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Par Marie Le Marois, le 8 janvier 2025

Journaliste

Retraiteur : une nouvelle vie pour les jeunes retraités, aux fourneaux

Une partie des Retraiteurs avec, au centre, Cécilia Collot, la fondatrice d'Oma&Opa

Le passage à la retraite entraîne souvent une baisse de revenus et de sens. Pour y remédier, le traiteur engagé Oma&Opa valorise le savoir-faire de jeunes retraités passionnés de cuisine, tout en leur offrant un complément de retraite. Lancé à Paris en novembre 2023 par Cécilia Collot, il compte depuis 18 entreprises clientes, conquises par les recettes d’une douzaine de ‘’Retraiteurs’’.

Derrière un porche dans le nord-est de Paris, au fond d’une cour, se cache un tiers-lieu chaleureux doté d’une cuisine collaborative. C’est ici le fief d’Oma&Opa – traduction de mamie et papi en allemand. Autour du plan de travail en inox s’affairent une dizaine d’hommes et de femmes dont la moyenne d’âge est de 66 ans. Aujourd’hui, ils ne travaillent pas. Ils se forment à la cuisine thaïlandaise avec Mama Ly (bonus). Certains ont le cheveu grisonnant, tous ont le geste précis et le visage enthousiaste. Ce sont des ‘’Retraiteurs’’ – contraction de « retraité » et « traiteur ». Ces jeunes retraités passionnés de cuisine réalisent ensemble plateaux-repas et buffets pour des entreprises. « La plus grosse prestation s’est déroulée en octobre au Théâtre Mogador. 500 invités servis pour Les Restos du Cœur. Deux jours et demi de production, on a envoyé du lourd », raconte posément Cécilia Collot, la fondatrice dOma&Opa. Un profil singulier, avec trente années de moins que ses Retraiteurs et aucune appétence pour les fourneaux – au départ.

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Le sentiment d’inutilité sociale 

Dominique et Caky, avec Mama Ly, qui donne un cours de cuisine thaï, et Chloé, l’alternante d’Oma&Opa @Marcelle

Cette directrice commerciale de formation a eu l’idée d’Oma&Opa avec Bruno, son père, « qui a mis du temps à passer le cap de la retraite », étaye la jeune femme. Ce moment est effectivement difficile pour certains : rupture du lien social, perte d’estime de soi, sentiment d’inutilité (bonus). Cécilia Collot est partie du postulat que la cuisine est, en France, le facteur le plus fédérateur. Elle a donc imaginé un projet dans ce domaine qui permet à ceux qui vivent le passage à la retraite de transmettre leur savoir-faire. Cette partisane de lentrepreneuriat à impact, depuis son expérience de directrice commerciale chez Too Good To go – lapplication antigaspi -, n’a eu aucun mal à les recruter. Une annonce dans la newsletter de la Fabrique de la Solidarité, dispositif de la mairie de Paris, puis un partenariat avec L’atelier des Chefs. Le bouche-à-oreille a fait le reste. 

Une activité qui a du sens pour les retraités

Touche finale par Catherine. À sa gauche, Sylvie et Caky. Â sa droite, Dominique @Marcelle

Décrocher un travail dans la cuisine fut une aubaine pour Catherine et Sylvie. « Les seuls petits boulots qu’on nous proposait, c’était du baby-sitting, des enquêtes et beaucoup de bénévolat », confient les deux femmes. Une aubaine car cuisiner est une passion, comme pour les onze autres Retraiteurs. Avant d’intégrer l’équipe, 80% d’entre eux avaient déjà un CAP en poche passé en distanciel avec L’atelier des Chefs. Ce certificat n’est toutefois pas un prérequis, « il faut juste être passionné de cuisine pour parler le même langage », rectifie Cécilia Collot, tout en apprenant avec sa brigade à réaliser nems au porc et Gà Bùn (vermicelles de riz, poulet et citronnelle).

