Solidarité
En pension de famille, les exclus du logement retrouvent un toit
25 000 personnes vivent en pension de famille en France. Contrairement à ce que leur nom peut laisser penser, il s’agit de logements individuels, répartis dans une résidence à la dynamique collective. Dédiés aux personnes ayant connu des parcours de rupture, ils sont au cœur de la lutte contre le sans-abrisme, mais loin de couvrir l’ensemble des besoins. Reportage près de Marseille, dans l’un des mille et quelques établissements que compte l’Hexagone.
C’est un bâtiment de deux étages, encore flambant neuf un an après la remise de ses 25 clés. Comme autant d’heureux locataires qui ont emménagé le 1erjuillet 2024 au sein de la pension de famille Roumanille. Située à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), c’est la cinquième structure de ce type ouverte par le groupe Adoma en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (lire bonus). Destinée à des personnes seules, en situation de grande précarité et/ou d’isolement, cette pension de famille a pour but de les aider à rebondir.
« Chacune dispose d’un logement individuel, sans limite de durée », indique Samir Dhina, directeur territorial de la zone Est Provence de l’opérateur. À savoir un studio de 20 m², meublé et équipé. « Le projet reste néanmoins collectif. Le but est de créer du lien entre les résidents, pour qu’ils partagent des moments ensemble, car la convivialité fait du bien et permet de se reconstruire ».
<!–more–>
Esprit de famille

Pour donner vie à cette atmosphère familiale, deux « hôtes » sont sur place six jours sur sept : une responsable de la pension et une agente d’accueil et d’animation. Leur présence garantit aux locataires un soutien dans leurs démarches individuelles et l’organisation de la vie collective. « On exerce une veille sanitaire et sociale, en lien avec des professionnels de santé, pour coordonner les soins nécessaires. Et on fait appel à des intervenants extérieurs pour assurer une partie des activités, centrées sur le bien-être », explique Maria El Kouh, la chargée des lieux. Chaque résident peut soumettre ses idées d’animation à l’occasion du « conseil de maison », moment d’écoute et d’échange entre tous.
Des espaces de vie communs ont en outre été prévus. Notamment une salle polyvalente, où se prend un petit-déjeuner en groupe tous les vendredis matin. « C’est un rituel », glisse Mireille Barba, la chargée d’accueil. Au moins un repas par mois est également programmé, où chacun met la main à la pâte, en cuisine ou en salle. Le jardin figure aussi parmi les lieux de vivre ensemble. Ici se tiennent nombre de parties de pétanque enflammées, La Ciotat étant le berceau de cette discipline. « C’est une activité qui fédère et crée beaucoup de convivialité », ajoute Maria El Kouh.
♦ Lire aussi l’article « Locations solidaires pour loger des sans-papiers »
Clé en main

Chaque locataire est soumis à une redevance de 567 euros par mois, éligible à l’APL (aide personnalisée au logement). Un montant qui englobe le loyer, les charges, les prestations et quelques services (les meubles et leur renouvellement, la fourniture et le blanchissage des draps…). « Tout est compris pour que les personnes aient le moins d’obstacles », souligne Samir Dhina.
Des conditions d’accueil que savoure Medhi depuis un mois. Ce quadra a traversé sept années de galère suite à un divorce qui lui a fait perdre pied. Disposer d’un toit au-dessus de sa tête était presque devenu un rêve. « J’avais déposé des demandes de logement dans le parc privé, mais en vain », confie-t-il. Désormais heureux locataire d’un studio, il compte profiter de cette récente stabilité pour ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. « J’ai été super bien accueilli par l’équipe et intégré par les voisins. Je vais maintenant pouvoir soigner mes problèmes de santé pour avancer », indique-t-il dans un sourire qui ne le quitte plus.
Peu de turn-over

Les trois quarts des locataires ciotadens ont dépassé la cinquantaine. C’est notamment le cas de Guy, qui en a même vingt ans de plus. Retraité avec de faibles ressources, il travaillait comme gardien et jardinier jusqu’à ce qu’une opération à la hanche l’empêche de poursuivre. « J’étais plus bon à rien », souffle-t-il.
Obtenir un logement au sein de la pension de famille Roumanille a été une bouée de sauvetage. Du haut de ses 72 printemps, il ne se voit pas en partir. C’est souvent le cas des résidents seniors, tous établissements confondus. Si bien que des logements ne se libèrent que rarement, entre un et deux par an. Et ne restent pas vacants très longtemps tant la demande est forte. L’objectif d’Adoma est d’étoffer son parc actuel de 70 structures pour atteindre les 100 à horizon 2030. Cinq vont d’ailleurs ouvrir cette année. « Leur création se fait en concertation avec les acteurs sociaux et les collectivités locales », souligne Samir Dhina. Un travail de concert indispensable pour une bonne intégration dans la société.
♦ Lire aussi l’article « Entourage crée un réseau social pour les personnes précaires »
De nouvelles places à venir

Cette dynamique d’ouverture est encouragée par l’État, qui a fait des pensions de famille une priorité de son plan « Logement d’abord », destiné à réduire le sans-abrisme. 7 200 nouvelles places ont ainsi été créées dans l’Hexagone entre 2018 et 2022, lors de la première mouture de ce programme. Soit une hausse de +48% du parc existant, portant l’ensemble à 22 700 places réparties dans 1 000 structures. Un coup d’accélérateur salué par le responsable d’Adoma. « La demande en logement adapté est forte et la précarité de plus en plus prégnante. Les personnes n’auraient pas où aller sans ces hébergements », appuie-t-il.
10 000 places supplémentaires doivent encore voir le jour d’ici 2027, dans le cadre du second volet du plan. Le gouvernement y a également inclus le développement d’autres dispositifs comme l’intermédiation locative, qui repose sur la location de logements dans le parc privé à des associations qui les sous-louent temporairement à des ménages en difficulté. Reste que ces bonnes intentions sont loin de couvrir l’intégralité des (immenses) besoins : 350 000 personnes n’ont pas de domicile en France, selon le dernier rapport annuel de la Fondation pour le Logement des Défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre). ♦
Bonus
# Les premières pensions de famille – Elles sont nées d’un programme expérimental lancé en 1997 sur la base d’un appel à projets des ministères du Logement et de l’Action sociale de l’époque. Elles ont ensuite été officialisées par la circulaire du 10 décembre 2002, sous la dénomination « maisons relais ». Avant que la loi du 25 mars 2009 ne consacre le terme actuel.
# Pension de famille et résidence sociale, quelles différences ? La pension de famille est une forme de résidence sociale, avec ses particularités propres. Parmi les grandes distinctions : la pension de famille est une solution de logement, qui peut être définitif si le locataire le souhaite. La résidence sociale est, elle, une solution d’hébergement : il n’est pas possible d’y rester indéfiniment. L’accompagnement en pension de famille est en outre plus complet et poussé.
# Le groupe Adoma – Filiale du groupe CDC Habitat, il se revendique comme le premier opérateur national en matière de logement accompagné et le premier acteur de l’hébergement et de l’accompagnement des demandeurs d’asile. Le groupe propose 80 000 solutions de logement partout en France, dont 1 600 places en pensions de famille.