AménagementSolidarité

Par Olivier Martocq, le 18 avril 2025

Journaliste

À Marseille, des moines tentent de sauver leur église

Au cœur de Marseille, à deux pas de la préfecture, le couvent des frères dominicains occupe un large périmètre. En dehors de la vaste église qui donne sur la rue, impossible de se douter que les façades classiques des immeubles alentour abritent un cloître et un jardin. Havre de paix, lieu de vie et de prière d’une communauté de 22 religieux, mobilisée depuis des années pour sauver Notre-Dame du Rosaire.

Notre-Dame-de-la-Garde surplombe la ville. Notre-Dame du Rosaire se fond dans Marseille. Anachronisme de l’histoire, ces deux lieux de culte sont privés. Des exceptions à la loi de 1905 qui instaurât la séparation des Églises et de l’État et, outre le principe de laïcité, confisquât les biens. La propriété des églises revenant alors aux communes, celle des cathédrales à l’État. Les deux édifices construits à la fin du 19ème siècle nécessitent désormais de lourds travaux : 2,8 millions d’euros pour « la Bonne Mère » et presque autant (2,5 millions d’euros) pour Notre-Dame du Rosaire. Cette dernière est l’œuvre de l’architecte Pierre Bossan, qui construisit également à la même époque la basilique de Fourvière, fierté des Lyonnais.

♦ (re)lire l’article : Rénovation, enjeu crucial de la ville de demain

Trouver les fonds pour rénover

Pour Notre-Dame-de-la-Garde, le diocèse de Marseille n’a eu aucun mal à mobiliser les particuliers comme les entreprises (lire bonus). « Les dons affluent de partout », reconnaît Édouard Detaille. Le responsable de la collecte sait qu’il peut aussi s’appuyer sur les deux millions de touristes qui arpentent chaque année le lieu le plus visité de la ville et n’hésitent pas à verser un euro ou plus pour les rénovations. Depuis février les échafaudages sont en place. Les photos de l’avancée des travaux font régulièrement la une de la presse locale et nationale.

Mobiliser pour Notre-Dame du Rosaire est un tout autre défi. Le ministère de la Culture et la Fondation du Patrimoine se sont engagés à couvrir 30% du montant des travaux, compte tenu de la nature historique du bâtiment. Le reste est à la charge des Dominicains qui habitent le couvent. Or cet ordre mendiant, voué à la prédication et à la pauvreté, ne dispose pas des relais et des codes pour lever des financements d’une telle ampleur.

Difficile de mobiliser autour d’un bâtiment peu connu

Je suis passé devant cette église des centaines de fois sans la remarquer. Notre-Dame du Rosaire est située dans une rue à sens unique, étroite et souvent saturée par la circulation. Elle se fond dans le pâté d’immeubles qui l’enserre et il n’y a pas de recul pour admirer sa façade. Quand on lit le dépliant réalisé par les Dominicains de Marseille pour récolter des fonds, on découvre pourtant qu’elle recèle un grand nombre de sculptures et de bas-reliefs, des vitraux et peintures de toute beauté.

On apprend aussi qu’une première tranche de travaux de 830 000 euros pour la mettre hors d’eau vient de s’achever avec des aides substantielles publiques, car il s’agissait de sauvegarder le bâtiment.

Toutefois, la restauration intérieure est d’une autre nature. Même si la DRAC, bras armé du ministère de la Culture, s’est engagée à soutenir le projet à hauteur de 30%, l’essentiel de l’argent proviendra de dons. D’où la campagne lancée avec le soutien de la Fondation du Patrimoine. « Avec votre aide, nous y arriverons », conclut le document disponible sur une table à l’entrée de l’église de la rue Edmond Rostand. Un boîtier permet aux rares visiteurs ou aux fidèles venus assister aux offices qui rythment la vie de la communauté de faire des dons avec leur carte bancaire. Plus classique, un tronc dédié invite à glisser quelques pièces ou billets.

Publier un livre

Frère Clément est un des quatorze dominicains rattachés au couvent de Marseille qui, en ce moment, accueille également huit novices. J’ai pu le contacter via LinkedIn, après avoir découvert par hasard un livre qui m’a enthousiasmé et dont il est l’auteur : « L’entraînement et la grâce : Spiritualité de l’effort et du carême ». Sur la couverture une photo de Léon Marchand en pleine action, dans un mouvement de nage papillon. Au moment où j’écris ces lignes, je découvre l’inconscient renvoyé par cette image : le champion sort la tête de l’eau, les bras à l’horizontale… Un homme en croix !

