EnvironnementSanté
Crise écologique : pourquoi les hôpitaux doivent être en première ligne
[tribune] La crise écologique bouleverse nos vies et notre santé. Elle génère de nouvelles vulnérabilités, individuelles ou collectives et en exacerbe d’autres déjà existantes. À Marseille, en première ligne de ces transformations, nous devons aussi adapter notre système hospitalier pour répondre aux défis climatiques, sociaux et sanitaires. Le défi est double : rendre nos hôpitaux plus vertueux pour l’environnement, mais aussi garantir l’accès aux soins pour tous et continuer d’incarner aux XXe siècle une hospitalité à la hauteur des enjeux.
Je le constate chaque jour : la crise écologique transforme en profondeur notre rapport à la santé. Ce ne sont pas seulement des maladies nouvelles ou des vagues de chaleur plus fréquentes ; c’est l’ensemble de notre organisation collective, sociale, urbaine, qui est bousculé. Les grands événements climatiques – canicules, inondations – perturbent nos mobilités, notre éducation, nos villes. Ils impactent la démographie, l’espérance de vie, les parcours de vie. Ils influencent notre santé bien au-delà de l’hôpital.

Cette crise doit redéfinir notre approche de la santé publique. Les maladies à transmission vectorielle, autrefois cantonnées aux régions tropicales, s’installent dans nos territoires tempérés. L’épidémiologie change de visage. La canicule de 2003 a marqué un tournant : notre système de santé n’était pas prêt. Depuis, nous avons progressé. Nous formons, nous anticipons et nous avons adapté nos organisations et nos bâtiments.
Le changement majeur est que la santé environnementale ne concerne plus seulement les populations vulnérables qui ne peuvent se protéger ou seulement certaines zones géographiques précises. Elle nous concerne tous.
La crise écologique participe aussi à redéfinir la définition même de bonne santé
L’OMS plaide de longue date pour ne pas considérer la santé uniquement comme l’absence de maladie. Comme la définissent aussi des philosophes comme Georges Canguilhem, elle est aussi bien-être physique, mental et social. La crise climatique renforce cette exigence de définition « globale » de la santé.
Mais elle comporte un risque : en élargissant trop la notion de santé, on peut diluer les priorités. On risque de faire porter au seul monde médical des responsabilités qui relèvent aussi de l’éducation, du logement, du travail social. Une grande vulnérabilité face au changement climatique, ce sont par exemple les logements presque invivables l’été : trop chaud, trop exigus et parfois dans des quartiers d’insécurité. Difficile d’y rester en bonne santé, mais le monde de la santé n’y peut pas grand-chose.
Je pense notamment à la psychiatrie : parler de bien-être mental est essentiel, mais cela ne doit jamais masquer les besoins des patients souffrant de pathologies sévères, qui nécessitent des prises en charge longues, structurées, complexes.
Pour les hôpitaux, il nous faut donc tenir ce discours global mais tenir bon sur nos fondamentaux : prendre en charge la maladie, de la prévention au soin.
Penser global, agir local pour l’accès aux soins
Les équipes de l’APHM revendiquent cette approche globale par la formation des jeunes ou l’engagement dans les débats scientifiques ou par des prises de positions publiques sur ces grands sujets. Nous formons nos à la notion d’écoconception des soins pour faire bouger les pratiques, nous développons les achats responsables, nous portons des plans de mobilité durable. C’est le devoir d’un grand service public dont le comportement vertueux peut non seulement améliorer la situation mais aussi donner l’exemple.
Nous faisons aussi le choix d’agir. Nous avons ouvert des centres de santé dans les quartiers populaires de Marseille, là où l’offre médicale est insuffisante mais surtout là ou les vulnérabilités sont les plus grandes. Ce sont les mêmes familles qui sont victimes d’insécurité dans les quartiers, de logements dans des copropriétés dégradées, de difficultés de transports et donc d’accès aux soins.

Le combat doit être mené à la grande échelle du monde
Cette crise écologique est d’impact global, elle exige donc une réponse globale pour être efficace. Mais la manière dont nous allons la traverser sera aussi un marqueur de notre humanité collective : solidarité ou égoïsme ?
Nous croyons à la solidarité que notre nom « assistance publique » incarne depuis 150 ans. Nos partenariats internationaux, en Afrique et en Asie, sont encore modestes sur les questions environnementales, mais nous avons l’ambition de les promouvoir. Nous avons beaucoup à apprendre de pays confrontés aux diverses conséquences du réchauffement climatique pour partager nos politiques de résilience. L’architecture hospitalière adaptée aux climats extrêmes, par exemple, est un champ d’innovation que nous devons explorer.
Des projets qui incarnent : le Navire Avenir
À titre personnel et avec de nombreux professionnels de l’AP-HM, nous sommes engagés autour du projet Navire Avenir, un navire-hôpital dédié au sauvetage en mer. On peut palabrer sur les enjeux scientifiques de cette crise, ses conséquences géopolitiques, ses impacts sociétaux et affirmer qu’il faut agir. Mais quand au bout du bout, nos semblables meurent en mer, revenons à un devoir élémentaire, leur apporter assistance. C’est une question de morale ou d’éthique mais c’est aussi un enjeu de crédibilité pour nous et pour les générations futures. Ils pourraient dire un jour : « vous dissertiez sur le changement climatique et ils mourraient en mer ? » Ce projet n’est donc pas seulement une réponse humanitaire. Il est une déclaration : face aux crises, face à la détresse humaine, nous devons rester fidèles à nos valeurs d’hospitalité, de solidarité, d’humanité. Depuis la mer jusqu’à l’accueil sur la terre ferme, nous devons soigner, accompagner, protéger.
La crise écologique est un défi sanitaire, social, éthique. Elle exige de nous de l’innovation, de la coopération, du courage. À Marseille, nous avons choisi d’être en première ligne. ♦
Bonus
# Le Navire Avenir. Son maître d’œuvre est le PEROU (Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines). Des architectes, des designers, des artistes, des juristes, des étudiants et des chercheurs d’une cinquantaine d’écoles européennes et sud-américaines. Cette œuvre collective prend aujourd’hui corps : il s’agit d’un catamaran de 67 mètres de long sur 22,50 de large, doté de cinq ponts et en capacité d’accueillir à son bord environ 400 rescapés.
“Une œuvre manifeste, collective et agissante pour la reconnaissance des gestes des marins-sauveteurs qui sera présenté en octobre prochain à l’UNESCO pour être inscrite au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité”. Prochaine étape une soirée le mardi 27 mai au théâtre de Chaillot à Paris. État actuel du financement 1 237 620 euros sur 20 millions.