AgricultureSolidarité
Nicolas Chabanne, chantre de la consomm’action
En moins de dix ans, il s’est imposé comme l’un des visages incontournables de la défense du monde agricole : Nicolas Chabanne fondateur de C’est qui le patron ? a choisi de léguer la totalité de ses parts à une fondation créée fin 2024. Son ambition ? Toujours la même qu’au début de l’aventure : mettre les producteurs durablement à l’abri.
« Entre vingt entreprises qui se tirent la bourre et celles qui acceptent de partager avec ceux qui consomment, je me demande qui, dans quelques années, vaudra le plus ? » Nicolas Chabanne pose la question, mais uniquement pour jouer les provocateurs. Car la réponse, il la connaît déjà. En moins de dix ans, avec les producteurs qui ont cru en lui et les consommateurs qui ont joué le jeu, il a bâti un nouveau modèle d’entreprise sur lequel peu d’industriels auraient misé. Le secret tient en un mot : le collectif.

« Savoir à quoi sert notre argent »
En 2016, en pleine crise du lait, l’entrepreneur décide de mettre ses talents d’orateur au service des producteurs pour les aider à défendre le juste prix. Il trouve alors une botte secrète, une arme imparable : le consommateur. Avec un raisonnement aussi efficace qu’évident : « L’argent de l’année est dans nos poches. Si tu repars du rôle du consommateur, premier, absolu, irremplaçable, unique, et si on se rappelle ça tous ensemble et qu’on coordonne nos achats, on peut avoir une influence. »

Doux rêveur, idéaliste ? Peut-être, mais le système fonctionne : au départ la grande distribution les raille se souvient Martial Darbon, qui l’accompagne depuis le premier jour. Le producteur de lait qui a, depuis, passé la main de son exploitation a des images précises des débuts : « Quand on a décidé de demander leur avis aux consommateurs, Carrefour nous a répondu vous allez avoir 500 retours maximum et à l’intérieur des insultes à la pelle ». Ça n’est pas ce qui s’est produit. « La première semaine, on a reçu 2500 réponses de gens qui nous disaient, oui on veut manger français. Oui c’est normal qu’on vous défende. Puis pour un euro, ils ont choisi de devenir sociétaires. »
Plébiscite populaire
Les 5000 du début ont grossi ils sont aujourd’hui 15 691 adhérents. Les 24 millions de chiffre de 2017 se sont transformés en 214 millions, grâce à la vente de lait mais aussi celle des œufs, du beurre et de 17 produits au total, chouchous désormais de près de 16 millions de consommateurs (lire bonus).
Mais, post covid, l’équipe de C’est qui le patron sent que le regard change : le succès de la démarche solidaire fait des jaloux. « On nous cherchait des poux dans la tête, affirme Martial. On pensait qu’on négociait des marges arrière (rétrocommission -Ndlr). Mais Nico est au-dessus de tout ça. » Et la suite va le démontrer.
♦ Un manifeste. Intitulé Qui décide ? Nous ! et paru aux éditions Lafon, le Manifeste des consommateurs compte 50 pages. Il coûte 2,49 euros, et les bénéfices des ventes vont aux producteurs. « Ce texte apporte la preuve concrète que notre mobilisation peut durablement changer la vie des producteurs et productrices qui travaillent dur chaque jour pour remplir nos assiettes et celles de nos enfants ».

Voir plus grand
« Un jour, poursuit Martial, il m’a téléphoné. Et m’a dit : je fous tout dans une fondation. J’ai répondu respect. Il m’a dit tu m’aides ? On l’a fait ».
Et Nicolas Chabanne va joindre les actes aux paroles : son fils Mateo, 23 ans, se rappelle avoir été réuni il y a deux ans avec Léo et Clara ses frère et sœur, dans la maison familiale en Ardèche. Car pour léguer les actions de l’entreprise, ses enfants doivent d’abord renoncer à toute forme d’héritage ou de droits. « À un moment des vacances, il nous a dit : il faudrait qu’on parle de la fondation. Mais pour nous, c’était clair. Depuis le début, il avait toujours dit que CQLP n’était pas une boîte pour s’enrichir. C’est lui qui a tout créé, donc on a confiance. Et en comprenant que ce système permet de sécuriser et de protéger des générations de producteurs, on s’est dit que c’était génial ».
Nicolas est du même avis : « Je me suis dit, si demain il m’arrive quelque chose, mes enfants vont faire quoi ? Or une aventure comme celle-là a besoin de stabilité. J’aurais pu décider d’appuyer sur un bouton et de me verser 500 000 euros. Ou faire comme les Américains et garder 1%. Moi je ne voulais pas. Parce que quand tu es consommateur et que tu te mets à acheter des produits solidaires et collectifs il faut que les seules personnes qui en tirent un profit ce soient les producteurs. Aujourd’hui, avec la fondation actionnaire, cette maison devient invendable et elle protège pour toujours les nouvelles générations. »

