ÉconomieÉducations aux médias et à l’information EMI
Coopaname invente une autre manière de travailler
[cet article fait partie du programme Éducation aux Médias et à l’Information développé par Marcelle]
La coopérative d’activité et d’emploi Coopaname a fêté ses 20 ans l’an dernier. Elle propose actuellement un statut de salarié à plus de 500 entrepreneurs, qu’ils soient formateurs, développeurs ou consultants. Qui peuvent ainsi se concentrer sur leur cœur de métier, tout en bénéficiant d’un important réseau d’entraide et de solidarité au quotidien. Et la jouer collectif.
C’est par hasard que Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi a eu vent de Coopaname. Fondatrice de l’agence de communication MPC et attachée de presse, elle a découvert l’une des plus importantes coopératives d’activité et d’emploi en France (CAE) en 2012, lors du Mois de l’économie sociale et solidaire. L’entrepreneuse, qui accompagne le Mouvement associatif, les Banques alimentaires ou encore les associations Don en confiance et Rivières sauvages, a vite sauté le pas et rejoint l’aventure en 2013. L’idée de faire partie d’un collectif d’indépendants qui mutualisent leurs forces et contournent ainsi les difficultés du quotidien lui a plu. « Il est intéressant de se serrer les coudes et d’avancer ensemble… » Comme une réponse à l’isolement des uns et à la précarité des autres.
Aide pour la facturation
En devenant membre de Coopaname, Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi a obtenu un statut de salarié, une protection sociale, une mutuelle… Le modèle hybride lui permet de rester autonome et de se concentrer sur l’essentiel, son activité, son cœur de métier, la recherche de missions et la réalisation de prestations… Car elle laisse la CAE émettre à sa place les factures à ses clients. L’organisation encaisse les sommes et lui reverse son chiffre d’affaires sous forme de salaire, en réglant aussi les cotisations sociales, la TVA et différents prélèvements obligatoires. Ce qui lui permet de réduire les tâches administratives ou comptables. « On ne peut pas affirmer qu’il n’y a plus rien à effectuer dans ce domaine-là, explique Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi. Mais c’est plus facile, et les équipes nous épaulent dans la gestion de la facturation. » Les coopérateurs disposent d’outils numériques en vue de faciliter leur gestion commerciale et le suivi de leur activité.

Autre membre de Coopaname, Patrice Bride, à l’origine de Dire le travail (coopérative visant à valoriser la parole des travailleurs), vante également le modèle. Son arrivée en 2019 lui a simplifié le quotidien. « Les formations que j’assure pour des enseignants ou des étudiants de Sciences Po étaient rémunérées en vacation. Je recevais des droits d’auteur sur les ouvrages publiés, sans oublier des factures en auto-entrepreneur. C’était compliqué. »
« Un véritable projet politique »
Pour autant, l’atout principal est ailleurs, d’après Patrice et Marie-Pierre. Au final, ce n’est pas le statut d’ « entrepreneur salarié » qui a attiré plus de 2 000 personnes depuis la création de Coopaname en 2004, tant des paysagistes, des scientifiques, des développeurs, des communicants, des graphistes que des consultants. Non, si ces derniers acceptent de laisser 13a% de leur marge brute mensuelle à la structure coopérative – « une contribution importante », admet Patrice Bride –, c’est qu’il y a autre chose qui les pousse à rester groupés.

