AgricultureÉducations aux médias et à l’information EMI
Les bocaux, pour remédier aux invendus agricoles
[cet article fait partie du programme Éducation aux Médias et à l’Information développé par Marcelle]
Nombre de producteurs sont contraints de jeter une partie de leurs récoltes, faute de les avoir vendues ou de pouvoir les stocker. Pour éviter ce gâchis, Andrée Bonnifay-Crouzet a créé Lou Soucau, un atelier de transformation situé à La Ciotat. Fruits et légumes y sont cuisinés – en soupes, coulis, confitures – puis conditionnés en bocaux. La structure croule sous la demande et attend avec impatience l’ouverture prochaine d’un second lieu.
Quel maraîcher ou producteur ne se retrouve pas, plus ou moins régulièrement, avec des stocks de fruits et légumes sur les bras ? Au mieux, ils les bradent et les écoulent. Au pire, ils les jettent. Un crève-cœur, autant moral que financier, auquel échappe un petit nombre grâce à l’atelier de transformation Lou Soucau (lire bonus). Dans ce bâtiment, juché sur les hauteurs de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), leurs denrées brutes deviennent soupes, confitures, houmous et autres préparations salées ou sucrées. « Ils m’apportent les produits et je m’occupe de la transformation, à laquelle ils peuvent d’ailleurs participer. Puis ils récupèrent leurs bocaux et les vendent où et au prix qu’ils veulent », résume Andrée Bonnifay-Crouzet, la fondatrice des lieux.
Éviter les pertes

Issue d’une famille d’agriculteurs, la Ciotadenne a toujours eu l’envie, elle aussi, de travailler la terre. Elle a toutefois d’abord exercé comme sage-femme avant de lancer sa reconversion en 2010. C’est pendant sa formation qu’elle se rend compte du gaspillage inhérent à la pratique de producteur. « Hormis la transformation, aucune solution ne me semblait bonne pour y remédier. Cette idée ne m’a plus quittée », se souvient-elle.
Épaulée par son mari, qui a construit entièrement le local, elle démarre son activité en 2019. « J’ai d’emblée été sollicitée par les agriculteurs », glisse-t-elle dans un sourire. Quatorze en profitent aujourd’hui, dont Jean Walter. Ce maraîcher bio, installé dans le 11e arrondissement de Marseille, a ainsi pu sauver des courges et des tomates qui menaçaient de pourrir, devenues respectivement soupes et coulis. « C’est une bonne solution pour éviter les pertes et tirer quand même un petit revenu de cette marchandise. Lorsque l’on passe du temps à récolter, il est trop frustrant de devoir jeter », confie-t-il.
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Petites quantités acceptées

Côté recettes, Andrée Bonnifay-Crouzet en propose des dizaines. Ketchup de carotte, polpa de tomate, betterave à l’aigre-douce, confiture ou compote de poires… Le producteur choisit celle(s) qu’il souhaite et fournit les matières premières, légumes comme condiments. Pour un caviar d’aubergine, par exemple, il doit également amener l’ail, le jus de citron et l’huile d’olive.
La facture finale dépend du nombre de bocaux réalisés. Elle sera en outre moins élevée si le producteur met la main à la pâte, l’option justement choisie par Jean Walter. « Il m’en a coûté entre 1,50 et 2 euros par bocal, quand d’autres structures voulaient me facturer plus de 3 euros. Lou Soucau accepte en plus les petites quantités, de 100 à 200 kg. Ailleurs, il faut de l’ordre de 500 kg de produits », explique le maraîcher. Faute de quoi, l’usage des machines n’est pas rentable.
En parallèle de ces prestations de services, Andrée Bonnifay-Crouzet transforme ses propres récoltes. Du moins quand elle trouve le temps. Car son atelier croule sous les demandes de producteurs, généralement urgentes sous peine de perdre la marchandise. « Je ne supporte pas de leur dire non », souffle l’agricultrice. Si bien que ses légumes et fruits s’accumulent en attendant leur tour de passer à la casserole. « Il faudrait plus de sites, mais c’est cher à installer. Il y a en outre de lourdes normes et règles à respecter. Ce n’est pas un projet facile », reconnaît-elle. En témoigne le labo de Roquevaire, lancé en 2018 par le CETA (centre d’études techniques agricoles) du Pays d’Aubagne, qui a cessé de fonctionner (bonus).
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Un nouveau labo bientôt dispo

Ce qui n’empêche pas quelques téméraires de se lancer dans l’aventure. Un autre laboratoire de transformation va ainsi prochainement ouvrir, toujours à La Ciotat, attendu avec beaucoup d’impatience par Andrée Bonnifay-Crouzet. Aux manettes, Priscille Eudel, ex-salariée dans le commerce en ligne. Toutes les deux vont d’ailleurs travailler de concert. « Je vais soulager Andrée sur le volet prestation de services , explique la future transformatrice. On a donc commencé la tournée des producteurs pour les informer du changement ».
Son activité pourra démarrer quand son local sera raccordé au réseau d’évacuation des eaux. Espéré avant l’été, ce devrait finalement être plutôt autour de la rentrée scolaire. « En attendant, on travaillera en binôme au sein de Lou Soucau », indique-t-elle. Une bonne façon de terminer ses gammes avant de pleinement plonger dans le bain de l’entrepreneuriat. Une chose est déjà sûre : elle ne manquera pas de travail. ♦
Bonus
# Pour tout besoin ou information sur une transformation – Contactez Priscille Eudel au 06 99 69 73 04.
# Un nom évocateur de racines – Lou Soucau signifie « la souche » en provençal. Un terme choisi car des oliviers sont cultivés de longue date sur les terres de l’exploitation familiale d’Andrée Bonnifay-Crouzet. « Et mon père disait toujours qu’il faut protéger sa souche, ses racines », confie-t-elle.
# À Roquevaire, l’atelier de transformation collectif n’est plus – En 2018, le CETA (centre d’études techniques agricoles) du Pays d’Aubagne l’avait créé pour permettre aux agriculteurs d’y sauver leurs invendus. Il tournait à plein régime en septembre 2019, lorsque Marcelle y a consacré un reportage (à retrouver ici). Il a depuis cessé son activité, comme nous l’a confirmé voici quelques mois l’organisme indépendant. Sollicité pour expliquer les raisons de cette fermeture, il n’a toutefois pas donné suite.
♦ Version radio avec Nathania Cahen, qui a été journaliste à RMC.