Faire des émules
L’annonce a fait taire les mauvaises langues, mais aussi décide un Nicolas Chabanne infatigable optimiste à pousser plus loin : « Cela m’a presque étonné de voir l’impact que ça a eu, confie-t-il. Quand tu fais ça, tu devrais la fermer, mais je me suis dit : en avant ! Je veux accompagner tout entrepreneur qui veut reprendre ce modèle. Parce que s’il y en a d’autres qui comprennent les enjeux, les urgences qu’il peut y avoir dans d’autres pans de l’économie, et bien je sais comment faire. »
Il jette alors les bases de ce qu’il appelle une nouvelle famille d’entreprise, « les entreprises du partage ». Et les coups de téléphone s’enchaînent. « Des gens qui font des maisons de retraite, des Ehpad, nous ont appelé. Il y a de la rentabilité qui entre en jeu et si seulement on arrivait à se dire que sur certains secteurs ça ne doit pas entrer en ligne de compte. Au bout d’un moment, une autre ère doit naître. Et quand tes propres associés sont ceux qui consomment, tu n’as pas besoin de romancer. »
Les entreprises traditionnelles l’ont bien compris et commencent à regarder avec intérêt le modèle. « C’est assez nouveau, reconnaît Nicolas Chabanne, mais j’ai beaucoup de très grandes entreprises qui savent que le monde capitaliste à l’ancienne ne durera pas, que le tour de magie va s’arrêter ». Loin de lui l’idée de leur dire de défaire ce qu’ils ont bâti. Plutôt de construire à côté, autrement, pour faire grandir d’autres modèles. En attendant de convaincre, Nicolas Chabanne poursuit l’aventure CQLP, « à 2000 % » assure-t-il. ♦
* Le Fonds de dotation de la Compagnie Fruitière parraine la rubrique agriculture-alimentation et vous offre la lecture de cet article *
Bonus
[pour les abonnés] – Les fruits et légumes en projet – Chiffres-clé – Les produits champions de la marque – Votez pour l’emmental râpé CQLP –
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# Le projet fruits et légumes. La marque se concentre sur une nouvelle mission : soutenir les producteurs de fruits et légumes comme elle l’a fait pour la filière lait. Dans nos assiettes, un sur deux provient de l’étranger et participe à la diminution des surfaces agricoles dédiées au maraîchage. D’ici septembre, six d’entre eux (oignon, ail, échalote, cerise, pomme et carotte) pourront arborer fièrement la marque du consomma(c)teur.
# Les chiffres-clé
578.7 millions de produits solidaires vendus depuis le lancement
482 millions de litres de lait équitable depuis 2016
71.5 millions de litres de lait vendus en 2024 (contre 64.8 millions en 2023)
17 produits solidaires ont été créés par les consommateurs, en soutien aux producteurs
15 691 consommateurs adhérents de la coopérative votent pour l’évolution du cahier des charges et vérifient leur bonne application !
15,1 millions de consommateurs et plus de 3 000 familles de producteurs soutenues
CQLP est la marque nouvelle la plus vendue depuis dix ans !

♦ Relire : Climat – le coup de pouce de Confian’sol aux agriculteurs
# Les produits champions de CQLP. La brique de lait demi-écrémé est la plus vendue de France. Idem pour le beurre bio les plus vendus de France. Les œufs plein air x 6 numéro 3 des ventes
