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Des bouchons en déchets marins pour nos bouteilles de vin
Il y avait les bouchons en liège, en verre ou en synthétique. Dans le souci d’un développement de plus en plus durable, les producteurs de vin se sont tournés depuis quelques années vers d’autres solutions : une filière de liège plus locale comme celle made in Provence. Mais aussi des produits à base de dérivés de canne à sucre (une matière première biosourcée, renouvelable et recyclable) ou, plus récemment, de déchets marins en polyéthylène.
« Nous travaillons beaucoup sur les matières premières recyclables », affirme Romain Thomas, responsable du développement durable chez Vinventions, le leader mondial des bouchons synthétiques pour les vins tranquilles (plus de 2 milliards de bouchons vendus chaque année). « Quand un fournisseur nous a parlé de transformer les déchets marins en bouchons, on a d’abord étudié la faisabilité de l’idée. On en a conclu que c’était possible, mais avec un process de recyclage très avancé pour obtenir un produit utilisable dans l’alimentaire ».
Il fallait résoudre également le problème de la collecte. Il existe bien des associations telles que Clean My Calanques, Surfrider, The Sea Cleaners… qui récupèrent des déchets à partir d’opérations de nettoyage des plages et des milieux aquatiques. Mais les volumes collectés sont trop faibles pour une utilisation à l’échelle industrielle.
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Une filière de récupération en construction
Mais quid du bilan carbone? « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’impact transport est très faible dans le bilan carbone, moins de 0,5 g de CO2 par bouchon », assure Romain Thomas. Un seul conteneur peut embarquer de quoi produire six millions de bouchons. De plus, ils proviennent de régions côtières qui ne disposent d’aucune infrastructure de collecte ni de traitement efficace ». Le coût de production est actuellement le double d’un bouchon issu de la canne à sucre et le prix difficile à faire baisser. Vinventions travaille avec plusieurs fournisseurs sur place, mais l’organisation de la filière reste compliquée.
Le groupe a commencé à commercialiser le Nomacorc Ocean en France, en Espagne, en Italie. Il revendique actuellement une cinquantaine de clients qui commandent de 5000 à 500 000 bouchons par an. La coopérative viticole des Vignerons de Tutiac a été la première à s’impliquer dans la démarche. L’opérateur aquitain, outre le fait d’être le premier producteur bio de Gironde, est déjà engagé dans de nombreuses actions de développement durable telles que les replantations de haies et de jachères, l’utilisation du photovoltaïque pour la moitié de ses besoins en électricité. Il est la pionnière du label Zéro Résidu de Pesticides et engagée dans plusieurs certifications environnementales : Agriconfiance, HVE, (Haute Valeur Environnementale), Bordeaux Cultivons Demain…

Multi-paramètres écologiques

« L’idée était d’agir à une échelle plus globale, en proposant la bouteille de bordeaux la plus écologique du marché », annonce Damien Malejacq responsable marketing de Tutiac. Nom de code : Help Protect The Ocean. « Nous avons d’abord initié cette opération en Grande-Bretagne avec les supermarchés Sainsbury. Ils ont signé avec nous un partenariat par lequel ils s’engageaient à nous commander un volume minimum de 200 000 cols annuels de bordeaux, moitié blancs, moitié rouges. Il s’agissait de mettre en avant un produit globalement plus écologique. Même si l’utilisation de ce bouchon implique un léger surcoût pour le consommateur ». De l’ordre de 1 euro dans l’Hexagone.
Le Nomacorc Ocean forme actuellement trois cuvées, rouge, blanc et rosé (commercialisées à 6,90 euros) dans la gamme Help Protect The Ocean. La marque signe la filière de nettoyage et de revalorisation des OCB qui entrent pour près de 70% dans la composition des bouchons. Soit 8 g par bouchon, l’équivalent d’un sac plastique. La bouteille, qui ne pèse que 410 g, est de surcroît allégée et devrait même passer rapidement à 360 g pour améliorer encore son bilan carbone. L’étiquette est à 100% en papier recyclé. La capsule relève également de plusieurs innovations : le plastique collé à l’aluminium a été banni et remplacé par une matière issue de déchets végétaux de canne à sucre; l’encre du packaging est à l’eau et végétale; et la tirette conçue pour une ouverture facile tout en restant solidaire de la capsule facilite le recyclage.
La baleine à queue-feuille
Tutiac utilise donc le bloc-marque Help Protect The Ocean illustré d’une baleine à queue en forme de feuille. Il est déposé au niveau européen et s’inscrit dans un bandeau bleu marine sur la bouteille et, pour une plus grande visibilité, dans un petit macaron collé au-dessus de l’étiquette. Un QR code renvoie sur le site web de Protect The Ocean expliquant la démarche. Il est également visible sur les cartons 100% recyclés non blanchis.
Depuis le lancement de l’opération en août dernier, les consommateurs ont marqué leur intérêt pour ces vins porteurs d’une « bonne action », devenant ainsi « consomm’acteurs ». « Au-delà de l’histoire qui contribue à mémoriser le vin et le packaging qui déclenche l’achat, il faut que le produit soit bon et qu’il plaise aux consommateurs », insiste Olivier Sapine, le directeur de Tutiac.
Déjà deux tonnes de plastique récupérées
S’en sont suivies d’autres opérations dans l’Hexagone, notamment avec les enseignes Carrefour et Cora. « Le premier lancement a déjà permis de collecter deux tonnes de plastique qui n’iront pas polluer les océans. Nous espérons rapidement monter en puissance. Et étendre le concept à d’autres références », annonce Damien Malejacq. Le bouchon, évidemment recyclable, est aussi utilisé par l’union coopérative de la marque de vins Odaïga (eau en gascon) en blancs et rosés.

D’autres opérateurs de vins ont adopté le bouchon Nomacorc Ocean : La Maison Bouey dans le Médoc et les coopératives du Mâconnais Vignerons des Terres Secrètes. Ou encore la cave d’Azé « pour ses vins les plus sensibles » (les mâcon-villages sans soufre, les vendanges tardives et les rosés). « Et nous réfléchissons à boucher toutes nos cuvées haut de gamme avec cette solution, afin de contribuer encore davantage à la collecte de plastiques marins », précise Arnaud Dellesalle, responsable HSQE de la cave.
La maison bourguignonne Albert Bichot a également fait ce choix de bouchage dans le cadre de l’opération Grain de Sail. Les deux fûts de chardonnay expédiés outre-Atlantique en cargo-voilier seront embouteillés à l’arrivée avec les bouchons Nomacorc Ocean. ♦