EnvironnementSociété
En mode raisonnable
À contre-courant d’une industrie textile dominée par la fast-fashion et la surproduction, Une Autre Mode Est Possible (UAMEP) propose un nouveau modèle, durable, créatif et fédérateur. Fondé en 2017 par Arielle Lévy pour incarner une vision alternative, ce collectif agit au carrefour de l’art, l’engagement social et l’écologie.
« La jeune création doit se regrouper, mutualiser ses outils, ses pratiques, ses réseaux et ses expertises, afin de pouvoir faire entendre sa voix et de limiter les intermédiaires, peut-on lire dans une tribune rédigée par Arielle Lévy en 2018. Elle doit sortir de la sphère purement textile pour travailler de manière transversale en se connectant aux autres filières, par exemple la filière agricole. »
Accompagnée de son chien Frimousse, Arielle Lévy nous a donné rendez-vous dans un café parisien. Styliste et entrepreneuse, elle a cofondé le collectif Une autre mode est possible (UAMEP) en 2017. Au travers de la construction de ce réseau de réflexion engagé et actif, elle revient sur son combat pour une mode différente, axée sur l’art, le réemploi et le lien avec la nature.
Une vision pionnière de la mode

Arielle Lévy n’en est pas à son premier projet. En 2008, elle fondait la marque de prêt-à-porter écoresponsable L’herbe rouge, sorte de préfiguration de ce qui sera la substance de son collectif : agir autrement, de la création à la vente. « L’idée première était de fédérer les pionniers sur le sujet et de valoriser le patrimoine naturel et culturel français, présente la cofondatrice. Tout en explorant de nouveaux usages. Comme un label d’édition. Comme un laboratoire d’expérimentation sociale et artistique ! »
Le collectif rassemble des designers, artisans, artistes et citoyens engagés. Qui ne veulent plus d’une mode « déconnectée des enjeux sociaux et environnementaux. On ne peut plus séparer la conscience du vivant et les pratiques créatives. Tout est lié et une mode alternative est vraiment possible », martèle Arielle Lévy, forte de vingt-cinq ans de travail dans le milieu.
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Une gouvernance circulaire et inclusive

L’un des principes d’UAMEP réside dans sa gouvernance transversale. La centaine de membres actifs pilote ensemble les décisions du collectif. « On a une gouvernance circulaire, insiste la cofondatrice. L’accès est simple, avec une cotisation annuelle de 20 euros. Mais ce qui compte, c’est avant tout la volonté de participer activement. Et d’y croire. Cela favorise la diversité des profils et des idées. » Et pour pouvoir agir concrètement, cette ouverture s’étend à des partenariats autour de la sensibilisation, avec des ressourceries et des ateliers d’insertion (comme celui de l’Armée du Salut). Mais aussi des acteurs associatifs tels que Fashion Revolution ou Fashion Green Hub.

C’est d’ailleurs grâce à ces derniers que Katia a découvert l’UAMEP. Présente avec sa marque Katia Cameleon dans la boutique No Mad (rue de Turenne à Paris) tenue par divers créateurs et créatrices, la créatrice de vêtements multi-usages « trouve que ça correspond bien avec [ses] valeurs. On répartit les journées de vente entre les trente artistes, on partage le foncier. On crée tout en ayant une visibilité. Et on se tire vers le haut ! Pour être honnête, ça collait en termes de variété, qu’il s’agisse des styles… ou des prix. »
Dans la boutique mutualisée, montres, boucles d’oreilles, jupes et pulls de tous genres se côtoient. « On s’amuse avec les matériaux. La mode est transformable vers un monde de nouveaux possibles », positive Katia.
« Nous devons transmettre une sensibilité à la mode responsable »

Les partenariats de l’UAMEP s’étendent également à des lycées techniques et des écoles de mode. Car le volet éducation est important. « Nous devons transmettre une sensibilité à la mode responsable. C’est un travail de longue haleine mais nécessaire, qui devrait commencer dès la petite enfance », soutient la cofondatrice.
Le collectif souhaite sensibiliser et montrer, par ses nombreuses créations, que sa vision de l’économie sociale et solidaire de la mode n’est pas utopiste. « Entre jeunes designers et créateurs expérimentés, entre amateurs et confirmés, on travaille à la montée en performance de tous, dans le bon sens et en utilisant des matériaux naturels et locaux. On apprend les uns des autres, et cette énergie nous sauve aujourd’hui », résume Arielle Lévy.
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Semaine des autres modes et festival des Réparations
Rendez-vous important pensé par l’UAMEP, la Semaine des autres modes propose depuis 2021 de célébrer la mode engagée. En marge de la Fashion Week d’octobre et pendant la Semaine européenne du développement durable, c’est le moyen de valoriser le patrimoine vivant avec la mise en valeur de savoir-faire artisanaux. L’occasion également de créer du lien et de sensibiliser le grand public aux bonnes pratiques, comme la réparation des vêtements.

Grâce à cette action et son pôle réparation, le collectif était présent en octobre dernier à l’Académie du climat dans le cadre du Festival des Réparations. Décrit comme « l’événement des exemples, des techniques valorisées et des solutions qui inspirent et donnent envie de prolonger la vie des vêtements », il montre comment agir sur la façon de réparer. « Car cela peut aussi se faire par des protocoles poétiques et artistiques. Et c’est ce qu’on porte dans le collectif, dans notre Maison des autres modes », argumente la cofondatrice en donnant l’exemple de patchs de jean surcyclés et du recyclage de chambres à air.
En 2022, toujours dans le cadre de la Semaine des autres modes, près de 10 000 personnes avaient investi une quarantaine de lieux parisiens (tiers-lieux, écoles de mode, établissements culturels, ressourceries). Là, elles avaient réfléchi aux cinq grands piliers du Manifeste des autres modes : la transparence, le respect de la planète, l’inclusion, la dimension culturelle et la consommation responsable.
« Déraciner les anciens paradigmes pour penser autrement »

Inspirée par le mouvement Colibris cofondé par Pierre Rabhi et le Bauhaus « pour bâtir un nouveau monde auquel s’ajoute une vocation sociale d’égalité », Arielle Lévy défend une décroissance raisonnée. Mais pas au détriment de la création de valeur. « Nous produisons de la valeur immatérielle et sociale », explique-t-elle. Cette philosophie se traduit par des collaborations, entre la marque responsable Cécance et l’artiste Maud Louvrier Clerc, par exemple. Ensemble et par la création artistique, elles ont exprimé leur engagement pour la protection des océans à travers des vêtements.
Comme une invitation à ralentir et à repenser notre rapport à la mode, le collectif souhaite « déraciner les anciens paradigmes pour penser autrement ». « Orientons-nous vers une création de valeur différente : du lien social, de l’art, du sens, invite Arielle Lévy. C’est la clé pour un avenir durable. » ♦