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Par Marie Le Marois, le 11 avril 2025

Journaliste

Le Lieu de Répit, une alternative à l’hospitalisation psychiatrique

Le déjeuner du lundi, ouvert à tous les anciens résidents, monte parfois à 30. À gauche, debout, Souleïman et Léo Cloarec. À droite, Laëtitia (de dos) et une encadrante. @Marcelle

À Marseille, les personnes souffrant de troubles psychiatriques peuvent se poser jusqu’à trois mois au Lieu de Répit, une colocation chaleureuse, non médicalisée, où chacun a sa chambre, sa clé, mais participe à la vie en communauté. Ce projet innovant, qui repose sur la dynamique du collectif et de l’entraide entre pairs, sera prochainement dupliqué à Nantes et Lyon.

L’immeuble semble vide, de haut en bas. Personne au dernier étage dans la salle d’art plastique ou la buanderie. Personne au troisième étage chez les hommes, ni au deuxième chez les femmes. Ni dans la pièce dédiée à l’activité physique, au premier, à côté du bureau de JUST, l’association porteuse du projet depuis 2015 (bonus). Les pièces du rez-de-chaussée se révèlent en revanche animées. C’est ici que se retrouvent les personnes accueillies au Lieu de Répit (LDR). Impossible de les distinguer des encadrants. Certains jouent à un jeu de société, comme Laëtitia, une jeune fille de 25 ans. Ce matin, elle a coupé les légumes pour le déjeuner du lundi ouvert à tous les anciens. Ce soir, elle ira courir dans le parc Longchamp, à deux pas de là. 

♦ 80% des résidents du Lieu de Répit sont orientés par les Équipes Mobiles Psychiatrie, qui rencontrent les patients sur leur lieu de vie. 20% sont envoyés par les urgences psychiatriques des hôpitaux de Marseille (Timone et Nord) et les psychiatres libéraux.

Une alternative à l’hospitalisation

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Le Lieu de Répit, qui existe depuis 2015, a plus de demandes que d’offres @Marcelle

Derrière le visage avenant et souriant de Laëtitia, difficile d’imaginer treize ans de souffrance. La maladie, les crises où elle perdait contact avec la réalité. La violence de l’hospitalisation, « les piqûres, la contention, la chambre d’isolement », liste cette grande brune. Elle a enchaîné les séjours « en ‘’HP’’, une dizaine » – jusqu’à ce qu’une voisine, bipolaire, lui parle du LDR. Elle l’intègre une première fois pour un mois, l’été dernier, avant d’y revenir pour stabiliser son état. « Les soins sont différents, on est très libre, l’ambiance est chaleureuse, les activités sont stimulantes », souligne-t-elle d’une voix enjouée. Elle pointe également l’importance, à la différence de l’hôpital, de pouvoir petit à petit reprendre l’habitude de faire les courses, le repas, le ménage. Ces colocataires singuliers ont en commun la capacité d’être autonomes, mais de pouvoir retourner chez eux. Ils sont en voie de rétablissement, mais leur état n’est pas encore stabilisé. Tous continuent à consulter leur psychiatre en parallèle.

« Le Lieu de Répit est particulièrement adapté pour les jeunes en première crise psychotique, ce qui leur évite les traumatismes liés à l’hôpital. Et les patients en post-crises après hospitalisation », Léo Cloarec, le responsable-coordinateur.

Entrées et sorties libres, temps obligatoires

L’espace d’art plastique, au dernier étage, jouxte avec deux studios utilisés pour les urgences, quand par exemple des résidents ont une activité nocturne trop importante. @Marcelle

Libre à chacun d’entrer et de sortir, de participer à la séance de méditation ou de peinture. Mais certains temps sont obligatoires, tels que les repas, les courses, le grand ménage du dimanche matin et le conseil de maison le soir, pour élaborer les repas et les activités de la semaine. Enfin, la réunion communautaire du lundi à 14 heures, avec les résidents et l’équipe. « Pendant ce groupe de parole, chacun donne sa météo du jour (son émotion, NDLR), partage ce qui l’a rendu fier la semaine passée, et comment la communauté peut l’aider », expose Léo Cloarec, responsable-coordinateur du lieu. Ce trentenaire, chaleureux et flegmatique, cite comme exemple un résident qui s’était mis à baver à cause de son nouveau traitement. Un de ses pairs lui a partagé ses stratégies pour pouvoir oser prendre la parole.

