Alimentation

Par Agathe Perrier, le 17 septembre 2025

Journaliste

Partager les cultures en cuisine

Quatre cheffes marseillaises se sont rendues l’hiver dernier au Cameroun dans le cadre d’une résidence culinaire initiée par le Fonds de dotation Compagnie Fruitière. Trois semaines durant, elles s’y sont imprégnées de la cuisine locale, tout en partageant la leur. Retour sur cette expérience hors du commun, qui a changé leur façon de travailler.

Poivre de penja, djansang, pèbè… Ces épices et condiments, incontournables des plats camerounais, étaient inconnus il y a encore quelques mois pour Aude-Frédérique Toaly, Aurore Danthez, Coline Py-Fauvet et Marina Jost. Ces quatre cheffes, installées à Marseille, les ont découverts à la faveur d’une résidence culinaire dans ce pays d’Afrique centrale et occidentale. Entre le 8 et le 28 février dernier, elles y ont élaboré des repas avec des chef(fe)s locaux, participé à des ateliers culinaires, cuisiné chez des familles, visité des plantations, marchés et autres lieux typiques… « On a été plongées dans une culture culinaire à la richesse incroyable », se rappelle Coline Py-Fauvet, cheffe indépendante qui a depuis quitté la Cité phocéenne pour la capitale.

En trois semaines sur place, de Yaoundé à Njombé en passant par Mouanko et Douala, le quatuor n’a pas eu le temps de s’ennuyer. « On a cuisiné dans toutes les configurations, parfois sans même une balance ! Moi qui sors difficilement de ma zone de confort, ça a été un challenge, mais j’ai beaucoup appris », confie Aude-Frédérique Toaly, cheffe traiteur.

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Marina Jost, Coline Py-Fauvet, Aurore Danthez et Aude-Frédérique Toaly, quatre cheffes de la brigade marseillaise © DR

Riches échanges

Les souvenirs se bousculent dans les mémoires. Parmi les plus marquants, toutes évoquent la préparation d’un koki, un gâteau aux haricots cornilles très populaire au Cameroun. « On l’a fait avec tous les membres d’une famille qui nous a ouvert les portes de sa maison. Ils nous ont emmenées au marché, nous ont montré les techniques de réalisation et de cuisson en papillote de feuilles de bananier, ont partagé le repas avec nous… C’était un super moment d’échanges de pratiques et personnel, car on a pu voir un bout de vie d’un foyer camerounais », raconte Aurore Danthez, à la tête du Monticole Culinaire, lieu de café et de restauration situé au Plan d’Aou (15e).

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La préparation d’un koki avec une famille camerounaise © DR

Autre moment mémorable : la confection d’un kondré, plat généreux et emblématique du pays, avec l’équipe de la cantine d’une exploitation agricole. « L’accueil et les échanges ont été également très forts ce jour-là. Il s’est passé quelque chose d’intense entre les humains », se souvient Coline Py-Fauvet. Ou encore ce dîner pour le ministère des Arts et de la Culture, où elles ont formé une brigade avec des enfants des rues de Yaoundé, accompagnés par une association pour tenter de les sortir de la misère grâce à la cuisine.

Si les cheffes marseillaises se sont pleinement imprégnées de la cuisine camerounaise, elles ont aussi partagé leurs propres produits et savoir-faire. « On est arrivées avec notamment du fenouil et du pastis dans nos valises, qu’on a travaillés avec les matières brutes locales. Sans être dans la démonstration, mais au contraire dans l’échange et la création de ponts entre nos cuisines », souligne Marina Jost, cheffe itinérante. Elles ont ainsi revisité la mayonnaise de l’aïoli en remplaçant l’ail par l’écorce d’un arbre, l’olom, dont l’odeur et le goût s’en rapprochent fortement.

