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Avec Mojo, les jeunes deviennent des « journalistes citoyens »
Puisque 85% des 15-24 ans se connectent à internet quotidiennement, autant leur apprendre à en faire bon usage. D’autant que sur près de 4 heures d’écran, les trois quarts sont consacrées aux réseaux sociaux, auxquels ils font plus confiance qu’aux médias traditionnels… Mais qui regorgent de fausses informations. À Marseille, Nawyr Haoussi Jones a donc lancé le programme gratuit Mojo en décembre 2024. Pour sensibiliser la « génération Z », et en particulier les plus précaires, à l’image, à l’information et aux médias.
Après l’introduction du mojo (prononcer : modjo) par le film Austin Powers, puis son détournement dans la célèbre chanson de M, revoilà cette notion de charisme magnétique incarnée par Nawyr Haoussi Jones. Un touche-à-tout dessinateur, réalisateur et responsable pédagogique d’une classe de l’école d’audiovisuel La Cinéfabrique à Marseille. Son entrain, son sourire et son optimisme sont communicatifs. Mais surtout, il a créé l’association Phénix Studio, qui a lancé un programme baptisé Mojo. Pour sensibiliser des jeunes issus des quartiers défavorisés à l’image, à l’information et aux médias. Car non seulement mojo évoque le charme et l’attractivité, mais c’est aussi la contraction de « mobile journalism » : le journalisme avec un téléphone portable.
Un outil banal puisque 95% des plus de 15 ans en étaient équipés en 2021 selon l’Insee. Et performant puisqu’il permet d’enregistrer du son, de prendre des photos, de réaliser des vidéos, de monter, d’écrire et de diffuser du contenu très qualitatif. Certains journalistes n’utilisent d’ailleurs plus que leur smartphone pour créer leur contenu. Parfois en y ajoutant un zoom, un stabilisateur ou un micro. Et tout un chacun a la possibilité d’en faire autant. Reste à en faire bon usage.
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« Des pratiques éclairées et responsables »

« Aujourd’hui on peut tous être des journalistes citoyens, estime Nawyr Haoussi Jones. Les technologies se sont démocratisées, les jeunes sont nés avec un smartphone à la main, ils se méfient des médias traditionnels et font plus confiance aux réseaux sociaux… Alors que les fausses informations pullulent. » Selon Médiamétrie, près de 85% des 15-24 ans se sont en effet connectés à internet quotidiennement en janvier 2024. Ils y ont passé 3h50 chaque jour en moyenne, dont 3h34 sur leur téléphone mobile. La navigation sur les réseaux sociaux représentant 58% de ce temps. Conclusion : « C’est important de les former pour qu’ils aient des pratiques éclairées et responsables. »
Une conviction qui a poussé ce Marseillais à élaborer un programme gratuit (voir bonus) en deux phases : « le nid » et « l’envol ». Pendant trois semaines intensives, « le nid » va d’abord donner aux jeunes bénéficiaires (âgés de 16 à 26 ans) les premières clés. Pour connaître les médias et leur fonctionnement, découvrir la déontologie journalistique, décrypter les informations, les lignes éditoriales, les photos et vidéos. Pour développer un regard critique sur les contenus médiatiques et les réseaux sociaux.
Du nid à l’envol

Durant cette période, chaque soir de la semaine de 18 à 20 heures, des journalistes et réalisateurs animent des ateliers thématiques et participatifs dans des locaux mis à disposition par l’Ampil (Action méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement), dans le quartier de Belsunce. Puis le samedi après-midi est consacré à la formation plus pratique et créative : vidéo, photo, podcast, dessin de presse, articles…
Une alternance poursuivie le temps de « l’envol », qui est davantage tourné vers une professionnalisation, à un rythme un peu moins soutenu. Les ateliers du soir, dédiés à la recherche et à la collecte d’informations, aux techniques d’interview, de reportage ou encore de rédaction, sont limités aux mardi et jeudi durant ce mois-là. Ceux du samedi sont réservés à la concrétisation de leurs idées. Un calendrier pensé de façon à ce que des personnes scolarisées puissent participer.
Aller vers les « neets »