Accompagnement des résidents par des pairs

 

La buanderie, en libre-service, possède une armoire de vêtements à disposition des résidents démunis. @Marcelle

Le Lieu de Répit tourne avec huit salariés, présents en binôme de 9 h à 21 h et assurant une astreinte téléphonique la nuit. La moitié de l’équipe relève du ‘’travail pair’’. C’est-à-dire d’un accompagnement des résidents par des pairs – des personnes atteintes aussi d’une maladie psychiatrique, mais stabilisée. Elles mettent à profit leurs savoirs acquis par leur expérience de vie, comme Souleïmane, salarié depuis 2022. « Mon histoire, c’est mon outil. Je m’appuie sur ma propre expérience pour aider les autres. Ça ne veut pas dire que je connais tout, mais on parle à peu près le même langage », raconte-t-il avec beaucoup de douceur, en remuant la ratatouille. Il passait son Diplôme Universitaire (DU) de ‘’Médiateur en santé-pair’’ à l’université Aix-Marseille Université, quand il a été embauché par Le Lieu de Répit. « On recrute là-bas la majorité de nos travailleurs-pairs », précise Léo Cloarec. L’autre moitié de l’équipe est actuellement composée de psychologues cliniciens et de moniteurs éducateurs.  

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Des personnes avant d’être des malades

Souleïmane est Médiateur en santé-pair (MSP), titre réservé aux professionnels qui sont anciens utilisateurs de la psychiatrie @Marcelle

Tous sont atteints d’une maladie psychiatrique, mais l’équipe n’en a pas connaissance. « Ici, ils sont des personnes, pas une pathologie. Elle ne nous intéresse pas, insiste Léo Cloarec. Surtout qu’il peut y avoir cinq diagnostics différents selon les psychiatres consultés ». Yann, un ancien résident qui maintient le lien en déjeunant tous les lundis, confirme : « Un jour tu es schizophrène, un autre tu es borderline, tu ne sais plus ». Ce qui importe à l’équipe, en revanche, c’est de connaître les symptômes des personnes accueillies, pour les aider à agir dessus.

♦ Le Lieu de Répit a accompagné 64 personnes en 2024. Elles étaient âgées entre 19 et 62 ans, et sont restées en moyenne 30,6 jours. 

Le résident, acteur de son soin  

Certains fument une cigarette dans la courette… @Marcelle

Ainsi, après leur entretien d’évaluation qui conditionne leur entrée au LDR (bonus), les résidents élaborent un ‘’plan de prévention des crises’’. « On travaille sur les éléments qui peuvent les déclencher, les signes annonciateurs et les stratégies pour les passer : ‘’j’ai besoin qu’on me tienne fermement, qu’on m’invite à aller dans ma chambre ou prendre une douche, qu’on aille marcher’’, etc. ». L’idée de LDR est en effet d’aider la personne accueillie à s’aider elle-même, à trouver ses propres outils dans une logique de « renforcement du pouvoir d’agir ». Toujours dans cet esprit, un entretien individuel est mené avec elle une fois par semaine pour définir son objectif – trouver un nouvel appartement, prendre une douche par jour – et la stratégie pour y parvenir. Ainsi Laëtitia, qui veut reprendre le travail après quatre ans d’arrêt, envisage de déposer son CV dans les télécommunications, à France Travail. 