« Ce n’est pas de l’argent dépensé inutilement. En arrivant à Coopaname, ajoute Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi, je me suis associée à un véritable projet politique. Moi j’ai découvert quelque chose qui s’approche de l’univers des corporations ouvrières, c’est-à-dire l’idée de travailler et d’imaginer les règles ensemble. » Patrice Bride valide : « On explore les possibles en vue d’organiser le travail de façon plus ouverte et horizontale, c’est appréciable. »
Monnaie locale pour échanger des services
Les entrepreneurs sont accompagnés dès leur arrivée. Ils ont la possibilité d’affiner leur projet grâce au contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE), un dispositif créé en 2003 et utilisé par des couveuses d’entreprises ou des CAE, à l’instar de Coopaname. Patrice Bride est passé par cette case pendant six mois : « C’est une période transitoire durant laquelle on bénéficie d’un accompagnement afin de tester notre activité et de se constituer une trésorerie pour avoir de l’avance. » Selon Marie-Pierre, la coopérative vérifie que les personnes se sentent « prêtes à entreprendre » : « Il n’y a pas cette volonté de recherche de rentabilité à tout prix. »
Les entrepreneurs salariés profitent des nombreux mécanismes de solidarité au sein de la CAE. « On peut en trouver dans les entreprises classiques, à condition que les employeurs l’acceptent, explique Marie-Pierre. Néanmoins, ici, on est amenés à innover. C’est un laboratoire, on expérimente. »
Typiquement, certains testent un système d’échanges de services visant à favoriser les liens et la solidarité entre « coopanamiens », selon le jargon en interne. « On a créé une monnaie virtuelle, le Minuto, basée sur le temps. Les entrepreneurs ont de nombreux besoins, mais manquent souvent de moyens. Alors, on a cherché une alternative visant à permettre aux uns et aux autres de s’entraider sans que ce soit un échange commercial… » La phase de test a été lancée. « On verra si ça marche », sourit-elle, pleine d’espoir.
Caisse de solidarité
Les coopanamiens échangent, discutent. Ils et elles s’appuient aussi sur « un système de tutorat » afin que certains offrent aux nouveaux ou aux plus anciens leur « sagesse acquise » et leur « envie d’accompagner », selon la formule du rapport d’activité 2023 de Coopaname. Marie-Pierre, elle-même tutrice, s’en réjouit : « Il n’y a qu’à voir l’annuaire, on trouve une grande diversité de profils parmi les 500 salariés actuels, c’est enrichissant… »
Le collectif a également pour objectif de tendre la main en cas de coups durs, typiquement lors d’un retour de congé parental, un accident de travail ou un arrêt longue maladie. « Il y a toujours des hauts et des bas dans la vie d’un entrepreneur », glisse Patrice. « Certains, témoigne Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi, ont pu bénéficier de la caisse de solidarité. » Il s’agit du « Comité d’action sociale quand un écueil survient ». Dans le détail, le… CASQUES peut prendre la forme d’un maintien de salaire ou d’une prise en charge financière d’un soutien psychologique ou d’un loyer. Selon le rapport d’activité, « 30 000 euros ont été octroyés fin 2023 ».

Faire progresser le revenu des uns et des autres
L’objectif reste d’améliorer la situation économique des entrepreneurs, pas toujours au beau fixe. « Il y a un certain turn-over à Coopaname, beaucoup arrivent, mais d’autres ne parviennent pas à développer une activité pérenne. » Le chiffre d’affaires moyen est « peu élevé », confirme Marie-Pierre. Alors l’idée est de réfléchir à des axes d’amélioration de l’accompagnement des entrepreneurs salariés. « Il me semble important que le revenu des uns et des autres progresse », dit-elle.
Les coopanamiens se retrouvent régulièrement en atelier pour évoquer par exemple leurs efforts de prospection commerciale, ou encore les problèmes de trésorerie qu’ils ou elles peuvent rencontrer. Souvent, ils sont dus à des retards de paiement des clients. « Quand une organisation de 500 salariés se charge des recours, explique Patrice, les chances d’obtenir gain de cause sont plus élevées que pour un auto-entrepreneur… »
Ensemble, les membres de la CAE sont « plus forts ». Patrice Bride ne compte pas revenir en arrière : « J’espère y rester le plus longtemps possible. » ♦
Bonus
# 510 entrepreneurs salariés. À l’heure actuelle, pas tous situés en région parisienne, Marie-Pierre Medouga-Ndjikessi se trouve à Reims, par exemple.
# Les CAE existent depuis les années 90. La plus ancienne se trouve à Lyon (Cap Services, imaginée en 1995). Les CAE ont obtenu un statut juridique en juillet 2014 avec l’adoption de la Loi sur l’économie sociale et solidaire.
En 2020 a été lancée la Fédération des coopératives d’activité et d’emploi.
En 2022, plus de 150 CAE maillaient la France, contre 100 en 2014. 61% des CAE accueillent une grande diversité de métiers, les autres demeurent spécialisées dans différents domaines.
Elles accueillent environ 11 700 entrepreneurs, contre 5 000 en 2014. Parmi les entrepreneurs, on compte 54% de femmes et 46% d’hommes. Les CAE réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 260 millions d’euros.