L’ouvrage s’entame avec cette finale olympique du 31 juillet 2024 à 22h31 qui a marqué l’histoire du sport. Et galvanisé la France. Dans ce petit traité de 150 pages, le théologien Clément Binachon va développer la thèse selon laquelle la foi religieuse doit se travailler au quotidien, à l’image de l’entraînement suivi par les sportifs de haut niveau. « Ce ne sont pas les droits d’auteur qui permettront de trouver les 500 000 euros nécessaires pour lancer les premières tranches », s’amuse l’auteur.

Utiliser les réseaux sociaux

Et de concéder que la recherche de financements est très éloignée du quotidien de la communauté. « Nous vivons de dons et des revenus de nos travaux », explique-t-il. Ainsi, lui est aumônier par exemple, et donne des cours dans une école catholique.

Si la location de plusieurs chambres du monastère à un foyer d’étudiants permet d’équilibrer les comptes, les revenus de la communauté ne suffisent pas pour engager les travaux de l’église. Alors ? « Les Dominicains sont un ordre prêcheur. Notre première mission est l’annonce de l’évangile, expose le religieux. Dans ce cadre, nous utilisons les moyens modernes comme les réseaux sociaux pour faire connaître notre message. Utilisés à bon escient ce sont des outils formidables ». Et Frère Clément de constater que pour mobiliser et recueillir des dons, ce sont aussi des atouts non négligeables ! ♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique aménagement et vous offre la lecture de cet article *

♦ Pour faire un don via la Fondation du Patrimoine, c’est ici.

Bonus

[pour les abonnés] – Être moine en 2025, un anachronisme ? – Les Dominicains et les scandales liés à l’Église – L’histoire de Notre Dame du Rosaire –

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# Être moine en 2025 : un anachronisme ? « L’ordre des Dominicains a été fondé en 1217. Nous sommes aujourd’hui environ 5 000 frères et je constate que nous avons chaque année un nombre de novices plus important. Dans une société inquiète pour l’avenir de l’humanité, une institution qui a traversé les siècles, qui croit en ce qu’elle vit… c’est rassurant », pose le religieux. Le profil des novices actuellement en formation est celui d’étudiants ayant terminé un master. L’ordre accorde une place prépondérante à l’étude et au savoir théologique. Il jette ainsi les bases de la formation intellectuelle des frères qui leur sera indispensable à la pratique de la prédication. La vie que ces jeunes abordent est évidemment aux antipodes de celle vantée à longueur de réseaux sociaux. « Ils sont coupés de tout. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de télévision. L’objectif est de privilégier leur vie intérieure », explique frère Clément.

L’église, le lieu des prières en commun, est rythmée par des rendez-vous. Les Laudes dès 7h00. À midi, office de sexte avec une messe chantée à trois voix ouverte au public. Le repas qui suit est un temps fort, car c’est un moment de partage et de discussion entre les frères. L’après-midi est un temps libre laissé à chacun. Puis à 18h30, nouvelles prières avant un repas pris en silence autour d’une lecture. La journée s’achève avec les complies vers 21h, suivies du grand silence de la nuit.

 

♦ Lire aussi : Les bonnes oeuvres de l’ONG citoyenne Urgence Patrimoine

# Une période délicate pour l’Église. Les Dominicains, dans le couvent et en dehors, portent une aube blanche parfois recouverte d’une cape noire. « Nous ne nous cachons pas et ne sommes jamais pris à partie ou insultés », constate frère Clément. Il reconnaît néanmoins que l’époque, avec les scandales qui traversent l’Église et l’enseignement catholique, est compliquée. « Je le vis comme une injustice quand je vois tout le travail produit au quotidien dans ces écoles, avec des moyens réduits par rapport aux dotations du public. Il faut condamner et traiter les abus. Mais systématiser, stigmatiser l’enseignement catholique c’est mener une guerre idéologique dans une période où de plus en plus de parents cherchent à confier l’éducation de leurs enfants à nos écoles ».

# Notre Dame du Rosaire. Érigée entre 1860 et 1870, l’église Notre-Dame du Rosaire incarne un programme spirituel unique, magnifiquement traduit dans son architecture par Pierre Bossan. La construction de l’église fut financée par les Marseillais eux-mêmes, avec une contribution notable de Madame Noilly-Prat. Cependant, à peine les religieux installés, ils furent expulsés en octobre 1880, puis de nouveau en 1903, lorsque l’État français saisit leurs biens. Déterminée, Madame Noilly-Prat racheta l’ensemble des bâtiments à l’État et le restitua aux frères dominicains lors de leur retour après la Première Guerre mondiale. Cette générosité explique pourquoi les dominicains sont aujourd’hui propriétaires de cette église.

# 30 000 feuille d’or pour la Bonne Mère. « En donnant 50 euros, vous offrez une feuille d’or à la Bonne Mère. Merci pour votre générosité ! ». Voici le titre de cette campagne de dons qui est encore loin de ses objectifs : 299 540 euros collectés à ce jour (18 avril 2025) soit 23% de l’objectif.