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Lodève mise sur la filière du réemploi pour le retour à l’emploi
La sous-préfecture de l’Hérault a été la première commune d’Occitanie à expérimenter le dispositif ‘’territoires zéro chômeur longue durée’’. En trois ans, grâce à l’Abeille Verte, entreprise à but d’emploi spécialisée dans les métiers du réemploi, quelque 170 personnes ont déjà retrouvé du travail.
C’était le 28 décembre 2021. À 18h17. Pierrette Dô s’en souvient comme si c’était hier. Il faut dire que c’est elle qui a appuyé sur le bouton d’envoi. Et en mois d’une seconde, le dossier dématérialisé a été expédié. Il a demandé un an et demi de travail avec l’espoir d’obtenir l’habilitation qui allait permettre à la ville de Lodève de faire partie de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD).
La sous-préfecture de l’Hérault s’est portée volontaire pour rentrer dans ce dispositif de retour à l’emploi de personnes qui en sont éloignées grâce au développement d’une filière du réemploi. L’initiative a été portée par un mouvement citoyen, puis soumise à la municipalité, laquelle l’a validée. Plus de trois années d’échanges, de réflexions et de consensus ont été nécessaires en amont pour élaborer un projet de transition écologique qui tienne la route. <!–more–>
« Tout est parti des Matinales de l’Économie sociale et solidaire à Montpellier. Parmi les intervenants se trouvaient des représentants du TZCLD de Jouques », confie Pierrette Dô, investie dans le projet depuis 2019. L’expérience positive de la commune des Bouches-du-Rhône fait mouche. L’objectif de démontrer que l’exclusion sociale due à la privation d’emploi n’est pas inéluctable, et qu’il est possible de mobiliser l’ensemble des acteurs dans une dynamique de coopération au service de l’emploi, séduit les Lodévois présents.
♦ Relire l’article : « Les territoires zéro chômeur de longue durée montrent qu’on peut changer l’ordre des choses »
Un dispositif de retour à l’emploi non concurrentiel expérimenté sur cinq ans

Le concept TZCLD vient de loin. Son fondateur, l’entrepreneur angevin Patrick Valentin, a mis plusieurs décennies pour faire accepter sa pertinence. Ce dernier avait réalisé une étude sur la privation d’emploi et son coût pour la collectivité. Il a été établi que devaient être déboursés annuellement plus de 18 000 euros par personne. « L’objectif est que ces dépenses passives deviennent actives en les fléchant sur toute personne éloignée de l’emploi, volontaire pour être salariée dans une Entreprise à but d’emploi (EBE), bras armé du dispositif », résume Pierrette Dô.
Cette idée que certains qualifient de « géniale », d’autres d’« utopiste », a fini par être examinée par l’Assemblée nationale. Puis est devenue une loi, votée à l’unanimité des députés le 29 février 2016. Dès 2017, dix territoires ont pu expérimenter le dispositif sur cinq ans. Chacun ayant un passif de revers économiques avec un fort taux de chômage, dont de longue durée, difficilement enrayable.
C’est le cas de Lodève, ancien évêché, berceau du cardinal de Fleury dont le musée de la ville porte le nom. La cité héraultaise était la capitale du textile, spécialisée dans la laine et le drap militaire jusqu’au XIXe siècle. Une manufacture royale, fondée par Louis XV, fournissait l’armée en uniformes. Subsistent toujours les ateliers de la Savonnerie, unique annexe de la Manufacture nationale des Gobelins de Paris, où sont tissés à la main les tapis réservés aux ambassades, monuments nationaux et Palais de l’Élysée.
L’engagement d’amener 250 personnes privées d’emploi vers une activité

La fermeture des industries textiles dans les années 60, et celle d’une mine d’uranium à l’aube des années 2000, ont entraîné le déclin durable de la commune située entre Montpellier et Millau, capitale du sud Aveyron. Sans pour autant l’endormir à jamais. Car elle n’a eu de cesse de construire, avec plus ou moins de réussites, son renouveau économique. Et donc, elle est, depuis 2022, la première ville d’Occitanie à expérimenter le dispositif TZCLD.
Après l’envoi du dossier de candidature à l’habilitation, tout n’a cependant pas été simple. En effet, il a fallu retravailler certains points afin de bénéficier du fond d’expérimentation pour enclencher les activités d’embauche. L’Entreprise à but d’emploi, baptisée l’Abeille Verte, a ainsi pu être lancée en septembre 2022. Avec l’engagement de faciliter le retour à l’emploi de 250 personnes. Puis d’autres entités sont venues articuler le mécanisme, telle que l’Association TZCLD Lodève qui pilote le projet sur le terrain.
« Au début, c’est allé vite. Nous avons cédéisé 15 personnes par semaine. À ce jour, nous comptons 171 salariés », indique Pierrette Dô. 430 personnes en attente d’emploi sont inscrites dans la file de mobilisation. Elles ne sont toutefois pas délaissées pour autant, car elles peuvent bénéficier de suivi, de conseils et d’orientation vers des secteurs qui recrutent. « Nous sommes à notre troisième année d’activité. L’embauche est un peu sur pause pour le moment car nous devons veiller à notre bon équilibre économique ».
Recyclage, production alimentaire et service à la personne sont au menu
Quatre pôles, répartis sur quatorze sites, se sont constitués au sein de l’Abeille Verte. Le pôle support fait figure de siège avec entre autres les services administratif, financier, de maintenance… Le pôle Recyclage et réemploi œuvre à la réduction des déchets en réceptionnant ou récupérant les dons, assurant leurs nettoyage, réparation et revalorisation. « Il comprend plusieurs structures, où travaillent 57 salariés, dont la recyclerie Le Recyclage lodévois, un atelier textile nommé Rembobinez, une friperie, un atelier de réparation du petit électroménager, un atelier menuiserie, la plateforme Recycl’aides 34 de réemploi du matériel médical… », renseigne Karine Dalègre, directrice de ce pôle.

