AlimentationSanté

Par Audrey Savournin, le 10 mars 2025

Journaliste

Une alimentation saine dès la grossesse

Parce qu’un enfant de 2 à 7 ans sur trois est en surpoids. Parce qu’une femme sur six développe un diabète gestationnel. Et parce que 44% des femmes enceintes font face à des difficultés financières, Clélia Bianchi a créé Alim’Mater en 2023, à Marseille : pour accompagner les publics les plus précaires vers une alimentation saine et équilibrée, même avec peu de moyens, dès la grossesse. 

« J’ai suivi plus de 500 mamans et j’ai tout entendu : une voulait manger du couscous dès le petit-déjeuner, une autre grignotait de la craie, une autre encore avalait une pastèque par jour», dédramatise Clélia Bianchi en introduction de l’atelier « 9 mois à croquer », dans la petite salle polyvalente de la PMI (Protection maternelle et infantile) Colbert. Atelier gratuit qu’elle anime au nom l’association marseillaise Alim’Mater, qu’elle a créée en 2023 et lancée concrètement un an plus tard.

Ingénieur en santé publique, docteur en nutrition, elle a consacré sa thèse à l’alimentation pendant la grossesse et la petite enfance, en 2018. Puis elle s’est penchée sur la précarité en post-doctorat. Avant de revenir à sa thèse, par l’action associative, après quelques années dans le secteur privé. « Je suis tombée amoureuse de mon sujet, retrace la trentenaire. C’est une période si importante…»

Une approche multiculturelle

Autour de Clélia Bianchi, les futures mamans feuillettent les documents mis à leur disposition dans la salle de la PMI Colbert.
Autour de Clélia Bianchi, les futures mamans feuillettent les documents mis à leur disposition. © AS

Installés autour de la table basse ronde, à ses côtés : Lisa, qui attend son troisième enfant ; Aruna*, venue avec son petit garçon de presque trois ans qui aura bientôt une petite sœur ; Mamia, enceinte de son premier bébé, comme Fatoumata venue accompagnée de son mari, Bamba. Chacune se présente en quelques mots, notamment en racontant quel est l’aliment qu’elles adorent manger pendant la grossesse… Et celui qu’elles ne supportent pas ou plus.

Un dégel très efficace, chacune réagissant au vécu des autres. Elles rient à l’addiction au chocolat de Lisa. Sourient à la passion de Fatoumata pour le riz. Compatissent au diabète gestationnel d’Aruna*. Et partagent des astuces contre les brûlures d’estomac de Mamia. En quelques phrases seulement, elles défrichent deux sujets de santé importants sur lesquels Clélia peut rebondir très naturellement, avec beaucoup de simplicité et de bienveillance.

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Elle explique ainsi les aliments à éviter quand on a du diabète lié à la grossesse (un trouble de la tolérance au sucre qui disparaît à l’accouchement mais peut avoir des conséquences chez l’enfant et la mère).… Et comment les remplacer. Parce que « ce n’est pas tout de leur dire de ne pas manger beaucoup de riz, qui a un index glycémique élevé. Encore faut-il leur indiquer qu’elles peuvent par exemple manger davantage de légumes… Et tenir compte de leurs revenus, de leur culture… » estime Clélia, très remontée contre les discours descendants, centrés sur les modes de vie européens, voire prônant une alimentation bio totalement inaccessible pour les personnes précaires. Elle, leur conseille spontanément les gombos (sorte d’haricots verts), l’attiéké (de la semoule de manioc fermenté), le foutou banane (à base de banane plantain) et les samossas, très consommés en Afrique. Ou encore les amandes, « pleines de minéraux, de vitamines et peu sucrées».

Et elle adore leur dire : « Je vais venir manger chez vous », pour les valoriser. Comme elle a à cœur de leur montrer qu’elle-même ne fait pas tout parfaitement, qu’elle n’aime pas les endives par exemple, pour les déculpabiliser. « La main qui donne n’est jamais au-dessus de celle qui reçoit », insiste l’animatrice.

Des fiches FALC et un quiz très visuel

Les fiches illustrées ont été conçues en FALC (facile à lire et à comprendre). © AS
Les fiches illustrées ont été conçues en FALC (facile à lire et à comprendre). Elles accompagnent un flyer sur l’appli “9 mois à croquer”. © AS

Au fil de la discussion, elle aborde aussi l’importance de manger du poisson gras, riche en Omega 3, comme le maquereau et la sardine. « Ce n’est pas cher, il suffit d’en manger une fois par semaine et c’est le top pour le cerveau du bébé et le vôtre », leur dit-elle en montrant sa tête, pour être sûre que celles qui parlent peu français la comprennent. C’est l’objectif aussi des fiches illustrées qu’elle leur a distribuées et va leur laisser en fin d’atelier. Elles ont été conçues en FALC (facile à lire et à comprendre). Et leur rappellent de quoi est composée une assiette équilibrée, les astuces pour gérer les nausées, les remontées acides, la constipation, les aliments déconseillés.

