ÉconomieEnvironnement

Par Raphaëlle Duchemin, le 11 décembre 2024

Journaliste

JOUGA, l’autre atelier du Père Noël

Poussés par une conscience des enjeux climatiques et un pouvoir d’achat qui se réduit, 40% des consommateurs veulent de la seconde main - Image © Pixabay

Saviez-vous qu’il se vend en France chaque seconde entre sept et huit jouets ? La période la plus faste est évidemment celle de Noël, avec un tiers des ventes. Mais dans chacun des paquets combien de jeux, peluches, poupées ou puzzle fabriqués dans l’hexagone ? 15% seulement. Et oui, cette année encore, les joujoux qui seront au pied du sapin viendront de l’autre bout de la planète, et bien souvent d’Asie. Pas idéal pour l’empreinte écologique. Alors, pour changer le système, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché. C’est le cas de Jouga : jouet en provençal. L’entreprise de Bouc-Bel-Air rêve le marché de l’occasion en grand. 

Rien à voir avec l’usine du Père Noël. Mais en décembre, l’atelier de Jouga à Puyricard (Bouches-du-Rhône) fonctionne à plein régime. Ici, pas de lutins pour emballer les cadeaux, mais des jouets par milliers. Et une activité en pleine effervescence pour les treize personnes qui y travaillent, dont deux issues d’un ESAT d’Aubagne, Les Merisiers. Car l’ambition est claire : mettre un maximum de cadeaux reconditionnés entre les mains des enfants.

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110 000 tonnes de jouets jetées chaque année

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Laura Bos, fondatrice de Jouga ©DR

Depuis 2021, c’est l’objectif que s’est fixé Laura Bos. « Il y a deux choses qui m’ont incitée à me lancer, explique la quadragénaire. Je travaillais chez Petit Bateau et j’étais dans la seconde main en magasin. J’ai découvert que c’était un univers qui se développait et se professionnalisait. Puis, en novembre 2020, j’étais au chômage partiel et j’ai voulu faire un Noël entièrement seconde main. C’était long à mettre en place et pas toujours qualitatif alors j’ai eu envie d’imaginer une solution. » Elle crée alors l’entreprise Lady Cocotte, aujourd’hui renommée Jouga : « Je voulais quelque chose de plus moderne, un mot qui rassemble. Et puis ça a une signification en provençal et on est assez fiers de nos racines et en même temps ça porte nos ambitions. »

Et si les initiatives se multiplient c’est parce que le secteur a de vrais défis à relever : 110 000 tonnes de jouets sont jetées chaque année selon l’ADEME. Or les trois quarts sont fabriqués à partir de matière plastique. De surcroît, une fois le paquet déballé et la surprise passée, l’enfant l’utilisera huit mois en moyenne avant de le délaisser. Deux bonnes raisons qui ont fini de convaincre Laura d’agir.

La seconde main plébiscitée

Elle tâtonne d’abord pour trouver son modèle et essaie plusieurs options: « Au début j’achetais les jouets, je les vérifiais, je les nettoyais. Ensuite j’ai eu des boutiques éphémères. Et en 2023 j’ai été contactée par des distributeurs. »

Entre temps, les enquêtes d’opinion ont parlé : 40% des consommateurs veulent de la seconde main, poussés par une conscience des enjeux climatiques qui se développe mais aussi par un pouvoir d’achat qui se réduit comme peau de chagrin. Alors pour les satisfaire les grandes enseignes ne veulent pas être à la traîne ni laisser le marché à d’autres, et cherchent des filières pour les approvisionner. C’est là que Laura va faire évoluer son modèle économique. « Ils voulaient avoir des jouets d’occasion dans leurs rayons. Ils cherchaient des fournisseurs et je me suis dit que j’allais pivoter. » 

♦ Lire aussi : Rejouons Solidaire concilie insertion et jouets d’occasion

Vider garages, placards et coffres à jouets

Et ça marche : 30 000 jouets remis en circulation sur les dix premiers mois de l’année et 20 000 collectés sur le seul mois de novembre. La botte secrète ? Les garages, les placards, les coffres à jouets des particuliers. Presque aussi remplis que la hotte du père Noël, ils débordent de robots, de jeux de construction, de petites voitures qui prennent la poussière, ou de poupons qui attendent un nouveau propriétaire pour les bercer.

