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Semer en ville, le défi des fermes florales
Alors qu’environ 85% des fleurs coupées en France proviennent de l’étranger, des horticulteurs font le pari fou de relancer la filière en plantant dans les villes. Ces petites fermes florales, qui vendent en circuit-court, revégétalisent l’espace urbain, tout en respectant l’environnement et en créant du lien social. Après Paris, la cité phocéenne fait l’expérience de la fleur naturelle, locale et de saison. Reportage chez Fleurs de Marseille.
La semaine dernière fut venteuse, celle-ci pluvieuse. « L’explosion de fleurs n’a pas encore eu lieu », constate Marie-Laure Wavelet dans son champ – 1500 m2 cultivés à l’est de Marseille, au cœur d’une zone ultra urbanisée. La floricultrice, créatrice de Fleurs de Marseille, y a planté ses premières graines en janvier 2023. Et force est de constater que les années ne se ressemblent pas. « L’an dernier, tous les narcisses étaient sortis. Là, ils arrivent », souligne-t-elle, photo à l’appui. Ses tulipes sont en revanche déjà épanouies. « Voilà ce à quoi ressemble mon travail : respecter les saisons, sans forcer les bulbes », résume cette actrice du Slow Flower. Un mouvement qui prône une production de fleurs de saison, respectueuses de l’environnement, et une vente la plus locale possible.
Une bulle verte entre le lotissement et l’autoroute A50
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Installée au Grain dans la Vallée (une ancienne école municipale transformée en tiers-lieu), cette micro-ferme permet de recréer une bulle verte entre l’autoroute A50 et une urbanisation intensive. « Avant, il y avait là des agriculteurs, pointe du doigt la paysanne, en direction du lotissement mitoyen. L’ancienne mairie a vendu le terrain agricole à des promoteurs ». Le terrain de Fleurs de Marseille a servi de route de passage aux tractopelles pour la construction, tassant le sol et supprimant toute vie. D’où le deuxième nom de Fleur de Marseille : la ferme aux cailloux.
♦ Les fermes florales à Paris : Plein Air et Le Paysan Urbain dans le 20e, Les Amis De Raymond dans le 5e, Les Invasifs dans le 15e
Des fleurs cultivées en Maraîchage sur sol vivant

Cette néo-floricultrice (voir bio express) y produit une trentaine de variétés de fleurs adaptées au climat provençal – cosmos, zinnias, calendulas, amarantes, statices, centaurées. Certaines ont plusieurs formes et couleurs, comme le narcisse qui possède neuf sous-variétés. Si Marie-Laure devait faire un bilan, il serait excellent au niveau environnemental. « Car je respecte vraiment les saisons et le naturel », affirme celle qui cultive sans pesticides ni engrais chimiques, en plein champ, selon la méthode du Maraîchage sur sol vivant (MSV). L’idée est de mettre le sol au cœur des cultures en offrant le gîte et le couvert à la faune. La floricultrice a par exemple laissé un carré de prairie sauvage dans son champ pour attirer la biodiversité dont les pollinisateurs.
Et cueillies à la main

Marie-Laure amende ses planches de culture avec du broyat, du fumier et des tontes d’engrais verts (moutarde, fève, etc.) qui apportent de l’azote au sol. Par ailleurs, elle laisse pousser fenouil, lavande, trèfle au milieu des fleurs. À chaque fois qu’elle plante, elle se questionne sur la meilleure des associations possibles pour un jardin vivant et fertile.
Grâce à son « bordel organisé », cette entrepreneuse engagée a moins besoin de travailler et d’arroser son sol que dans l’agriculture conventionnelle. Le maraîchage sur sol vivant lui permet également de produire efficacement sur une parcelle de 1500 m2. « Ça ne se voit pas, mais 7000 bulbes de narcisses sont plantés. C’est énorme ». Entre ses variétés annuelles et les vivaces, qui peuvent fleurir plusieurs fois par an, elle parvient à produire des fleurs entre mars et novembre. Elle les cueille à la main et livre directement aux deux fleuristes de Marseille spécialisés dans la fleur responsable, donc française (bonus).
♦(re)lire l’article sur Pourquoi acheter des fleurs locales et de saison ?
Une ferme créatrice du lien social

