moussa Camara, le président-fondateur des Déterminés. On l’a déjà fait en 2017, chez moi à Cergy (Ndlr : le siège de l’association) et ça a été exceptionnel. On est très fiers de contribuer à leur progression, de mettre en réseau, de faire du lien. » C’est d’ailleurs ce relationnel que les anciens stagiaires citent en premier quand on leur demande ce que Les Déterminés leur ont apporté. Suivi de près par l’abnégation et la confiance en soi.
Six mois de formation gratuite

Car depuis 2015, Les Déterminés luttent contre le déterminisme économique et social en proposant des formations gratuites à l’entrepreneuriat. Elles sont accessibles aux personnes majeures issues des quartiers prioritaires de la ville (QPV) et de milieux ruraux, dans vingt villes dont Marseille (lire bonus). Des personnes créatives, dynamiques, à qui il manque des connaissances, des passerelles, des contacts, pour concrétiser leurs idées et créer leur propre emploi. Le parcours classique est condensé sur six mois, dont trois semaines intensives prolongées par de l’accompagnement, du réseautage et du mentorat. L’idée étant de transmettre les bases en étude de marché, financement, droit, marketing, commercialisation… Jusqu’à apprendre à « pitcher » son projet.
Ce que fait brillamment Kierry Johnson, créateur solaire de Pineapple Ambassadors. « Une marque de maroquinerie, de prêt-à-porter et de cosmétiques inspirée de l’ananas, car je suis originaire des Caraïbes, explique-t-il dans un grand sourire. C’est un symbole de partage culturel, d’hospitalité et un fruit très esthétique. Le projet est dans ma tête depuis 2008 et il se concrétise à peine depuis un an. L’entrepreneuriat, c’est aussi une question de timing. » Quand il a rejoint Les Déterminés, la marque avait d’ailleurs été créée. Essentiellement grâce à sa formation « à l’école de la vie, sur le tas ». Mais l’accompagnement l’a aidé à la développer. « Ça a renforcé mes connaissances, j’ai aussi beaucoup appris sur moi, reconnaît-il. Ça m’a donné la volonté d’aller jusqu’au bout. »
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Des bases indispensables et de la confiance

Ce que confirme Amel Ghollam, fondatrice de Bloom Bakery, des pâtes à tartiner et pâtisseries à indice glycémique bas. « Ça m’a poussée, parce que j’avais peur de me lancer. Ça m’a propulsée », résume cette ancienne préparatrice en pharmacie. En congé parental, elle ne pouvait pas financer une formation alors qu’elle en avait grand besoin. « Je savais ce que je voulais faire, mais j’ignorais par où commencer. On se déclare à l’INPI et après ? On fait une étude de marché, mais comment ? C’était vraiment primordial d’être guidée… Même si je n’avais plus l’habitude d’aller à l’école ! sourit-elle. Certains étaient perdus au bout des trois semaines, moi ça m’a prouvé ma motivation.»
« J’ai rien lâché », prolonge Soidrou Moindze, à la tête de la marque de vêtements streetwear Iman Paris. Lui qui est né dans le 3e arrondissement de Marseille, qui a grandi dans les cités des quartiers Nord, a été formé en stylisme modélisme au lycée des métiers La Calade. Mais face aux difficultés à s’insérer dans le milieu de la mode, il a exercé comme plombier chauffagiste pendant plus de dix ans. Jusqu’à la première collection d’Iman Paris en 2020. Un aboutissement professionnel. Stoppé net en mars 2021 par une incarcération. « C’est ma femme Sarah qui a géré et maintenu la marque pendant huit mois, retrace-t-il, reconnaissant. Mais j’ai presque tout perdu. » C’est elle aussi qui a découvert Les Déterminés et lui a parlé de cette formation qu’ils ont finalement suivie tous les deux.
Sarah Haroun était alors enceinte de son troisième enfant. Elle s’est accrochée pour créer Armoniy Beauty. Un centre d’amincissement et de beauté situé dans le 14e arrondissement de Marseille qui va bientôt être dupliqué à une autre adresse. Et pourrait même devenir une franchise. Soidrou, lui, a trouvé la force de repartir quasiment de zéro. « Ça m’a redonné confiance et ça a été déterminant, assure celui qui veut donner de l’espoir aux jeunes à travers ses vêtements. J’ai vu toutes les erreurs que j’avais faites. J’étais autodidacte, je ne connaissais rien, je n’avais même pas de compta ! Je devais structurer mon projet, savoir le vendre, avoir du réseau… Et aujourd’hui encore, Moussa ne me lâche pas ! »
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Poursuivre sur cette dynamique

Moussa Camara qui insiste sur sa volonté de « continuer la dynamique à Marseille ». Cette « deuxième ville de France où il avait la certitude qu’il y avait forcément un potentiel fort », retrace Vanessa Saragaglia, directrice Employabilité des Déterminés. Cette ville aussi où « on a découvert beaucoup de détermination » chez les plus de 300 personnes accompagnées. Après quatre ans et demi dans la cité phocéenne, l’association y poursuit son chemin. « On doit encore aller chercher dans les QPV ceux qui ont l’impression qu’entreprendre, ce n’est pas pour eux. Ou ceux qui ne savent pas par où commencer. 97% des entrepreneurs issus de ces quartiers n’ont pas de ressources pour démarrer, précise le président. Il faut les mettre dans des parcours de financement. »
Comme il faut désormais développer le parcours Employabilité. Axé sur le retour à l’emploi, il vise à former des salariés à des métiers sous tension. Dans l’hôtellerie, la restauration, l’industrie, l’e-commerce ou encore le spectacle et la publicité. En partenariat avec de grands groupes qui recrutent. Lancé en 2019, il a déjà bénéficié à 27 promotions, soit plus de trois cents personnes, avec un taux de retour à l’emploi de 67%. Mais à Marseille, ce chantier s’amorce tout juste. ♦
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Bonus
# Dans vingt villes – Créée en 2015 à Cergy, l’association Les Déterminés s’est ensuite déployée à Nancy et Lyon puis à Toulouse, Montpellier et Marseille. Elle est présente également au Havre, à Rouen ou encore à Nantes. Pour postuler, c’est ici.