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Les haies, précieux patrimoine paysager
La Ferme des 7 Chemins en Loire-Atlantique a replanté des haies bocagères sur son exploitation d’élevage avec la collaboration de la Chambre d’agriculture de Pays de la Loire et du WWF. Elle démontre ainsi que la reconquête du bocage est possible, à condition qu’elle soit ancrée localement, soutenue techniquement, et portée par ceux qui vivent la terre. Car les haies ne sont pas seulement un décor, mais un partenaire du développement durable, une ressource, et un héritage vivant.
À Plessé, en Loire-Atlantique, le bocage n’a pas disparu, mais il doit rester sous surveillance. Mathieu Hamon y veille. Il se trouve, avec deux acolytes, à la tête de 90 hectares de prairies bocagères et d’un cheptel d’une cinquantaine de vaches à la Ferme des 7 Chemins. Et prend soin de ce marqueur du territoire. Dans cette ferme en polyculture-élevage, les vaches bretonnes pie noir sont reines. Race locale emblématique, elles produisent un lait entièrement transformé sur place avant d’être vendu en circuit court. Autour des bâtiments modernes, le paysage traditionnel a été en partie préservé. Des petites parcelles, des prairies permanentes, des chemins creux et des haies étêtées dessinent encore un bocage dense, préservé des ravages de l’arrachage massif qui a transformé ailleurs les campagnes en océans linéaires. <!–more–>

« On a hérité ici d’un bocage très vivant car les terres n’ont jamais été faciles à cultiver, entre zones humides, marais et vallons », raconte Mathieu Hamon. « L’agriculture intensive n’était pas envisageable. Alors les haies sont restées. Parfois, elles ont même recolonisé naturellement des zones abandonnées ». Face à l’intensification des sécheresses estivales, ce patrimoine paysager constitue désormais un outil d’adaptation, une condition de survie. « Avec le changement climatique, l’ombre est devenue indispensable au bétail. Quand les chaleurs sont trop fortes, les vaches réduisent leur alimentation, et donc leur production laitière. On choisit systématiquement les champs les plus ombragés pour les sortir ».
Pour la biodiversité et le bien-être animal
En 2023, grâce à l’aide du WWF et à un partenariat avec la Chambre d’agriculture de Pays de Loire, les trois éleveurs de la Ferme des 7 Chemins ont franchi une nouvelle étape. Après avoir repris des parcelles plus dégagées, ils ont planté 800 mètres de haies supplémentaires pour les reconnecter aux bois et bosquets environnants. De quoi reconstituer un maillage cohérent avec le bocage existant et reformer des continuités écologiques. La restructuration de parcelles d’environ 2,5 hectares a permis de créer des brise-vents naturels et des clôtures visuelles. « Ce n’est pas seulement pour faire joli ou pour le confort de travail, mais aussi pour la santé des animaux. Une barrière végétale est plus apaisante qu’un simple fil électrique ».

L’opération a été menée en partenariat avec la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire, avec un appui décisif du WWF. Le technicien agricole local, déjà connu de l’équipe de la ferme, a facilité la constitution du dossier. « Notre objectif est d’adapter notre accompagnement aux réalités des agriculteurs », explique Omar Moudi, chargé de programme agriculture au WWF en 2024. « Nous faisons un diagnostic technique, nous écoutons leurs besoins, nous adaptons les plantations aux contraintes du terrain. Ensuite, nous formons, nous suivons, et nous revenons deux et cinq ans plus tard pour que les haies soient bien établies ». Cette approche sur mesure permet aussi de contourner les rigidités des aides publiques. « Car dans certains dispositifs, si les arbres ne sont pas plantés tous les dix mètres pile, la subvention peut être rejetée. Nous, si c’est à 9,50 mètres à cause de la topographie, on valide. L’important, c’est l’efficacité ».
Les racines de la résilience
Les aides ont financé la quasi-totalité du projet : les plants, leur protection, les conseils de la Chambre, la fourniture du matériel. Sont restés à la charge des exploitants, la préparation du sol, le paillage, la plantation et l’entretien. La ferme a mobilisé une quarantaine de bénévoles – amis, voisins, membres du réseau local, pour préparer le terrain, décompacter les sols, installer le paillage à base de roseaux issus des marais voisins, qui retiennent l’humidité. Une méthode low-tech et locale, adaptée au terroir.