♦ Lire aussi l’article « La cuisine comme pont entre Marseille et Yaoundé »

Une influence au quotidien

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Les cheffes ont cuisiné dans toutes les configurations © DR

Depuis leur retour à la vie normale, les cheffes ne cuisinent plus exactement comme avant. « J’utilise maintenant davantage le pilon que le blender, car il permet d’exalter autrement les saveurs des épices », illustre Aurore Danthez. Idem pour Marina Jost, qui a même mis cette technique au cœur d’un atelier avec de jeunes Marseillais, « pour leur transmettre ce qu’on a eu la chance de découvrir ».

Côté ingrédients, ce sont surtout les épices qu’elles emploient désormais différemment, plus fréquemment. Et les farines pour Aude-Frédérique Toaly. « J’en ai découvert une multitude, dont certaines sans gluten comme la farine de manioc, de haricots ou de banane. Ça m’a beaucoup inspirée. Je vais bientôt proposer une gamme de sablés sans gluten dans mon épicerie en ligne (ndlr : qu’elle est en passe d’ouvrir) », glisse-t-elle.

Les quatre comparses ont en outre remis le couvert ensemble. Elles ont participé début avril au festival culinaire et solidaire Cheffes ! où elles ont élaboré une carte aux influences camerounaises. En reconcoctant, entre autres, le fameux koki qu’elles avaient tant aimé. Avec leur propre touche : de la farine de pois chiche.

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Faire rayonner les cuisines africaines

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Parmi les recettes apprises, celle du kondré, plat généreux et emblématique du Cameroun © DR

Ce voyage au Cameroun a été le match retour d’une première résidence culinaire. Organisée en 2024 à Marseille, elle avait permis à la cheffe Sandrine Nkou Ebogo de s’immerger dans la cuisine provençale. Ce projet inédit, initié par le Fonds de dotation Compagnie fruitière*, reproduit le concept de résidences croisées entre artistes avec des cuisiniers. « Nos statuts stipulent que l’on doit œuvrer aux échanges culturels entre la France et l’Afrique », expliquait alors à Marcelle sa présidente, Marie-Pierre Fabre (notre reportage à retrouver ici). « D’ordinaire, on est un fonds de dotation distributif, mais cette fois, on ne fait pas que le chèque ».

L’organisme à but non lucratif a été appuyé par l’École marseillaise de l’alimentation et de l’hôtellerie par l’inclusion (EMAHI) de Sébastien Richard, chef du restaurant solidaire Le République. Et par l’équipe des Cuisines africaines. Ce mouvement, porté par ICI-Les Grandes Tables, a pour but de « valoriser ces différentes cuisines au même titre que d’autres qui rayonnent dans le monde », souligne Axel Mbetcha Tiezan, son coordonnateur. « Elles sont moins connues alors qu’elles ont autant de mérite, d’intérêt et de richesse », ajoute-t-il. Les résidences culinaires sont un de ses nombreux outils de promotion, au côté de l’accompagnement de porteurs de projets culinaires africains et de l’organisation d’événements. Au vu de leur succès en termes de partage et de transmission, d’autres éditions tout aussi épicées seront bientôt concoctées.

* Le Fonds de dotation Compagnie Fruitière est le parrain de la rubrique « alimentation » de Marcelle. Cet article n’est toutefois pas une commande puisque ce rôle ne donne ni droit de regard, ni ingérence dans le choix des sujets et la ligne éditoriale de notre média. Plus d’informations en cliquant ici

Bonus

# Envie de participer à une prochaine résidence culinaire ? Comme pour les deux premières éditions, un appel à candidatures sera lancé. Pour en être informé, rendez-vous sur le site du Fonds de dotation Compagnie fruitière ou sur sa page LinkedIn.

# À quatre plutôt que seule – Pour la petite histoire, cette deuxième résidence culinaire au Cameroun n’aurait dû profiter qu’à un(e) seul(e) chef(fe) marseillais(e). Mais, après étude des dossiers, l’équipe de sélection n’a pu départager quatre candidates et les a finalement toutes retenues. « On s’est rendu compte que leurs profils étaient complémentaires. Si bien qu’on a préféré monter une brigade », indique Axel Mbetcha Tiezan. Un pari gagnant pour tout le monde. Et à tous les niveaux : les quatre consœurs sont aujourd’hui amies.