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Par Zoé Charef, le 29 mai 2025

Journaliste

Oz’arts Citoyens : l’art de la parole, mieux que les armes

Scène d'Alice au pays des peurs. ©Oz'arts citoyens

À Mulhouse, l’association Oz’arts Citoyens utilise le théâtre, le stand-up et l’éloquence pour éveiller les consciences, libérer la parole et donner à chacun une place sur scène comme dans la société. L’objectif ? « Permettre aux gens qui n’ont pas accès à la culture de pouvoir y goûter et s’y tester. »

Alice au pays des peurs ne laisse pas indemne. Spectacle hybride mêlant théâtre et danse, ce conte moderne explore les mécanismes des violences conjugales à travers le regard de l’entourage : les enfants, les amis, la famille et les institutions. « On a imaginé cette création pour que les gens qui le vivent trouvent le courage d’en parler, explique Mohamed Saïd Ahamada. Toutes les scènes où il y a de la violence sont dansées. Ce qu’on met en paroles, c’est le silence des autres. » Le directeur artistique et cofondateur de l’association Oz’arts Citoyens entend, avec cette œuvre, suggérer sans brutaliser, transmettre sans moraliser, faciliter le dialogue sans forcer.

Culture, éducation et engagement social

L’équipe de la pièce Alice au pays des peurs, imaginée par Saïd. ©Oz’arts citoyens

Depuis sa création, la pièce rencontre un écho grandissant au niveau national. Le débat qui suit la représentation, tout comme l’adaptation faite pour les collégiens (à partir de la 4e) sont une réussite. Partout où elle passe, des parents viennent avec leurs enfants, « par exemple ceux en cours de séparation d’un conjoint violent. C’est le but du spectacle : pouvoir ouvrir la discussion, se dire qu’on n’est pas seul. Et plus on la joue, plus on sent l’impact. La violence n’a pas d’âge et certains enfants sont des témoins silencieux », confie-t-il. 

Alice au pays des peurs n’est qu’un volet des nombreuses actions de l’association. L’essence même d’Oz’arts Citoyens est de créer des œuvres accessibles au grand public qui suscitent la réflexion et libèrent la parole. Depuis 2014, l’initiative mulhousienne multiplie ainsi les projets mêlant culture, éducation et engagement social. 

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Donner la parole aux jeunes qui ne l’ont pas

Encourager l’éloquence des jeunes collégiens et lycéens, « c’était notre première idée, car on trouvait que les citoyens et citoyennes n’avaient pas la parole, continue l’artiste. Notamment pour qu’ils et elles se rendent compte qu’il existe différents langages. » Stand up, création d’émissions de radio (sur la radio locale Mulhouse Net Experience), ateliers dédiés, ils font de la scène un outil d’émancipation et de pédagogie. Tout est bon pour révéler des talents, des compétences voire des vocations. 

Présente dans des foyers, des classes relais et des festivals, Oz’arts Citoyens propose également des procès fictifs. C’est la partie « Oz » – pour « oser » – de leur nom. « Cet atelier marche super bien auprès des jeunes. Pendant dix séances, les élèves créent et mettent en place un procès. Ils le présentent ensuite aux autres élèves pour valoriser leur travail et leur apprentissage. C’est un point important pour nous. Il y a eu le procès de la discrimination, celui de l’homophobie, du racisme, de la pâte à tartiner El Mordjene. Celui d’Inoxtag avec le témoignage de l’Everest… » L’objectif ici est de construire un argumentaire, d’apprendre à parler face à un public et de travailler en équipe.

Des nombreux ateliers sont mis en place dans les collèges et lycées du Grand Est. ©Oz’arts citoyens

Le Hopla Comedy pour structurer et fédérer

Depuis Mulhouse, Mohamed Saïd Ahamada cherche aussi à faire rire par la création. Avec le festival Hopla Comedy qu’il a imaginé en 2022, il souhaite « structurer et fédérer les jeunes talents de l’humour des environs. » Des scènes ouvertes comme Fais-le au talent permettent à des artistes amateurs de se tester pour la première fois, en 5 minutes. Peu importe l’âge, la profession et l’origine, ils repartent tous avec le sourire, galvanisés par les rires qu’ils ont provoqués.

« Le stand-up, c’est aussi une forme d’éloquence. Mais il y a de l’autodérision, du rythme et les jeunes s’identifient davantage à cet art, poursuit-il. On facilite l’accès à la culture et on lutte contre l’exclusion sociale par la même occasion ! »

« Des arts plutôt que des armes »

Une partie de l’équipe du Hopla Comedy. ©Oz’arts citoyens

Tous les sujets de société sont traités, en particulier l’usage des écrans. Des ateliers de théâtre et de prévention permettent aux jeunes de comprendre ce qu’ils consomment et de mesurer la violence de certains contenus. « On leur fait jouer, dans les classes, ce qu’ils voient dans leurs jeux, explique le directeur artistique. Quand ils en deviennent les personnages, ils réalisent alors les points forts et les dangers de ces pratiques. Ensuite, on discute ensemble. On essaye de faire avancer leur réflexion, sans interdire quoi que ce soit. »

Avec comme credo « Des arts plutôt que des armes », l’association tient à mettre la culture à portée de tous, en particulier les publics les plus éloignés. Mohamed Saïd Ahamada assure qu’il a dû lever plusieurs barrières pour y parvenir. « On nous disait que les personnes porteuses de certains handicaps ne parlaient pas et qu’on ne pouvait donc rien faire avec eux. On répondait “ils ont des émotions, c’est suffisant.” Alors on a créé une méthode ensemble, pour adapter les outils, les rendre accessibles et apprendre à communiquer autrement. »

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Une équipe très motivée

Saïd et ses collègues. ©Oz’arts citoyens

Car c’est bien l’association qui pense tous ses outils de travail. Entouré d’animateurs formés et d’artistes indépendants, Saïd Mohamed, seul salarié, collabore avec l’Éducation nationale et les collectivités locales. « On n’a pas de local et on fonctionne sans subvention municipale ou départementale, pour préserver notre liberté artistique », souligne le cofondateur. Son plus grand défi ? Trouver des intervenants capables de capter l’attention d’un public adolescent ou non accoutumé, de s’adapter aux méthodes « et de transmettre le tout avec enthousiasme. »

Oz’arts Citoyens ne cesse d’innover à travers tout le Grand Est, notamment avec un autre de ses spectacles, Pas en mon nom. On y interroge avec subtilité et un trait d’humour les mécanismes de discrimination : « On peut être discriminé et discriminant en même temps. Donc où nous plaçons-nous ? Quand est-ce qu’on l’est ? On pointe du doigt les non-dits et on souhaite ouvrir le débat », se réjouit l’artiste. Car l’équipe en est certaine : quand on donne à quelqu’un les moyens de s’exprimer, on l’aide à se construire. 

 

♦ Version radio avec Nathania Cahen, qui a été journaliste à RMC.