EnvironnementRecherche

Par Agathe Perrier, le 17 mars 2025

Journaliste

Sauver les zostères de l’étang de Berre

Les herbiers de zostères jouent un rôle crucial dans les eaux où ils poussent, surtout pour la biodiversité et l’écosystème. Or, leur surface a radicalement diminué au fil des décennies. C’est notamment le cas de l’étang de Berre, près de Marseille, où une opération de restauration a été menée au printemps 2024. Ses résultats ont bluffé les chercheurs.

On connaît – du moins entend-on souvent parler – du rôle et de l’importance des herbiers de posidonie en Méditerranée. On connaît moins leurs cousins, les herbiers de zostères, que l’on retrouve en France, notamment dans l’étang de Berre. Pourtant, la fonction de ces plantes aquatiques à fleurs est aussi centrale pour leur écosystème. « Ce sont des zones refuges pour de petits poissons, qui s’y cachent. Elles maintiennent les sédiments et encaissent la houle, ce qui permet d’éviter l’érosion. Et à l’automne, elles perdent leurs feuilles qui s’échouent sur le littoral et protègent le sable », liste Raphaël Grisel, directeur du Gipreb, syndicat mixte de surveillance de l’étang de Berre alliant scientifiques et pouvoirs publics. Sans compter qu’elles font office de réservoirs de carbone, et même « les plus efficaces de la planète », d’après l’ONG WWF.

Problème : leur présence a fortement diminué au fil des décennies. À l’échelle mondiale, la superficie des herbiers de zostères a régressé de 29% entre 1879 et 2009, estime l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) auprès du média l’Info Durable. C’est encore pire dans les eaux de l’étang de Berre : de 8 000 hectares de prairies en 1916, on est passé à… 1,2 hectare en 2009, selon le Gipreb. Soit une quasi-disparition. Si la situation s’est améliorée – on en recense environ 40 hectares depuis 2020 – c’est toutefois loin d’être suffisant pour le syndicat. Il s’est donc lancé dans le repeuplement de ces précieuses plantes, avec un ambitieux projet baptisé « ReHAB ».

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Jardinage sous-marin

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Des mottes ont été transplantées selon des espacements bien précis, dans le but qu’elles se rejoignent ©L Govers, DR

Concrètement, pendant cinq jours au printemps 2024, quatre plongeurs du Gipreb ont fait du « jardinage sous-marin en bouteille », raconte Raphaël Grisel. Ils ont prélevé 8 m² d’herbiers de zostères de l’étang de Berre et les ont transplantés dans deux autres zones de cette lagune marine, la deuxième plus grande d’Europe. Suivant un schéma et des espacements bien précis, avec l’objectif que les mottes grossissent et finissent par se rejoindre pour en former de plus grosses. Un protocole fruit de nombreux tests préalablement menés par des scientifiques du The Seagrass Consortium, partenaire du projet (lire bonus).

Afin de mettre toutes les chances de son côté, l’équipe a mêlé dans les mottes trois espèces de zostères. La naine (Zostera notlei) y côtoie la marine (Zostera marina) et la cymodocée (Cymodocea nodosa). « Comme elles ont toutes un optimum écologique (ndlr : un ou des facteurs favorables de développement) différent, cela apporte une meilleure résistance aux herbiers. Ainsi, si les conditions favorisent moins une des espèces, ce ne sera peut-être pas le cas des autres. Il est important d’avoir toujours de la vie, pour ne pas perdre l’ensemble d’un herbier ».

Surface multipliée par 50

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Différentes espèces de zostères ont été mêlées dans les mottes © Gipreb, DR

À la fin de l’été, les premiers résultats ont montré une multiplication par 50 de la surface des herbiers. Les quelques mètres carrés de départ se sont transformés en 400 m² recouverts de zostères. « Les chercheurs ont halluciné devant ce taux de réussite », reconnaît le responsable.

La plante étant saisonnière, une pointe d’inquiétude s’est emparée de l’équipe à l’approche de l’hiver. Mais des observations menées il y a quelques semaines l’ont depuis rassurée. « Les herbiers ont, a priori, bien tenu. Ça nous laisse l’espoir réaliste que, dès les beaux jours et la hausse de la température de l’eau, ils repartent de plus belle. Ce qui confirmerait alors le premier succès », indique-t-il. Optimiste, il n’en reste pas moins prudent, conscient du manque de recul sur le projet.

Aller encore plus loin

Le Gipreb et les partenaires de ReHAB ne comptent pas en rester là. Une nouvelle transplantation est prévue au début du mois de juin. Cette fois pour 30 m² d’herbiers, sur deux semaines. « Si on a la même croissance que l’année dernière, ils devraient recouvrir 1 500 m² », chiffre Raphaël Grisel. D’autres opérations devraient suivre sur les deux prochaines années, avec « l’idée d’en planter un peu partout ».

Pour le plus grand bonheur de la biodiversité de l’étang de Berre. Les nouvelles prairies issues de l’opération du printemps dernier sont en effet rapidement devenues les terrains de vie et de jeu de juvéniles de poissons (stade après celui de larve). Pour des espèces inféodées à ces eaux, mais aussi des loups ou des dorades. De belles promesses que l’équipe espère voir se confirmer dans l’avenir. ♦

Bonus

# De précieux partenaires – Pour le projet ReHAB, le Gipreb est accompagné par le consortium scientifique européen The Seagrass Consortium. Des Sea Rangers, une équipe de jeunes Néerlandais engagés dans la protection et la restauration de la biodiversité marine en Europe, participent également gratuitement. L’association 8 vies pour la planète a fourni des graines de zostères qui ont été ajoutées aux herbiers transplantés pour renforcer leur capacité à grandir. La première opération a été entièrement financée par les fonds propres du syndicat mixte (10 000 euros). Les prochaines étant plus conséquentes, le budget est estimé à 80 000 euros par an. Des subventions de l’Agence de l’eau, le Département des Bouches-du-Rhône et la région Paca devraient couvrir 80% de la note.

# De meilleures conditions dans l’étang de Berre – Les herbiers de zostères ont particulièrement régressé dans ces eaux à cause des apports d’eau douce, liés à des rejets de la centrale EDF de Saint-Chamas. Un protocole d’accord a récemment été signé entre le producteur d’électricité et le Gipreb afin d’encadrer ces rejets. Sauf cas exceptionnel, ils sont désormais interdits l’été, période où l’étang est le plus fragile.

# Opération renaturation dans le bassin d’Arcachon aussi – Depuis 2021. Deux méthodes complémentaires y sont expérimentées : la restauration passive d’une part, soit la réduction des pressions qui s’exercent sur le milieu. Et, d’autre part, la restauration active, dirigée par des interventions. Parmi elles : des collectes citoyennes de graines de zostères, des plantations de semis et des transplantations de mottes. Bilan à retrouver en cliquant ici.

 

♦ Légende photo de Une – Via le projet « ReHAB », des transplantations d’herbiers de zostères sont prévues sur les trois prochaines années encore © Gipreb, DR