Société
Kawaa, un lieu pluriel qui relie
Une récente enquête pointe la solitude en France, entre repli sur soi et quête de liens. Kawaa défie ces vents contraires avec son offre multiple favorisant le partage et le collectif. Ce lieu hybride est en effet à la fois un café-cuisine, des co-bureaux, des ateliers-rencontres et tout ce qu’imaginent les usagers ensemble. Lancé à Paris en 2020 par deux entrepreneurs humanistes, Alexis Motte et Kevin André, le concept se déploie partout en France, à commencer par Lille et Marseille.
Depuis deux ans qu’il est à la retraite, Michel est un pilier de Kawaa Dausmenil, dans le 12e à Paris. « Maintenant, je travaille ici », plaisante cet homme affable. Dans ce café lumineux et chaleureux, il vient pour boire un chaï latte, déjeuner à la table partagée, discuter de tout et de rien dans le canapé moelleux en velours. Il a testé le yoga du rire et la soirée ‘’jeux de société’’. Il a accroché avec ‘’Chant pour tous’’ et ‘’Théâtre d’impro’’ au point de s’inscrire à chaque fois. Ce soir-là, il faut le voir jouer les différents rôles devant la douzaine de participants. Cet habitant du 13e est phénoménal en vigile soupçonné d’avoir volé une œuvre ou en personnage survolté essayant de prononcer sans faute ‘’je veux et j’exige d’exquises excuses’’.
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Des ateliers accessibles

À première vue, Kawaa – pour ’’café’’ – n’est pas le premier endroit à proposer une offre multiple, à mixer café-restaurant avec coworking et animations. Ni même à proposer une cuisine de saison et un déjeuner partagé à la même table. Ce qui le différencie sur la forme est sa déco ‘’comme à la maison’’ avec canapé, grande table en bois et bibliothèque bien garnie. Ce qui le distingue sur le fond est son esprit d’entraide et de partage. Kawaa propose à qui veut d’organiser des ateliers et lui prête la salle attenante au café.
Pour peu qu’ils correspondent aux valeurs de la maison, soient ouverts à tous et accessibles financièrement. Certains sont à petits prix (yoga, initiation à la broderie, etc.), voire complètement gratuits comme le Bistrot Mémoire pour les personnes souffrant de troubles. D’autres sont à prix libre. C’est le cas pour ‘’Théâtre d’impro’’ animé par David Fonteix, un concepteur de jeux vidéo passionné par cette forme de théâtre, au point de vouloir la partager.
♦ L’enquête Ipsos pour la Fondation Groupe Casino (janvier 2025) révèle une tendance inquiétante au repli sur soi, accentuée par la technologie. Paradoxalement, 93% des Français jugent important de renforcer le lien social. Détails ici.
…et généreux

Cette formule participative fait des émules : 400 ateliers et rencontres ont été organisés en 2024 et ont fait le plein. « Il y règne toujours un bon esprit, les animateurs sont bienveillants et l’accueil du café au top », complète Michel, en désignant verres et bouteilles d’eau à disposition. Caroline confie, pétillante, que Kawaa lui procure beaucoup de bonheur. « On partage des moments avec les animateurs, qui donnent de leur temps avec générosité, mais aussi avec les autres participants. On crée des choses ensemble, on est une communauté ». Un aspect d’une grande importance aux yeux de Michel. Car il est solo, comme Monique, Joy, Caroline « et la plupart des participants ».
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Des animations collectives

Ce qui rend enfin Kawaa unique, ce sont les animations ’’s’engager’’. Citons la Fresque du textile ou de la Biodiversité. L’Apéro sociétal, où chacun est invité à échanger autour d’un sujet pré-établi dans l’écoute et le respect de l’autre. Ou bien encore les animations solidaires organisées collectivement, comme les repas pour des maraudes ou les plats ‘’suspendus’’ (on paye un plat supplémentaire au profit d’une personne démunie). « On se positionne comme la place du village : les voisins sont invités à s’approprier le lieu pour organiser des choses ensemble », souligne Alexis Motte, directeur général de Kawaa (bonus), depuis son bureau dans la cour, en face du café.
Car le kawaa est aussi un espace de bureaux partagés dédiés aux structures de l’ESS ou ayant une finalité sociale. Pour qu’ils soient plus visibles, mutualisent leurs forces et génèrent plus d’impact. C’est également des co-bureaux où chacun peut venir travailler sur l’une des grandes tables en bois pour ‘’5 euros de l’heure ou 20 euros la journée avec café, thé et soft maison à volonté’’.
Une offre florissante

