Économie
Une soie made in France et durable
Séricyne, le procédé inventé par Clara Hardy pour produire une soie naturelle non tissée, a permis à la sériciculture de refaire son apparition dans l’Hexagone. Et à cette soie 2.0 de séduire l’industrie du luxe.
Totalement disparue des Cévennes dont elle fut pourtant la principale ressource économique de la fin du XVIème siècle jusqu’au milieu du XXème, la soie y fait depuis quelques années un retour remarquée grâce à une… Normande. En 2013, Clara Hardy, étudiante en Design & Innovation à la prestigieuse École Boulle (dont elle sortira major de promo !) doit en effet plancher sur un projet innovant dans la production d’une matière textile.
Au départ, un projet d’étude
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Le ver est dans le fruit ! Ou plutôt dans le cocon puisque c’est sur la soie et le processus de fabrication du fil de soie par la chenille du bombyx du mûrier que la jeune femme va porter son choix. « La soie et son histoire m’intéressaient et je me suis dit que je trouverais une façon de la travailler différemment. Ou en tout cas de façon originale ».

Quant au fait qu’il n’y ait plus de sériciculture en France, ce n’est pas pour lui déplaire. Au contraire. « Travailler sur une fibre peu étudiée » étant même un plus pour celle qui prend son bâton de pèlerin, à la découverte d’une filière dont elle avoue avoir tout à apprendre. Direction « l’Asie, la Turquie, où la sériciculture est encore bien vivante, mais aussi les Cévennes et l’Ardèche » où elle rencontre des passionnés qui élèvent encore des vers à soie « dans des boîtes en carton, pour l’école ou le musée du coin » !
Parallèlement, l’idée de zapper le passage par le cocon (qu’il faut ensuite chauffer pour le dévider et obtenir le fil de soie) et de pousser le ver à tisser directement sur des moules – comme avec une imprimante 3D – fait son chemin. L’étudiante tient son projet innovant. Breveté en 2015 sous le nom de Séricyne, il ne demande plus dès lors qu’à passer dans le concret. Et si Clara Hardy pense un temps développer son activité à l’étranger, elle est rapidement convaincue que Séricyne peut être l’occasion de réintroduire la sériciculture en France.
Revitalisation d’un écosystème local
Quant à savoir où, la réponse à la question est vite trouvée. Ce sera en Cévennes. Plus particulièrement à Monoblet, haut-lieu historique de la sériciculture gardoise où quelques agriculteurs ont perpétué jusqu’en 2017 la tradition de la culture du mûrier. Formés par les ingénieurs agronomes de Séricyne, ils vont rapidement retrouver les secrets du savoir-faire de leurs ancêtres. Et les 12 000 mûriers plantés depuis cette date dans la région permettent désormais à six fermes d’élevage d’approvisionner, de mai à novembre, l’atelier installé… dans une ancienne magnanerie où plus de 30 salariés s’affairent tous les jours. Le tout selon un process que Clara Hardy aime détailler.

« On livre à la quinzaine de sériciculteurs qui travaillent avec nous des lots des vers à soie issus de notre nourricerie où ils éclosent et où sont gardés une dizaine de jours. Ils sont ensuite nourris exclusivement avec des feuilles de mûriers pendant 25-30 jours avant qu’on nous les ramène (environ 2000 par jour). Démarre alors le filage de la soie à plat qui permet de réaliser des produits cosmétiques, des masques de beauté, des luminaires, des bracelets de montre, des chapeaux ou encore du packaging pour les plus grandes marques de l’industrie du luxe séduite par la qualité et l’esthétique de notre produit ».
Car l’autre sujet de satisfaction pour la jeune entrepreneure – au-delà d’avoir redonné vie à une filière disparue du paysage hexagonal et à tout un écosystème local -, c’est effectivement de réussir à « allier le bon (pour la planète) et le beau ».
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Une empreinte carbone réduite
« La sériciculture ne peut se développer que dans des zones agricoles préservées des pesticides et insecticides. Ils provoquent en effet des maladies chez les vers à soie. C’est aussi pour ça qu’on s’est installé dans le Parc National des Cévennes, une zone protégée, avec des cultures bio et des pratiques respectueuses de l’environnement », insiste d’ailleurs Clara Hardy quand on aborde le sujet. « Le circuit court entre le lieu d’éclosion, les fermes d’élevage et l’atelier de production s’inscrit aussi évidemment dans une démarche éco-responsable à laquelle est de plus en plus sensible l’industrie du luxe. Mais ce qui permet à notre soie d’avoir un impact environnemental faible, c’est notre mode de production, sans filature puisque notre matériau ne demande pas les étapes de moulinage et de tissage ».
Née d’une volonté de créer et d’innover, Séricyne a donc également réussi la gageure de faire une nouvelle proposition pour l’industrie du luxe dans le respect de l’environnement. Et qui plus est, capable de rivaliser par son coût de revient avec la soie chinoise. Le succès de la marque française est même tel qu’un deuxième site de production, plus grand, vient d’ouvrir dans une ancienne cave viticole à Bagard, une autre commune gardoise. Les fils de la « nouvelle » soie cévenole sont décidément de plus en plus solides. ♦