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Une équipe en sous-effectif

…quand d’autres jouent à un jeu de société (Yann avec la chemise verte) @Marcelle

Le LDR a un budget de fonctionnement limité, « 450 000 euros par an au lieu de 800 000 euros », regrette Léo Cloarec qui souligne l’impact au quotidien. Il reste par exemple « 1,50 euro par repas par personne », se désole celui qui projette de solliciter l’association La Cantina pour récupérer des fruits et légumes gratuits. Et de relancer les jardins partagés au Couvent Levat. L’impact est également sur l’équipe, « en sous-effectif chronique ». Ce qui contraint JUST à sélectionner les colocataires. « On n’est pas calibré actuellement pour les personnes qui ont besoin d’un accompagnement la nuit ou des symptômes de crises impactantes le collectif, la violence par exemple. Donc on s’en tient à des états de crise qu’on est en capacité d’accueillir », explique le responsable. Il reste cependant convaincu que toutes les crises sont compatibles avec la vie en collectivité, mais il faut augmenter les effectifs. Justement, deux veilleurs de nuit arrivent prochainement. 

« 80% de la consommation des soins en psychiatrie est réalisé par 20% des patients », Programme de recherche sur la performance du système de soins (PREPS)

Des résultats positifs

Œuvres de Laëtitia accrochées dans la salle commune @Marcelle

Suivi pendant trois ans par des chercheurs de l’AP-HM dans le cadre du PREPS, le LDR présente des résultats positifs. « Les personnes accueillies retournent moins à l’hôpital que les patients avec une offre de soins standard. Ils rentrent moins dans ce qu’on appelle ‘’une carrière psychiatrique’’ : hôpital-domicile-hôpital », présente le responsable-coordinateur. Yann était dans ce cas, « vingt ans ‘’d’hospitalisme’’ au moins. Quand je n’allais pas bien, j’allais me faire hospitaliser », confie ce quadra stabilisé depuis deux ans. Le LDR évite de raviver le traumatisme de l’hôpital, facilite le parcours de soin, augmente les compétences psycho-sociales (CPS) et diminue l’intensité des symptômes. Il permet enfin de désengorger l’hôpital psychiatrique. À l’heure où la santé mentale est la Grande cause nationale de l’année 2025, le Lieu de Répit inspire d’autres professionnels partout en France.♦ 

Bonus

# JUST développe depuis 2015 des projets avec des personnes en situation de vulnérabilité ou d’exclusion pour contribuer à une société plus inclusive. Ils font partie, par exemple, de l’équipe fondatrice de l’Auberge Marseillaise.  

# Financements : ARS PACA à 100%. Les personnes accueillies donnent une participation symbolique de 10 à 20 euros, mais Just compte la supprimer. « Cette somme, qui est hyper importante pour elles, dans les faits, ne joue pas sur leur investissement », explique Léo Cloarec. Il aimerait que la CPAM participe également, « car on rentre dans l’offre de soin ».

# Entretien d’évaluation. Cet entretien permet de savoir si les personnes ont bien compris le principe du lieu. Quand elles ne sont pas trop en capacité de comprendre, elles ne sont pas admises. Il permet également de s’assurer du lieu et des règles. 

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# Un mois renouvelable deux fois. Les personnes peuvent séjourner trois mois en un an, jamais plus deux mois consécutifs. Certaines se limitent pour ne pas épuiser leur ‘’crédit’’. Et pouvoir revenir pendant les périodes jugées à risque, comme les fêtes de fin d’année.

# Futurs ”Lieu de Répit”. À Nantes, le projet est porté par une ancienne de l’association JUST. À Lyon, par le collectif ‘’La case en +’’, fondateur du dispositif Un chez soi d’abord, aujourd’hui national. Des initiatives similaires émergent à Grenoble, Ville-Evrard (93), Poitiers, Angers, Brest, etc. « J’ai des demandes tous les jours », se réjouit Léo Cloarec. 

# Genèse du Lieu de Répit. L’idée de ce projet est née à Marseille dans un squat thérapeutique ouvert en 2007 par un collectif citoyen et associatif, et une équipe universitaire de psychiatrie. Il avait pour vocation d’accueillir des personnes sans abri vivant avec des troubles psychiques graves. Certaines sont venues, préférant chercher de l’aide dans un squat et une offre de soins précaire, plutôt que les urgences psychiatriques. De ce constat est né le Lieu de Répit.