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Dans le quartier des Aygalades, un tiers-lieu multi-facettes
Lorsque La Poste a quitté le quartier des Aygalades en 2018, elle a laissé un vide. Rendant plus pénible le quotidien des habitants. Mais ceux-ci se sont mobilisés. De sorte qu’un nouveau tiers-lieu y a pris racine. Un tiers-lieu mêlant services postaux et numériques. Porté et soutenu par une cohorte d’acteurs. Tous coordonnés par l’incubateur expert de l’économie sociale et solidaire, Inter-made.
Un mercredi après-midi comme un autre au quartier des Aygalades, dans le 15e arr de Marseille. Dans la cour arborée en bas des immeubles, ses enfants chahutent à trottinette. D’autres s’attardent autour des jeux en bois construits par le luthier du coin. Ou rejoignent les locaux des associations sur place. Parmi eux, l’un semble à l’abandon. Plus d’enseigne. Mais un panneau jaune indiquant la présence de services postaux.
Passée la porte, après un hall d’accueil modestement décoré, dans une grande salle vitrée quatre préados s’adonnent à une partie mouvementée de Mario Kart. « Ah cheh ! Je suis deuxième ! », lance l’un des jeunes.
Sur la fenêtre, sont scotchées des affiches au format A4. « Maroc », « Algérie », « Tunisie », peut-on lire en grandes lettres majuscules. Avec drapeaux et dessins en prime. « Tous les mois, on organise des goûters sur le thème des pays d’origine des personnes qui viennent ici », explique Martine Malhomme, fondatrice d’Arborescence.
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200 m² de vie en plus pour le quartier des Aygalades
Cette association d’inclusion numérique a coporté le projet d’occupation de cet espace de 200 m², mêlant relais postal et tiers-lieu numérique. « La semaine prochaine, c’est les Comores », prévient l’un des jeunes concentré sur la course de Mario Kart. « Naïm, tu vas être obligé de nous ramener les samoussas ! » « Ma mère m’a dit qu’elle allait ramener deux sortes de gâteaux, mais je ne sais pas lesquels. Salés sûrement ! », répond l’intéressé avant de remporter la course. « Je gagne chaque fois », glisse-t-il avec une moue de fierté.
Tout près, d’autres sont concentrés sur des PC. « J’aime bien venir ici pour les jeux. Et les gens sont sympas. Là, je joue à Rockblock. Le but, c’est de s’enfuir de prison », explique Mouradh, 12 ans. C’est par hasard qu’il a découvert ce lieu, il y a un an. « Je faisais du vélo et un collègue m’a dit : viens on va jouer aux jeux. Alors je suis venu ici ».
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Un quartier familial
Centre social, CIQ, luthier investi auprès des petits, Adapp 13 et ses actions sportives, Action Bomayé pour la culture… Et, depuis deux ans, ce tiers-lieu. « La vie associative est très riche ici », confirme Jeanne Pilar, habitante du quartier depuis toujours qui gère désormais le relais postal. Peut-être parce que les Aygalades demeurent « un quartier tranquille. Très familial. On est à l’abri des trafics de drogue. Et quand ils essaient de s’installer, les habitants ne se laissent pas faire ». Mais cela ne le protège pas pour autant du déclin des services publics. Car avant d’être ce qu’il est aujourd’hui, ce lieu a été une Poste. Qui a laissé un vide au moment de son départ, en 2018.
En cause : une sordide histoire de prise d’otage. Droit de retrait des salariés. Puis plus rien. De telle sorte qu’en 2020, les habitants sonnent l’alarme. « Ici, il n’y a qu’une adresse pour toute la résidence qui compte près de 2000 habitants. Les colis ne sont donc pas livrés à domicile. Il faut les récupérer à La Poste, explique Martine Malhomme. Quand La Poste est partie, il fallait aller à celle de Saint-Louis ». 40 minutes à pied. 30 en bus. Des files d’attente pas possibles. «C’était très compliqué pour les personnes âgées ».
