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Des trains nocturnes pour les festivaliers d’Avignon
Les déplacements des festivaliers sont la première source de pollution des événements culturels. Jusqu’à 80% de l’empreinte carbone d’un festival, si on y ajoute ceux des équipes. Le COFEES, Collectif des Festivals Éco-responsables et Solidaires le sait bien. Il a publié en mars dernier un guide pratique sur la mobilité durable du public. Le fruit de deux ans de concertation et du retour d’expérience d’Avignon Mobilité Durable. Lancé l’été dernier avec la Région Sud, ce projet novateur s’appuie grandement sur la mise en place d’une offre ferroviaire locale adaptée.

Complexité de la chaîne de décisions, financement, problématiques techniques, difficultés de calibrage de l’offre… Mettre en place des solutions de mobilité durable pour les festivaliers est complexe. Pour lever les freins rencontrés par les acteurs culturels, le COFEES, Collectif des Festivals Éco-responsables et Solidaires (voir bonus), a accompagné l’expérimentation Avignon Mobilité Durable avec la Région Sud l’été dernier. Et en a tiré un guide pratique. Entretien avec Céline Guingand, responsable RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) du COFEES et chargée du projet.
Comment est né Avignon Mobilité Durable ?
Le COFEES travaille depuis des années sur les déplacements du public et c’est toujours ce qui arrive en premier dans les bilans carbone des festivals.
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On avait déjà approché les autorités de transport (NDLR : c’est la région qui a la compétence du transport ferroviaire), mais elles n’investissaient que dans les trajets quotidiens. On a alors fait un travail documenté pour montrer cet enjeu. David Irle, éco-conseiller expert des enjeux de décarbonation de la culture, a établi un diagnostic à notre demande. Il est apparu que 70% des festivaliers se déplacent en voiture individuelle. On a donc plaidé pour l’expérimentation de transports collectifs, notamment un train, en soirée.
Et on a imaginé cette expérimentation sur le territoire d’Avignon. Avec la Région, qui finance et met tout en place. Nous, on est là pour faciliter, bien cranter l’offre, expliquer les contraintes du secteur culturel.
Pourquoi avoir choisi Avignon ?
Avignon, c’est trois festivals bien engagés sur la mobilité des publics (NDLR : Festival d’Avignon, Festival Off Avignon et Résonance). Et une situation géographique favorable, avec un nœud ferroviaire plutôt bien fait. Contrairement à Aix-en-Provence par exemple.
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Comment l’offre ferroviaire spécifique a-t-elle été conçue ?
David Irle a dressé un état des lieux précis des pratiques à partir duquel il a fait des préconisations. On a ainsi appris que la plupart du public du In vient en train de Paris et est hébergée sur Avignon. Elle n’a pas de problématique de transport après les spectacles. Pour le Off en revanche, le public est beaucoup plus local, avec un taux de remplissage qui peut progresser et des jauges importantes en additionné. On a donc logiquement travaillé avec la Région pour améliorer la desserte par rail et en bus en soirée durant le festival Off.