Ont été privilégiées des essences autochtones. D’abord des arbres à haut jet comme les chênes, érables, ormes et merisiers. Ainsi que des arbustes tels les noisetiers, aubépines, troènes, poiriers sauvages. Mais pas de frêne ni de châtaignier, deux espèces touchées par des maladies ou des dépérissements précoces. « On a cherché à se rapprocher de ce qui pousse naturellement, à renforcer un écosystème vivant qui est un refuge pour la faune locale et un atout pour la biodiversité. Et quand l’arbre est bien choisi et planté au bon endroit, il pousse vite ». La ferme peut de surcroît valoriser le bois en chauffage (bûches ou bois déchiqueté pour alimenter la chaudière), en paillage, ou pour fabriquer des piquets de clôture. De quoi renforcer son autonomie.
Entretenir pour transmettre
« L’entretien est la partie la plus exigeante. Donc il faut y être attentif pour maintenir les clôtures dégagées en bordures de champs, couper les repousses, guider les jeunes arbres. Également remplacer ceux qui n’ont pas passé la première année ou qui ont été mangés par les chevreuils, ceux qui meurent comme les saules qui tombent au bout de 20-30 ans ».
Les formations de la Chambre d’agriculture et du WWF permettent de se réapproprier un savoir-faire qui s’est parfois perdu. L’objectif est aussi de transmettre. « Ce que l’on plante aujourd’hui sera un atout pour la reprise de la ferme dans dix ou quinze ans. On plante aussi pour les générations suivantes. » La beauté du paysage participe du lien au lieu, au plaisir de travailler au quotidien, à garantir la pérennité des projets. ♦
Bonus
# Des réservoirs de biodiversité.
L‘Office Français de la Biodiversité indique que les haies et bocages ont pour principaux objectifs :
- La conservation de la biodiversité
- La protection des animaux d’élevage et des cultures
- L’augmentation des rendements agricoles
- Le stockage du carbone et la production de bois
- La stabilisation et l’enrichissement des sols
- La régulation des inondations et l’épuration des eaux
- La fonction de barrière physique contre les produits phytosanitaires
Ainsi, selon les régions, leurs rôles peuvent être différents. Par exemple, la protection contre le vent sur le littoral breton, alors qu’il y a un intérêt pour la production de bois dans l’Avesnois.
♦ Relire l’article : Il est urgent de reconstituer des haies dans les champs
# L’ambition forestière du WWF. La France continue de perdre des milliers de kilomètres de haies. 70% ont disparu depuis 1950 soit 1,4 million de km détruits. Principalement à cause du remembrement et de la mécanisation. Environ 20 000 km disparaissent toujours chaque année pour environ 5000 replantés. « En net, on perd à peu près 15 000 km de haies par an », alerte Pierre Prigent, responsable du programme Agriculture et Alimentation au WWF France. « Pourtant, jamais leur présence n’a été aussi cruciale. Face au dérèglement climatique, à la dégradation des sols et à l’érosion de la biodiversité, les haies apparaissent désormais comme un levier majeur d’adaptation, de résilience et de régénération des agroécosystèmes ».
Depuis 2020, le WWF a donc lancé un programme ambitieux de soutien à l’agroforesterie, notamment dans les Pays de la Loire. Financé grâce à la générosité des donateurs – plus de 115 000 euros récoltés en 2023 – le programme a ainsi permis la plantation de plus de 70 000 arbres sur près de 80 exploitations agricoles, essentiellement des élevages. De plus, à travers ses projets, l’ONG soutient aussi des dynamiques collectives : groupes d’agroforestiers, pépinières locales, formations sur la taille, échanges de semences adaptées. L’objectif est de planter 11 000 arbres en 2025.
⇒ Rapport du WWF Plaidoyer pour les prairies et l’élevage durable

# Lectures. Champs de Bataille – L’histoire enfouie du remembrement, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove. La Revue dessinée (éditions Delcourt) 23,75 euros.