Un consortium d’acteurs …
C’est alors qu’un consortium se forme. Mêlant habitants, associations, bailleurs sociaux, collectivités, financeurs.
Le tout orchestré par l’incubateur Inter-Made dans le cadre de La Fabrique d’initiatives (bonus). La Poste va financer les travaux et l’étude de faisabilité. Puis mettre gratuitement les locaux -dont elle demeure locataire- à disposition de l’association Arborescence, incorporée depuis à une autre association dénommée Icom’Provence (bonus).
… et de services
Désormais, le lieu a permis de remettre les services postaux au cœur du quartier. Mais aussi de donner accès à des ordinateurs, photocopieuses et autres jeux vidéo. Le tout combiné à une médiation numérique qu’assurent les deux conseillers dédiés. Parmi eux, Loni.
« On propose des cours collectifs et un accompagnement plus personnalisé. Le mercredi est consacré aux loisirs. Les jeunes aiment aussi beaucoup jouer avec les robots, ça leur apprend le codage », explique-t-il. « Par contre, passés 13 ans, il est très difficile de faire venir les ados ici. On les retrouve après 16 ou 17 ans, pour les CV et lettres de motivation ». Il s’agit de lutter contre l’exclusion numérique, alors que l’essentiel des démarches administratives est désormais dématérialisé. Et que tout le monde n’a pas un ordinateur à portée de main.
Un fablab consacré aux aides techniques
On le suit vers le fond du local. Après avoir parcouru un long couloir, on débouche sur une salle surprenante. Sur les tables : des machines à impression 3D. Nous voici au cœur du RehabLab. Un lieu unique à l’échelle du département.
« Ici, on fabrique des aides techniques pour des personnes suivies par un ergothérapeute », explique Guillaume Madiona, directeur d’Icom Provence. Un accessoire pour fixer un pot de yaourt et en retirer plus facilement l’opercule par exemple. « Grâce à l’impression 3D, on peut personnaliser ce type d’objets ». « On peut aussi modeler un support à fixer sur un four pour le rendre accessible en braille », complète Camélia, conseillère numérique. Et le lieu, qui permet de faire découvrir ces technologies aux familles du quartier, peut aussi être employé à des fins ludiques. Pour la confection de petites figurines par exemple. « Les enfants aiment bien faire les personnages de Fortnite ».
« Grâce à ce RehabLab, on fait venir des ergothérapeuthes aux Aygalades qui sont un désert médical », souligne Guillaume Madiona. Il envisage donc de renforcer les passerelles entre numérique et santé. Qu’il s’agisse de démarches en lien avec l’Assurance maladie ou même de détection de troubles dys. « Les jeux peuvent permettre de détecter cela ». ♦
Bonus
# Arborescence – Créée aux débuts d’internet en 1999 par Martine Malhomme, cette association a été pensée pour lutter contre la fracture numérique. Elle gère des lieux de médiation numérique dans plusieurs quartiers marseillais, dont les Aygalades. Elle a été absorbée par Icom’Provence. Plus d’infos : arborescence.net/presentation
# Icom’Provence – Icom’Provence se présente comme un centre ressource Handicap et Numérique. Parmi ses actions : éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale pour les personnes en situation de handicap. Impression d’aides techniques. Ou encore ateliers mémoires sur ordinateur. On retrouve toutes les informations sur son site. De même qu’un Mooc sur l’accompagnement des usagers en situation de handicap vers leur autonomie numérique. icomprovence.net
# La Fabrique d’initiatives – Si elle est portée à l’échelle locale par l’incubateur Inter-Made, La Fabrique d’initiatives se déploie depuis plus de dix ans partout en France. Elle apporte son expertise en construction d’innovations sociales grâce à des partenariats structurants avec les collectivités, les acteurs institutionnels, les entreprises et les réseaux associatifs. Plus d’informations : fabriqueainitiatives.org