Mais peu de contraintes

Production et réflexion collaborative pour 450 convives en octobre 2024 @DR

En face d’elle, Sylvie raconte que cette passion l’habite depuis son plus jeune âge. Au moment de choisir ses études, cette femme de 63 ans avait hésité entre école d’ingénieur et école hôtelière. « La raison l’a emporté », lâche-t-elle, néanmoins sans regret. À la retraite, elle a cherché une occupation qui fasse sens. Et caressé l’idée d’ouvrir un Foodtruck. « Mais quand on a bossé douze heures par jour pendant quarante ans, on n’a plus envie d’un tel rythme ». Caky avait un rêve : faire un tour du monde grâce à sa cuisine et sa cueillette pour le financer. « Sauf que mes revenus ne m’ont pas permis de le réaliser ». Patrick, qui travaillait dans la distribution de la presse, envisageait lui d’ouvrir une table d’hôte, avant de se rétracter. Trop astreignant.  

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Libres d’accepter ou pas

Patrick travaillait dans la distribution de la presse, avant de concrétiser sa passion de la cuisine avec Oma&Opa @DR

Travailler dans un secteur qui lui plaisait, mais sans trop de contraintes est ce que cherchait également Catherine. La retraite venue, celle qui fut traiteur solo durant douze ans, après une reconversion, pensait pourtant avoir trouvé la bonne formule. Elle s’était inscrite sur une plateforme de chef à domicile. Mais l’exercice était « très dur ». En plus de la cuisine, elle devait faire les courses, compiler les tickets de caisse et établir les factures. « Tout ça pour 15 euros de l’heure, j’ai arrêté au bout d’un mois ». Avec Oma&Opa, elle n’a rien à faire, si ce n’est cuisiner pour le plaisir. Cécilia Collot s’occupe de tout et nexige aucun engagement. Les Retraiteurs, tous auto-entrepreneurs, ont la liberté daccepter ou de refuser une prestation. « Si on ne peut pas, on ne fait pas. C’est tout l’intérêt », résume Sylvie. Car, si les jeunes retraités souhaitent travailler, ce n’est pas aux dépens de leur nouvelle vie. Ils ont des petits-enfants, des activités et pour certains, des engagements bénévoles. Caky effectue des distributions alimentaires au Secours Populaire. Et Sylvie anime des ateliers culinaires et solidaires avec La Tablée des Chefs .

Avec une équipe sympa

La brigade d’Oma&Opa est composée autant d’hommes que de femmes, un hasard. De gauche à droite, Gustavo, Gérard, Dominique et Marie France @DR

L’ex-ingénieure a connu Oma&Opa « en donnant un peu d’argent » lors de la campagne participative Ulule. Elle est devenue ensuite Retraiteure, d’abord intéressée par le projet, puis « pour aider Cécilia à monter en puissance ». Un an plus tard, elle est toujours là, « je m’amuse et j’apprécie le travail en équipe. On apprend des uns des autres, on s’aide. On a des profils et des intérêts différents, c’est tout l’avantage ». Le seul bémol est la rotation des Retraiteurs. « Comme on n’est pas toujours les mêmes à travailler ensemble, on ne se connaît pas tous. Et quand on cuisine, on échange peu. Car l’objectif reste de préparer la commande à temps », étaye Sylvie, qui finalise le dessert : coulis de mangue sur billes de tapioca au lait de coco. Pour aider à créer du lien, à faire corps, Cécilia Collot organise toute l’année des événements fédérateurs, à l’image de l’atelier de cuisine du jour. 

Valoriser leur savoir-faire

Cécilia Collot avec des recettes phares de Retraiteurs déposées sur les buffets : velouté de champigons aux oignons rouges d’Oma Nadège et madeleine salée pesto pignon de pin d’Oma Sylvie

Cette originaire de Saumur, fan du hachis parmentier et de la galette comtoise de sa grand-mère, s’attache également à valoriser individuellement les Retraiteurs. Ainsi, elle met en avant les recettes phares de chacun à chaque client. Par exemple, les spécialités de Patrick cet hiver sont houmous à la courge, tartelettes carottes-cumin, salades de chou kale ou de lentilles et gâteaux (sucrés) au potimarron. Rien à voir avec Catherine, qui propose quiches roquefort-poire, burgers veau-pesto, samoussas déclinés de mille façons aux légumes et épices anti-gaspi. « Une cuisine franche, imparfaite et réconfortante avec des produits de saison achetés en circuit court », résume Cécilia Collot, qui tient à conjuguer impact social et environnemental. Cette sportive, adepte de la course à pied, peut compter sur ses contacts au marché de Rungis, noués lorsqu’elle travaillait dans l’import-export de viande dexception.