Difficile de s’y retrouver tant l’offre est florissante et diffère selon les kawaa – trois en place à Paris et trois en cours (Paris La Défense, Lille et Marseille). Paris Lumière (12e), par exemple, possède en plus un kiosque Solidaire (mais pas de restaurant). Et Lille, qui ouvre à l’automne 2025, s’est adjoint deux maisons partagées, l’une pour les séniors, la seconde pour les jeunes actifs.
En revanche, les kawaas ont tous en commun de rassembler café, co-bureaux et ateliers, d’être ouverts au public « et à tous les publics », précise Alexis Motte. De déployer des codes ‘’comme à la maison’’ aussi bien dans la déco que dans la posture de l’équipe. « Tout est fait pour les mélanger les hôtes avec les convives : cuisine ouverte, absence d’uniforme, etc ». Enfin, de mener le même mode d’action : faire tomber les cloisons pour créer du lien. Et libre à chacun de s’emparer des cartes de conversation, qui traînent sur les tables pour discuter avec son voisin. Ou de s’asseoir à la table commune. « On ne veut rien imposer ».
Des rencontres et des liens

Dans les faits, en 2024, 77% des clients ayant passé la porte du Kawaa ont rencontré une personne qu’elles ne connaissaient pas. 46% considèrent que Kawaa a amélioré leur vie relationnelle. Michel, notre adepte de l’atelier d’improvisation, s’est même « fait des copines », souligne-t-il, tout en désignant Monique, Joy et Caroline. La première, doyenne du groupe, explique que « si tu viens là, tu es sûre de parler à quelqu’un ». La seconde renchérit : « il y a une communauté qui se crée, avec toutes les générations, toutes les catégories sociales. Il n’y a pas d’entre soi, que des rencontres de cœur ». Quant à Caroline, baskets et « jean pourri », elle souligne l’esprit ‘’viens comme tu es’’. « Même « les super timides trouvent leur place », renchérit Joy. Elle se souvient d’une soirée ‘’chant pour tous’’ où les fenêtres de la rue étaient ouvertes : « Des passants demandaient à essayer et ils chantaient ».
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Cinq nouveaux lieux par an

Kawaa, entreprise agrée d’utilité sociale (ESUS) depuis 2014, a fait évoluer son modèle en 2020 (bonus), « notamment pour que les liens se pérennisent », étaye le directeur. Paris Dausmenil est le premier d’une longue série. « Nous projetons cinq ouvertures par an », poursuit-il en évoquant deux modalités d’essaimage. Notamment des Kawaa en propre, comme Daumesnil, Marseille et Lille. Et des Kawaa pour le compte de tiers, en contrat de gestion, comme Paris Lumière (12e) implanté dans un immeuble de bureaux ou Paris Lucernaire (6e) dans le théâtre éponyme. Ils peuvent également se déployer « pour une patinoire, un hôpital, une piscine, etc. », explique Alexis Motte, qui déjeunait le jour même avec le directeur d’une résidence sénior.
Une formule gagnante qui rend les café-restaurants de ces établissements plus conviviaux et attractifs, avec des codes ‘’comme à la maison’’, une cuisine de saison et des animations. Une condition cependant : le lieu doit être ouvert à tout le monde.
La direction travaille actuellement sur des projets à Chartres, Saint-Dizier, Autun ou encore Bourges. « L’idée est de se déployer sur tous les territoires et pas que dans les métropoles. Car la solitude est partout », insiste Alexis Motte. Michel, lui, ne sent plus seul avec son kawaa. Il envisage même d’y animer une soirée karaoké d’ici cet été.♦
Bonus
# Tout est parti de constats… 11 millions de Français n’ont que trois conversations personnelles par an (Source : Fondation de France). 72% des Français pensent qu’on n’est jamais trop prudent avec autrui (Source : Labo de la fraternité). En 50 ans, le nombre de cafés et de bars est passé de 600 000 à 34 000 (Source : France Boissons & Crédoc).
# …et de rencontres. Kevin André, ancien professeur en innovation sociale à l’ESSEC, a fondé Kawaa en 2014, sous la forme d’une plateforme numérique collaborative. Elle visait alors à recréer des liens sociaux grâce à des rencontres conviviales à thème (fraternité, santé, bien-vieillir, etc.) organisées par et pour les habitants d’un quartier. Le modèle évolue en lieu en 2020 suite à sa rencontre avec Alexis Motte. Celui-ci vient de l’immobilier d’entreprise, il rejoint l’équipe en tant que directeur général. Shirley Kohn est donc la troisième du trio. Après avoir travaillé dans la communication de films engagés, elle accompagne le développement des Kawaa en tant que directrice des opérations,
# Kawaa Marseille sera « un Kawaa Daumesnil, en deux fois plus grand », prévient Alexis Motte. L’adresse, rue de La République, fait 1000 m2. 300 m2 pour le Café-Rencontres et 680 m2 pour les bureaux partagés (90 postes de travail). Ouverture automne 2025.
# Le modèle économique de Kawaa. Les fonds proviennent entre 70 et 80% du café-restaurant, 10 à 15% des privatisations. Et 20 à 30% des résidents (bureaux et/ou habitats partagés).