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Les jouets reconditionnés sont remis en rayon ©DR

« On est en C to B, souligne Laura. Concrètement, on rachète directement aux particuliers qui nous les envoient ou les déposent à Puyricard, dans notre entrepôt. On a une équipe qui vérifie les jouets, les nettoie. Ce qui peut être revendu, on le rachète entre 10 et 15% du prix initial. On le remet dans des packs kraft et ils sont bons pour une nouvelle vie. »

Déjà 45 magasins conquis

Cette nouvelle vie commence dans les grands magasins : les jouets d’occasion sont certes moins chers, mais ils trônent à côté des neufs dans les rayons chez Cultura, Intermarché ou Leclerc et Carrefour. Avec une constante ; le petit prix qui ne dépasse presque jamais les 10 euros. Résultat, 45 magasins jouent déjà le jeu. « Nous en aurons 130 d’ici le mois de février », se réjouit Laura. Toutes les enseignes y viennent, car aujourd’hui le jouet de seconde main représente 6% du marché. Pas question pour les enseignes de passer à côté d’une tendance de consommation qui croît d’année en année, avec +26 % en 2023.

Pour Laura, c’est cette massification du marché qui permettra de faire émerger un modèle pérenne : « Pour être rentable, il faut que ce soit fait à grande échelle, pointe-t-elle. On doit mettre des jouets d’occasion partout où il y a des jouets neufs »

Pour rendre le modèle encore plus efficace la jeune femme a coconstruit un logiciel qui soulage ses équipes et permet de fiabiliser les inspections : « L’IA nous aide beaucoup à identifier le jouet avoir une fiche produit si on traite la peluche par exemple on va regarder l’étiquette CE, les yeux et tout un tas d’autres points qui apparaissent. La technologie nous guide et nous dit ce qu’il faut vérifier. 

 Les Lego vendus au poids

Et quand le compte n’y est pas Jouga a trouvé la parade : « Les Lego, par exemple, on les vend en vrac au poids et l’imagination de l’enfant fait le reste. Les Playmobil aussi ! On s’amuse beaucoup à faire des lots de chevaliers ou des familles : Brigitte et ses enfants à la plage. On récupère aussi beaucoup de jeux d’enfance comme Les chiffres et les lettres ou des jeux de société d’aujourd’hui, mais en édition ancienne, comme le Scrabble qui plaît beaucoup ».

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Les Playmobil aussi sont vendus en vrac, au poids ©Unsplash

Enfin, pour ceux qui n’ont toujours pas les bons états de service, il existe encore des options : « Pour les jouets qui sont en fin de vie on travaille avec Écomaison. Ceux qui peuvent être revendus, comme une poupée à qui on aurait coupé les cheveux, on les donne. Ce peut être à des associations comme Emmaüs ou des structures comme Remise en jeu, qui les réparent ». Autant de solutions qui permettent, le 25 décembre, de n’oublier aucun petit soulier. ♦

Bonus

# L’expérience de Stéphanie Zwaiaka, responsable bazar de l’Intermarché de Pont à Mousson (54).

“On a été contacté par la centrale Intermarché qui nous a proposé le projet en tant que magasin test. C’était en octobre 2023, nous étions 5 magasins. On a commencé avec trois éléments et une tête de gondole. En terme de visibilité de passage, il n’y a pas mieux. Au début les gens étaient surpris, mais dans le bon sens. Quand on a des nouveautés, on met des affiches ou on poste sur les réseaux.

Cela représente aujourd’hui une trentaine de jouets, soit un dixième du rayon. On les vend entre 40 et 60% moins chers que le prix du neuf. À la livraison, ils sont déjà étiquetés et emballés, il n’y a rien à faire, à part les positionner. On faisait déjà de l’occasion dans les vêtements, alors les gens apprécient. Les retours sont positifs.

On s’était laissé quelques mois pour voir comment ça allait se passer… Et aujourd’hui, ça fait partie du rayon. On n’a pas l’intention d’arrêter.

Les Playmobil, les Lego en vrac vendu au poids, c’est pas mal. Ça part tout de suite. Les jeux de société aussi. C’est le trio qui part le mieux !”