Mais la cible principale, ce sont les « neets », c’est-à-dire les jeunes « not in education, employment or training” : ni étudiants, ni en emploi, ni en formation, en français. Soit 12,8% des 15 à 29 ans en France en 2021, selon les derniers chiffres d’Eurostat, l’office européen des statistiques. Et plus d’un jeune sur 8, ainsi qu’un jeune sur 4 dans les quartiers prioritaires. Ces « neets », ce sont « ceux qui sont indétectables, sous les radars des Missions locales ou de France Travail », résume Nawyr Haoussi Jones. Ceux qu’il faut aller chercher, en échangeant avec des associations de terrain comme le Contact Club et l’Addap 13 (Association départementale pour le développement des actions de prévention) ou en faisant connaître Mojo sur Instagram. C’est sans aucun doute l’étape la plus difficile.
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D’ailleurs, pour roder le dispositif, Phénix Studio l’a d’abord testé en décembre 2024 avec une première promo davantage « détectable ». Les sept apprenants (chaque session est limitée à 14 inscrits) sont tous des jeunes que le créateur de l’association a côtoyés auparavant. « Ça nous a permis de tester leur réactivité. De les questionner sur leurs attentes et leurs besoins. D’adapter le contenu des séances », glisse l’intervenante Maëva Gardet-Pizzo, journaliste en presse écrite, notamment dans la rédaction de Marcelle. Qui souligne : « Ils avaient déjà un bon esprit critique, on a eu des débats profonds, ils sont pleins d’idées et ils m’ont bluffée en simulation d’interview ! C’est super de laisser la jeunesse exprimer son mojo ! » L’autre bonne nouvelle, c’est une certification Qualiopi (lire bonus).
Un média pour bientôt

C’est toute l’ambition de Nawyr Haoussi Jones. Il souhaite guider les participants vers des productions que Phénix Studio relaiera ensuite sur les réseaux sociaux et un site Internet. « On veut valoriser un public qu’on n’a pas l’habitude de voir ou d’entendre, favoriser le débat, explique-t-il. Donner un contenu différent sur Marseille, en surfant sur l’actu et surtout en les laissant choisir ce dont ils veulent parler. »
Une ambition totalement partagée par Junior, 24 ans, qui a rejoint cette première promo avec son ami Adam : « On avait envie de monter un média pour parler des choses qu’on aime comme le sport ou la politique. Et on voulait que ça parle aux autres. Mais on ne savait pas comment s’y prendre pour créer l’info et bien la transmettre. Avec Mojo, on est beaucoup mieux armés.» Mdhaoma, un an de moins que lui, un temps très populaire sur TikTok avec son contenu humoristique, acquiesce : « Ça m’a amené à mieux comprendre ce que je vois à la télé. A savoir comment les médias travaillent. »
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« On ne leur promet pas qu’ils vont être journalistes. Mais on leur donne les compétences et le savoir-être pour pouvoir s’exprimer », insiste Nawyr Haoussi Jones, qui mise aussi sur une meilleure confiance en soi. « Et si certains veulent devenir journalistes, on les guidera ou on les orientera vers La Chance » (bonus), prolonge Maëva Gardet-Pizzo. Prochaine promotion en septembre ! ♦
Bonus
# Pour participer à ces ateliers. Nawyr Haoussi Jones, 07 81 10 54 56. @phenix_studio_marseille
# De nombreux soutiens – Phénix Studio a reçu le soutien financier de la Ville de Marseille, de la Drac, de la Caf et de la Métropole Aix-Marseille Provence. L’Ampil lui prête ses locaux de Belsunce, en attendant que l’association trouve un local. Où elle pourra installer son matériel.
# Une formation certifiée – La certification Qualiopi atteste de la qualité des prestations de formations délivrées par les organismes de formation. Elle est obligatoire pour tous les prestataires permettant de développer ses compétences. Et les rend éligibles aux financements publics.
# La Chance. Une prépa gratuite aux concours des écoles de journalisme ouverte aux étudiants boursiers. À Bordeaux, Paris, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Rennes, Grenoble, 400 journalistes accompagnent les étudiants durant 8 mois.