Le pôle de Production alimentaire cultive fruits et légumes grâce au maraîchage bio intensif, sur 1,5 hectare de terres. Il s’est monté pour répondre à la demande des collectivités (gendarmerie, hôpital, Ehpad…) qui ne parvenaient pas à se fournir en quantité et en circuit court. Ce pôle alimente également les épiceries solidaires pour compléter le panier des bénéficiaires. On y trouve une conserverie qui transforme les invendus et prépare des paniers-repas pour les salariés du TZCLD. Il est d’ailleurs en projet de l’ouvrir à tous les salariés d’entreprises locales qui en font la demande.

Enfin, le pôle Services de proximité propose aux Lodévois une conciergerie pour les petits travaux et aides (changement d’ampoule, montage de meubles…). Avec des tarifs variant en fonction des revenus. Il assure un atelier d’accompagnement personnalisé vers l’autonomie numérique ainsi qu’un service de transport écoresponsable intra-muros (vélos, golfettes…) qui sensibilise le public sur les déplacements doux. Une Compos’tri citoyenne gère les composteurs de la ville. Elle fabrique et installe de nouveaux bacs à la demande sur la Communauté de communes Lodévois, tout en accompagnant aux bons gestes de la collecte.
Une expérience économique solidaire et avant tout humaine

Embaucher des personnes privées d’emploi pendant un temps long sur des activités nouvelles ou complémentaires, non concurrentielles avec les secteurs économiques existants du territoire, était une sacrée gageure. « C’est aussi un pari un peu risqué de réussir à trouver un équilibre économique », reconnaît Karine Dalègre, la directrice du pôle Recyclage et réemploi. Mais c’est sans conteste une expérience humaine. « On intègre des personnes d’origines et d’horizons divers sur du long terme. Car l’avantage de cette expérimentation, c’est le temps dont on dispose. Il en faut pour que les gens puissent trouver leurs marques. Pour que ça se passe bien ».
Cette dernière estime que l’atout du TZCLD lodévois est sa multitude d’activités, d’opportunités de se former. Cela permet d’offrir aux salariés la perspective de découvrir d’autres secteurs, de tester différentes possibilités et de trouver ce qui peut convenir au mieux à leur épanouissement. « Le volume de travail est à la discrétion des employés. De plus, on tient compte des caractéristiques individuelles pour élaborer les plannings ».
La stabilité d’un CDI, après des années de galères, est plus que bienvenue. Elle permet d’engager d’autres projets : mieux se loger, mieux manger, reprendre confiance en soi… « C’est touchant de voir certaines personnes évoluer, s’équilibrer en tant qu’individu et dans le collectif », observe Karine Dalègre. L’idée n’est pas seulement de redonner un emploi, mais aussi de transmettre des valeurs comme celles du respect d’autrui et de la planète. En juillet 2026, l’expérimentation touchera à sa fin. Une loi de programmation permettra de décider de la suite à donner. Le nerf de la guerre reste les financements. ♦

Bonus
# Les territoires zéro chômeur longue durée à la loupe
Le préambule de la Constitution française de 1946 stipule que « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». C’est à partir de là que Patrick Valentin, entrepreneur à l’origine de plus d’une quinzaine d’entreprises sociales et solidaires, a imaginé l’association des Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD).
L’initiative a été portée par ATD Quart Monde, avec le concours du Secours catholique, d’Emmaüs France, du Pacte civique et de la Fédération des acteurs de la solidarité. L’objectif était de lancer des projets d’activités pour le retour à l’emploi de chômeurs longue durée. Sur des territoires fragilisés et sans que cela ait un coût trop lourd pour les collectivités concernées. La notion de « territoire » se définit ici comme un espace géographique continu sur lequel un comité local pour l’emploi (CLE) pilote le projet d’expérimentation.
Les emplois sont créés grâce à des Entreprises à but d’Emploi (EBE). Elles embauchent, sur la base du volontariat, des chômeurs de longue durée en CDI, au SMIC et à temps choisi, afin de réaliser des travaux utiles localement et non concurrentiels avec l’existant. Les personnes privées d’emploi et les acteurs volontaires du territoire (entreprises, associations…) décident collectivement des activités proposées. Depuis avril 2025, 92 territoires tricolores sont habilités TZCLD. En mai 2025, on comptait 4 012 embauches dans les 92 EBE lancées.