Alimentation
Le fabuleux destin des fruits et légumes moches
Chaque année, en France, 10 millions de tonnes d’aliments sont jetées. Une partie des fruits et légumes n’atteint jamais les étals, écartés à cause d’un défaut esthétique. Face à ce gaspillage invisible, l’entreprise PimpUp les récupère pour les vendre sous forme de paniers hebdomadaires, à Marseille et dans six autres villes.
Au centre de préparation marseillais de PimpUp, dans le 14e arrondissement, les cagettes s’empilent, pleines de tomates trop mûres, de concombres biscornus et d’oranges piquées. Les fruits et légumes y sont triés et pesés avant d’être répartis dans des sacs kraft. Ils ne sont pas de moins bonne qualité, “c’est simplement leur apparence qui ne correspond pas aux standards de la grande distribution, explique Lola Gaudron, responsable marketing. Mais cela ne change absolument pas l’aspect nutritionnel et le bon goût des produits.” Les paniers sont préparés puis livrés le lendemain aux quatre coins de la ville à vélo cargo ou en camion électrique.
Chaque semaine, les 2 000 clients reçoivent un assortiment de fruits et légumes français et de saison, pas forcément issus de l’agriculture biologique, parfois complétés par des œufs ou l’un des 30 produits d’épicerie qu’il est possible d’ajouter. “En ce moment les premières fraises vont être intégrées à certains paniers [NDLR – le reportage a été fait au printemps], et pour les clients qui en voudraient toutes les semaines, ils peuvent les ajouter en supplément.”
PimpUp propose sept formats de paniers, dont le prix varie entre 8,90 euros et 23,50 euros. Les abonnés profitent de prix réduits et participent à la diminution du gaspillage alimentaire. Depuis février 2022, 500 tonnes de nourriture ont déjà été sauvées grâce aux paniers. Les fondatrices ne comptent pas s’arrêter là : à terme, elles ambitionnent d’atteindre le million de tonnes. D’ici la fin de l’année, elles prévoient aussi d’élargir leur offre avec 500 références de produits d’épicerie, afin de “permettre à nos clients de faire toutes leurs courses en anti-gaspi.”
Une entreprise née dans un salon
L’idée de PimpUp naît en 2020, dans un appartement rebaptisé la “Pimp House”, où Manon Pagnucco et Anaïs Lacombe préparent leurs premiers paniers à la main. Inspirées par un service similaire découvert aux États-Unis lors d’un stage, inscrites en école d’ingénieur, ces étudiantes commencent à distribuer leurs paniers sans même disposer d’un site internet. Elles mettent alors en place leurs premiers points relais, chez des commerçants partenaires. Aujourd’hui, l’entreprise livre dans 250 points relais répartis dans sept villes du sud de la France.
L’idée est de proposer un point de retrait sur les trajets quotidiens des clients, pour leur faire gagner du temps : boulangers, fleuristes, cavistes, et même entreprises peuvent devenir relais. Certains salariés sont ainsi livrés directement sur leur lieu de travail. Mais avant de convaincre des entreprises et des commerçants, il a d’abord fallu gagner la confiance des producteurs.

Prise de conscience progressive
Lorsque PimpUp s’est lancé, la question du gaspillage alimentaire était encore minimisée, voire niée, notamment du côté des producteurs. “Quand on les appelait, beaucoup nous disaient qu’il n’y avait pas de gaspillage”, se souvient Lola. “En creusant, on découvrait que si. Simplement à l’époque, c’était tabou.” Pour les agriculteurs, reconnaître que des produits finissaient aux ordures n’avait rien de valorisant. “Dire ‘ça, personne n’en veut, donc ça part à la poubelle’, ce n’est pas facile”, relève-t-elle.
Quatre ans plus tard, les choses ont changé. “Désormais, ce sont même des producteurs qui nous contactent.” Mais si le message passe de mieux en mieux côté agricole, ce sont les consommateurs qui seraient moins réceptifs, selon Lola. “Il y a encore beaucoup d’idées reçues sur l’anti-gaspi. Certains pensent que ce n’est pas bon, pas frais, voire dangereux pour la santé.”
“On diversifie nos revenus”
Les producteurs eux, apprécient désormais l’initiative. PimpUp offre à ses 250 partenaires une alternative complémentaire, loin de vouloir se substituer aux circuits de grande distribution. Les produits conventionnels arrivent en supermarché, mais ceux à l’apparence atypique ne peuvent pas s’y vendre. “Intermarché a essayé, avec sa campagne de 2014 pour les fruits et légumes moches, mais naturellement, quand l’être humain se retrouve devant de beaux produits, il les choisit”, constate Lola. Mais il n’existe pas de production parfaite.
“C’est environ 5% de notre volume de vente”, confie Tom Guyot, de la coopérative provençale Les petits producteurs réunis. Un modeste pourcentage, mais chaque débouché compte. “Quand nos récoltes ne répondent pas aux exigences du marché, c’est une perte sur notre chiffre d’affaires. Grâce à cette valorisation, on amortit aussi nos coûts fixes.”
Redonner de la valeur au travail agricole
Même constat en Corse, où PimpUp collabore depuis plus d’un an avec les Jardins de La Testa, à Porto-Vecchio. Sur cette exploitation spécialisée en agrumes bio, 70% de la production est composée de clémentines et soumise à des critères stricts pour obtenir l’indication géographique protégée (IGP). “Ce qu’on ne peut pas vendre ailleurs, PimpUp nous le prend”, explique Guillaume, directeur commercial. L’intérêt est autant moral qu’économique : “Avant, on ramassait des kilos qui finissaient à la poubelle. Maintenant, ils sont consommés.”
Et cette revalorisation n’est pas symbolique. “Aujourd’hui, 47 % du prix du panier revient au producteur”, souligne Lola. Une précision importante : contrairement à certaines idées reçues, l’entreprise ne récupère pas gratuitement ces invendus. “Les producteurs ne vont pas faire des heures de travail où ils les ramassent et les nettoient bénévolement.” Depuis 2021, plus de 600 000 euros leur ont été reversés.
En France, plusieurs lois encadrent le gaspillage alimentaire. La loi Garot (2016) interdit notamment aux grandes surfaces de jeter des denrées encore consommables et les oblige à conclure des partenariats avec des associations. Depuis 2020, la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) fixe un objectif de réduction de 50% du gaspillage alimentaire d’ici 2025 dans la restauration collective. ♦