Et offrir un complément de retraite

Buffet généreux OMA’MAMIA @DR

Les prestations d’Oma&Opa sont rémunérées 20 euros de lheure. De quoi rémunérer à hauteur de 400 euros brut par mois les Retraiteurs, s’ils assurent quatre à cinq prestations, ce que garantit Cécilia Collot. C’est un complément de ressources non négligeable pour certains, comme Dominique, ancienne agente d’accueil dans un centre social. « Ça paye les factures », surenchérit Caky, qui travaillait dans l’immobilier commercial. Depuis sa première prestation en février 2024, Oma&Opa enchaîne les bonnes surprises. Des entreprises qui renouvellent l’expérience, « attirées par le concept, la dimension sociale et, bien sûr, la cuisine », estime la cheffe dentreprise de 32 ans. La subvention accordée en avril par L’Assurance retraite. Et la nomination en septembre comme solution innovante dans la catégorie « lutte contre l’isolement » de Silver Eco – portail du bien vieillir. 

Un entrepreneuriat heureux, mais difficile

Prochaines productions : des galettes des rois fabriqués par nos retraités tout le mois de janvier, pour différents clients @Marcelle

Oma&Opa compte désormais dix-huit clients, petites et grosses structures. « Nous navons eu à faire aucune prospection », se félicite, encore étonnée, Cécilia Collot. Elle ne cache cependant pas les difficultés traversées, notamment de se sentir légitime de monter seule et porter ce projet à impact « assez dingo ». « J’avais un peu le syndrome de l’imposteur, je ne savais pas si j’avais la carrure nécessaire pour atteindre les objectifs ». Pour y parvenir, elle a intégré des programmes d’accompagnement, qui se sont avérés « bienveillants, mais aussi challengeant ». Comme Ticket for Change, Les Audacieuses et, en ce moment, Paris&Co. Cette entrepreneuse agile et humble a pu également compter sur les Retraiteurs de première heure, avec lesquels elle a coconstruit son projet.  

Toujours en mouvement

Pour 2025, cette Parisienne depuis bientôt dix ans souhaite optimiser « tout ce qu’on a construit ensemble ». Mais également grossir sa brigade à vingt jeunes retraités, « pour assurer un roulement et des prestations plus importantes ». Enfin, ouvrir prochainement des ateliers intergénérationnels avec des enfants. Un nouveau projet qui ancre un peu plus Oma&Opa comme acteur du lien social et de la transmission.♦ 

Bonus

# Une cuisine partagée. Oma&Opa partage la cuisine avec deux autres professionnelles qui organisent des ateliers : Mama Ly et atelier Thym. « Ce système me permet d’accéder à une cuisine professionnelle, car les prix sont normalement exorbitants. Et deux projets super chouettes », souligne Cécilia Collot. 

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# La retraite, une transition à considérer. Dans Le passage à la retraite : craintes et espoirs, les auteurs résument cette transition vécue dans notre société contemporaine développée. « Quel que soit l’âge du passage, la retraite manifeste une rupture avec un passé qui comportait certes des contraintes horaires, hiérarchiques, des enjeux économiques, mais aussi un contexte de socialisation, dappartenance identitaire, de réalisation et de valorisation de soi. Lenvironnement du travail formel et informel offre un univers normatif de valeurs autour duquel sorganise la vie du travailleur. La rupture avec ce passé implique un deuil, au même titre que lentrée dans l’âge adulte impliquait la perte de lenfance. Ce passage entraîne également lentrée dans une période de vie quil faut investir. Un environnement nouveau dinsertion sociale, de valeurs, de repères identitaires est à reconstruire. La période dans laquelle entre le retraité est nécessairement la dernière de sa vie. Bien quelle soit lointaine, cette issue ne peut manquer d’être présente à son esprit. Comme dans tous les rituels de passage décrits par les ethnologues, la retraite va comporter ces trois composantes que sont le retrait, la perte et la renaissance à une nouvelle vie ».

Oma&Opa, à ne pas confondre avec Oma & Opa, plateforme qui partage grâce à ses consommateurs fruits, légumes, viande, produits laitiers, vins d’Alsace.