ÉconomieÉducations aux médias et à l’information EMI

Par Audrey Savournin, le 3 juin 2025

Journaliste

Face aux discriminations, le mentorat intergénérationnel

Créée à Bruxelles en 2013, l'association DUO for a JOB favorise l’insertion professionnelle des jeunes d’origine étrangère. Elle s’est implantée à Paris en 2019, puis à Marseille en 2021 © Johnny YIM

[cet article fait partie du programme Éducation aux Médias et à l’Information développé par Marcelle]

En France, le taux de chômage des actifs de 15 à 24 ans atteignait 17,2% en 2023 selon l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire). Et les difficultés d’accès au marché du travail étaient particulièrement marquées chez les jeunes issus de l’immigration hors Union Européenne, quel que soit leur niveau de diplôme. Une inégalité que l’association DUO for a JOB entend réduire en misant sur l’expérience des plus de 50 ans, dont les compétences sont peu valorisées. Elle crée des binômes intergénérationnels de mentorat et les accompagne selon un processus bien rôdé. Reportage à Marseille.

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« Cela me permet de me sentir utile”, confie Philippe, le mentor affecté à Mohammed (qui n’a pas souhaité être photographié). Ici dans les locaux marseillais de l’association. © AS

Au premier abord, Philippe et Mohammed sont plutôt réservés. Et à les voir côte à côte, on n’imagine pas franchement ce qui pourrait les rapprocher. Le premier, âgé de 69 ans, est un cadre supérieur à la retraite. Le second un jeune diplômé en design graphique de 26 ans. Ils se voient pourtant une fois par semaine depuis cinq mois et se retrouvent à chaque fois avec plaisir. Au point de devenir assez complices. Ils ont été associés par DUO for a JOB.

Créée à Bruxelles en 2013, cette association favorise l’insertion professionnelle de jeunes d’origine étrangère. Elle s’est implantée à Paris en 2019, puis à Marseille en 2021, pour lutter contre « la première source de discrimination en France : l’origine », résume Fatoumata Baba, enthousiaste directrice de l’antenne marseillaise.

Depuis, 110 mentors bénévoles actifs ont rejoint l’aventure et 240 jeunes ont été accompagnés gratuitement dans la cité phocéenne – autant d’hommes que de femmes dans les deux cas. En France, ils sont plus de 1 600, et 80% renouvellent l’expérience après un premier coaching. « Ici, les tout premiers en sont à leur 5e ou 6e accompagnement », sourit-elle.

# Duo for a Job a des antennes à Paris, Marseille, Lille et Lyon. Pour les contacter, c’est par ici.

Des mentors formés et accompagnés

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Une fois formé, chaque mentor est est affecté à un jeune à qui il semble correspondre. © Johnny YIM

Une fois formé, chaque mentor est affecté à un jeune à qui il semble correspondre. © Johnny YIMLes mentors ont des parcours très variés et la moitié environ sont encore en activité. Tous ont pu participer à une réunion d’information (une session par semaine) puis rencontrer individuellement un référent avant d’être formés, pendant quatre jours. « On leur apprend à traiter des problématiques spécifiques, à connaître les informations pratiques en matière d’insertion, les métiers en tension, les rapports avec France Travail et les Missions Locales. Mais aussi l’écoute active, la communication interculturelle », énumère Fatoumata Baba . « C’est très important, rebondit Jana El-Assaad, directrice de la communication de DUO for a JOB. Surtout pour les primo-arrivants ou les Français issus de l’immigration. On lutte aussi contre les préjugés en initiant ces rencontres. »

 

Une fois outillé, le mentor est référencé. Charge ensuite à l’équipe d’établir les bons « matches » avec les jeunes, eux aussi « recrutés » chaque semaine, en fonction du profil de chacun. « Il n’y a pas de sélection pour les mentors, le seul critère d’éligibilité, c’est l’âge, insiste Jana. On tient beaucoup compte du secteur d’activité, mais il y a aussi d’autres enjeux : des récits, des histoires, une envie, une attente, une problématique… » Une méthodologie assez efficace puisque 83% des duos sont validés par les deux participants et 90% vont au terme du programme de six mois, au rythme d’un rendez-vous de deux heures par semaine. « Les interruptions sont dues à des déménagements, des raisons personnelles et des problèmes de santé, relativise Fatoumata. Parfois aussi ça s’arrête parce que le jeune trouve une formation ou un emploi. »

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C’est l’interaction qui rend le duo dynamique”

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Peu à peu, la confiance et la complicité s’installent.  © Johnny YIM

Après avoir accompagné une jeune femme qui souhaitait se réorienter, Philippe a donc été associé à Mohammed. C’est une amie qui lui a parlé de ce programme et il est ravi d’y participer. « Cela me permet de rester en contact avec la réalité économique et sociale, d’être avec des jeunes, de me sentir utile, confie-t-il. Mais on se sent aussi responsable. Il faut un résultat et le duo ne fonctionne que si les deux avancent. C’est l’interaction qui le rend dynamique. Moi je suis juste là pour poser des questions, orienter, conseiller, faire émerger des choses. C’est Mohammed qui fait tout, d’autant qu’il est très autonome, insiste-t-il en toute modestie. Mais chaque binôme est différent, le mentor s’adapteS’occuper d’un réfugié qui ne parle pas français par exemple, c’est tout autre chose. »

Et d’ajouter en souriant : « Je suis devenu un spécialiste de Mohammed. » L’intéressé, inscrit au programme par sa mère à un moment où toutes les portes professionnelles restaient fermées, acquiesce : « Il sait ce que je recherche, mieux que mes parents, mes amis, mes profs ou tous mes conseillers réunis. » « Je lui apporte un regard différent, conclut Philippe, touché. Et c’est grâce à la durée de l’accompagnement, à la régularité des rencontres, au coaching personnalisé. On a créé une relation de confiance. »

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Un programme qui a fait ses preuves

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72% des jeunes trouvent un emploi, un stage ou une formation qualifiante dans les douze mois suivant l’accompagnement.  © Johnny YIM

72% des jeunes trouvent un emploi, un stage ou une formation qualifiante dans l’année qui suit l’accompagnement.  © Johnny YIMÀ ses côtés, Mohammed s’est résolu à mettre de côté le métier de designer graphique qu’il aime tant. Il s’y est formé pendant huit ans, mais ne trouve aucun poste depuis trois ans, malgré tous ses efforts. Alors il envisage finalement une carrière dans un secteur où il y a des débouchés : il va s’engager dans une formation pour devenir technicien en froid. L’aboutissement de six mois d’échanges constructifs, dans les locaux de DUO for a JOB à La Joliette, d’abord, puis au café du Théâtre de La Criée, sur le Vieux-Port. Une réussite que Philippe attribue aussi à l’association : « Je me suis lancé parce que je n’étais pas abandonné, il y a des méthodes, des outils, un suivi par une permanente. C’est vraiment géré. »

« Le programme a prouvé son efficacité » abonde Fatoumata Baba. En France, 70% des jeunes définissent un projet professionnel concret et réaliste avec leur mentor. 90% se sentent plus sûrs d’eux et plus autonomes. C’est clairement le cas de Mohammed, qui était « démoralisé » au début du programme et se sent « mieux mentalement ». « Je ne suis pas allé voir un psy finalement », lance-t-il à Philippe, avec qui il en avait discuté. Comme l’immense majorité des mentorés, il quittera DUO for a JOB avec du « tangible » dit-il. 72% d’entre eux trouvent un emploi, un stage ou une formation qualifiante dans les douze mois suivant l’accompagnement.  Et la plupart restent officieusement en contact avec leur mentor. ♦