Pour la quadra ancienne chargée de communication, le bilan social est également positif. La ferme attire du monde. « Parce qu’elle est située dans un tiers lieu multiactivité ouvert à tous et parce que les fleurs, c’est beau », explique Marie-Laure. Des habitants du quartier et de plus loin viennent y cueillir des fleurs lors d’ateliers. Et des citoyens y donner un coup de main lors de chantiers participatifs – le dernier était la plantation de tulipes. Tout n’est pas rose. Il existe des fleurs qui poussent bien, d’autres moins, tel le muflier. Comme cette espèce lui tient particulièrement à cœur, avec ses grosses fleurs colorées, elle persévère en changeant le sol ou sa manière de produire.
Adapter son calendrier
Elle peine aussi avec les amarantes dont les fourmis raffolent. « C’est pénible, mais je compose avec elles, car leurs souterrains sont bénéfiques pour les vers de terre, qui eux-mêmes le sont pour les cultures ». Elle trouve des parades, en plantant un peu plus d’amarantes pour en laisser aux rampants. Ou en décalant la floraison en octobre-novembre, période où elles ont déjà fait leur réserve. « La nature du terrain, la vie dans le sol et le respect de la nature m’obligent à adapter sans cesse mon calendrier ». Défi relevé : elle vend toute sa production.
♦ (re)lire Sans vers de terre, il n’y a plus d’humain !
Bilan économique mitigé

Le bilan économique est « plus mitigé ». Son chiffre d’affaires a certes évolué positivement en 2024, mais cela ne lui permet toujours pas de se payer régulièrement. Il faudrait qu’elle gagne le double, « car j’ai beaucoup d’investissements : l’achat des graines, le terreau, les bulbes… », explique celle qui n’a pas hésité à lancer une campagne participative en 2024 pour acheter du matériel et une serre pour ses semis.
Le bilan n’est pas non plus mirifique sur le plan physique pour Marie-Laure qui souffre du dos. La parcelle est certes petite, mais demande un travail colossal, surtout à la pleine saison – d’avril à juillet. « Je suis seule et je fais tout à la main », souligne-t-elle.
Un métier passionnant

Cette maman de deux enfants poursuit toutefois l’aventure, car elle reste passionnée par les fleurs et fascinée par la vie du sol. Elle a en outre un besoin viscéral de mettre les mains dans la terre. Mais elle envisage d’effectuer des compromis pour s’adapter au changement climatique, quitte à arrêter la production de tulipes par manque de froid. Acheter des bulbes de tulipes préparés (c’est-à-dire passés au frigo) pour optimiser la floraison n’est pas encore envisageable pour elle. Elle réfléchit également à lancer une production sous serre pour obtenir des fleurs plus tôt dans l’année. L’enjeu reste de savoir combien elle vend de tiges pour pouvoir adapter son plan de production. « Si je sais que j’ai vendu 5000 tiges de cosmos, l’année suivante, je peux prévoir plus de place pour la production ».
Avec de l’entraide
Ce qui porte également cette optimiste, c’est l’entraide de la profession. Elle récupère des graines et des boutures d’autres fermes florales, comme la ferme florale Champêtre sur les bords de Seine ou la Ferme des Moments doux, près de Toulouse. Elle demande facilement conseil à d’autres via Instagram ou sur la messagerie interne du collectif de La Fleur Française qui rassemble les acteurs de la fleur locale et de saison.
« J’aime les échanges », confie celle qui se dit bavarde. Dans un recoin de son champ sont plantées des boutures de rose de Syrie, « un ami me les a apportées avant que la ferme soit bombardée ». Cette romantique aime les graines voyageuses, « elles font partie du patrimoine ». Ainsi que la patience et l’observation que requiert ce métier, « dans un monde où on n’a plus le temps », philosophe-t-elle, tout en montrant ses statices en train de fleurir, à côté des narcisses. ♦
Bonus
# Bio Express

– A quitté son job à Provence Tourisme en 2021 pour travailler avec les fleurs
– Stages en woofing dans des fermes florales
– Bénévolat chez Colinéo et la ferme du Roy d’Espagne à Marseille
– Formation accélérée dans la ferme pilote Hectar
– Consolidation du projet avec La cité de l’agriculture et Inter-Made
– Lancement de Fleurs de Marseille en janvier 2022
# Ses points de vente : La Butinerie, Ziggy, Épicerie Anis, marché de la Barasse, vente à la ferme.
# Ses revenus : fleurs coupées, bouquets de fleurs à la commande ou en abonnement, fleurs séchées l’hiver. Ateliers cueillette et composition florale à la ferme pour les particuliers. Et bientôt pour les entreprises qui veulent se reconnecter à la nature.
# Tiers-lieu Le Grain de la Vallée : une épicerie Paysanne, des jardins relais de biodiversité, des activités bien-être, des événements culturels, un Foodtruck de restauration saine, un artisan de briques en terre crue.