La Région était favorable à l’expérimentation du train et l’étude préalable faisait apparaître un intérêt pour la tranche horaire 22h-23h30 et un intérêt encore plus grand entre 23h30 et 1h. La Région a d’abord envisagé un départ d’Avignon à 22h30, mais c’était trop tôt. La plupart des spectacles terminent plus tard. C’est finalement 23h30 qui a été retenu. La prochaine étape sera l’ajout d’un train vers 1h, mais c’est une autre démarche, beaucoup plus lourde. C’est plus compliqué de mettre en place des équipes et ça demande une grande agilité au niveau du matériel. Des trains de fret circulent la nuit, des travaux sont réalisés.
Trois TER desservent une quinzaine de communes. Ils relient Avignon à Orange, Cavaillon et Arles. Un bus va jusqu’à Carpentras, pour des questions techniques. C’est moins rapide, moins confortable et moins attractif mais c’est du transport collectif, ce qui est déjà positif. Ces liaisons favorisent aussi la circulation entre festivals puisqu’Orange (où se déroulent les Chorégies) et Arles (Rencontres de la Photographie) sont connectées à Avignon par le TER.
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Ces trains ont-ils été fréquentés ?
La fréquentation a été très modeste, on a compté 30 personnes par rame en moyenne. Jusqu’à 50 autour du 14 juillet. Mais il y a eu peu de communication sur cette nouvelle offre. Le dispositif n’était pas repéré. Un gros effort est fait cette année pour la faire connaître et que les trains soient davantage remplis.
Elle a donc été renouvelée…
Oui. La Région savait que la manne de festivaliers ne suffirait pas à remplir les trains. D’autant plus que la communication n’a pas été optimale. C’est très long de créer une habitude. Mais selon David Irle, très prometteur. L’enquête réalisée par l’Université d’Avignon (voir bonus) pour fournir un retour d’expérience à la Région va dans ce sens.
On va par ailleurs cibler les compagnies du Off, notamment pour élargir les usagers aux régisseurs et techniciens. Et l’offre peut également permettre à certaines personnes de se loger dans les environs plutôt qu’à Avignon qui est totalement saturée.
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Il n’y a pas intérêt à mettre en place un train vers Marseille ?
Ça a été envisagé mais Avignon-Marseille, c’est une heure de trajet en TER. Ce qui signifie que les usagers n’auraient plus de transports en commun en arrivant.
Envisagez-vous une offre couplée festival/train ?
C’est un levier super puissant mais un festival ne peut pas vendre de billets de train. Seule une agence de voyage peut le faire et ce serait trop compliqué. Cela dit, des réductions peuvent être mises en place. La question tarifaire se pose d’ailleurs aussi pour les familles, mais il n’y aura pas de nouveau tarif cette année.
Le guide réalisé à partir de cette expérimentation a vocation à offrir une méthodologie et des solutions concrètes à d’autres organisateurs de festivals. Dans quelle mesure Avignon Mobilité Durable est-il transposable ?
La méthodologie est totalement transposable. Mais la mise en place, pas forcément. On ne peut pas s’appuyer sur le train partout. En revanche, on peut organiser plein de trajets en bus. Cela dépend surtout de la dynamique locale, des orientations politiques. L’Occitanie met l’accent sur les transports quotidiens. On ne peut donc pas transposer l’offre dans le Gard, d’où viennent beaucoup de festivaliers. Les Rencontres d’Arles ou le festival Les Suds (toujours à Arles) seraient pourtant particulièrement intéressés. ♦
# Le guide a été largement diffusé aux organisateurs d’événements culturels mais il reste disponible sur le site du COFEES. Les études et enquêtes sont également consultables.
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Bonus

# Le COFEES – Créé en 2014, le collectif COFEES rassemble 44 structures culturelles parmi les plus emblématiques de la région Sud. Il propose des actions innovantes et concrètes en matière environnementale et sociétale, en adaptant les principes de la Responsabilité Sociétale des Entreprises et des Organisations à leurs activités. Pour ce faire, il s’appuie sur quatre grands principes : la transmission et le partage d’expérience, la mutualisation des moyens et ressources, la transversalité et la collaboration avec les acteurs territoriaux, la prise en compte des spécificités et politiques locales. Il accompagne aussi bien ses festivals membres que des collectivités et collabore avec des réseaux nationaux et institutions publiques.
# Avignon Mobilité Durable – Après une étude préalable des pratiques, la Région Sud a mis en place des TER nocturnes quotidiens du 29 juin au 21 juillet 2024, dans le cadre des festivals d’Avignon. L’aboutissement d’un travail initié en 2019 par le COFEES et un petit groupe de festivals pilotes (Festival d’Avignon, Festival Off Avignon et Résonance) pour tester de nouvelles solutions de mobilité durable. Ce projet bénéficie du soutien stratégique et opérationnel de la Région Sud, du financement de la DRAC PACA et de la MAIF, ainsi que de l’accompagnement d’Agnès Gerbe et de David Irle, éco-conseillers experts des enjeux de décarbonation de la culture. Il est reconduit cet été.
# L’enquête sur l’expérimentation – Une grande enquête a été confiée à l’Université d’Avignon, qui avait déjà travaillé sur le Off. « Elle a permis d’analyser les freins et leviers à l’adoption de ces nouveaux services de transport, tout en apportant un nouvel éclairage sur le profil sociodémographique des festivaliers, leurs habitudes de déplacement et leurs pratiques festivalières », résume le COFEES. Elle a débouché sur des recommandations pour améliorer le dispositif.