Un quiz, très visuel lui aussi, leur permet d’apprendre qu’elles peuvent sans problème savourer une pizza ou du fromage au lait cru bien cuit. Qu’une orange est préférable à un jus. Ou encore que les pommes de terre, la banane plantain, le manioc et l’igname sont des féculents et non des légumes. Et que les lentilles, les pois chiches ou les haricots rouges sont des protéines. Une mine d’informations servies sur un plateau aux futures mamans.

Des conseils appréciés

Olivia Michel et Clélia Bianchi, sur un stand de sensibilisation et de présentation d'Alim'Mater. © DR
Olivia Michel et Clélia Bianchi, sur un stand de sensibilisation et de présentation d’Alim’Mater. © DR

Très attentive, Lisa prend des notes. Elle a déjà assisté à l’atelier dédié à l’alimentation des enfants et n’en a pas perdu une miette. « Je suis allée faire des courses juste après ! J’ai acheté le beurre de cacahuète, l’huile de colza (riche en oméga 3, ndlr) et les amandes, comme tu nous avais conseillé ! confie-t-elle à Clélia. C’est dommage que la sage-femme ne nous dise pas tout ça. »

Les autres participantes acquiescent, ravies d’avoir beaucoup appris… Et de repartir chacune avec un demi-kilo d’amandes et de noix, des bananes – bio pour le coup – et des clémentines.

Olivia Michel, en service civique chez Alim’Mater, peut souffler. Elle surveillait le fils d’Aruna*, infatigable petit grimpeur, pour permettre à sa mère de profiter des conseils. Elle a un BTS en diététique et devrait donc bientôt animer elle aussi des ateliers. Car Clélia Bianchi ne compte pas ses heures depuis deux ans et multiplie les interventions.

Les deux jeunes femmes jonglent avec six sites à Marseille, mais se déplacent aussi en Seine-Saint-Denis (voir bonus). En lien avec Action Contre la Faim, les Maisons de santé, les PMI et les centres sociaux. Soucieuses d’investir des « lieux doudous » aime à dire Clélia pour décrire des espaces familiers, rassurants, où les femmes enceintes se rendent plus facilement. « On est dans l’aller vers, explicite-t-elle. Parce que ce sont des dames à qui on ne propose jamais rien, vers qui on ne va jamais. »

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En plein développement

Un deuxième atelier, sur l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans, est proposé depuis janvier 2025. © DR
Un deuxième atelier, sur l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans, est proposé depuis janvier 2025. © DR

Après avoir installé un atelier mensuel sur la grossesse dans chaque structure, elles ont mis en place cette année un deuxième atelier, sur l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans. Et cherchent aujourd’hui à inscrire Alim’Mater dans d’autres lieux, d’autres programmes. Tout en fédérant de plus en plus de professionnels (voir bonus). En 2024, une centaine de femmes ont assisté aux premiers ateliers. Et 1300 euros en bons d’achat pour des fruits et légumes frais ont été distribués en partenariat avec Carrefour Le Merlan. Car Alim’Mater veut aussi actionner le levier financier.

*le prénom a été changé.

Le Fonds de dotation Compagnie Fruitière parraine la rubrique agriculture-alimentation et vous offre la lecture de cet article 

Bonus

[pour les abonnés] – Participer à un atelier – Les lieux partenaires – Les financeurs – L’appli “9 mois à croquer” – Des webinaires pour les pros –

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# Participer à un atelier – Les inscriptions se font dans les lieux partenaires (PMI, Maisons de Santé…) ou directement auprès d’Alim Mater. L’association tient aussi ponctuellement des stands d’information et de prévention dans des points de la Sécurité sociale.

# Les lieux partenaires – Alim Mater intervient aux centres sociaux des Flamants, de Frais-Vallon et de La Viste ; à la Maison de santé Peysonnel, au cabinet de sages-femmes Cigogne et à la PMI Colbert à Marseille. Ainsi qu’à Sevran, Villetaneuse et Clichy en Seine-Saint-Denis.
L’association va bientôt participer à une expérimentation concernant 100 femmes enceintes du 3e arrondissement. Elles auront accès à des ateliers d’alimentation, mais aussi des activités (yoga et marche) et des bons d’achats à l’épicerie solidaire Racines pendant cinq mois.

# Les financeurs – L’association est financée par la Ville de Marseille, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, l’Agence Régionale de Santé, le Fonds de dotation de Compagnie fruitière (également parrain de Marcelle) et la Fondation Roquette pour la Santé.

♦ Lire aussi l’article La Compagnie Fruitière soutient l’alimentation durable

# L’appli « 9 mois à croquer » – Gratuite et accessible, l’appli « 9 mois à croquer » a été la première pierre posée par Alim Mater. Elle a été développée avec des sages-femmes et diététiciennes. En réponse aux besoins exprimés lors des études de terrain réalisées par Clélia Bianchi. Elle contient des conseils et des recettes. Un succès puisqu’elle a été téléchargée 3500 fois en 2024.

# Les webinaires pour les pros – L’association propose aussi une dizaine de webinaires et masterclasses par an à ses adhérents. 150 diététiciennes, sages-femmes et puéricultrices l’ont déjà rejointe.

* Légende de la photo d’ouverture. Pour aider les femmes les plus précaires à prendre soin d’elles et de leur bébé dès la grossesse, Alim’Mater propose des ateliers autour de l’alimentation. © Pixabay