EnvironnementMobilité

Par Philippe Lesaffre, le 7 juillet 2025

Journaliste

Narvélos, des livraisons à vélo pas comme les autres

Un biporteur peut transporter jusqu'à 100 kilos ou 450 litres de marchandises © Narvelos

Il y a Uber Eats, Deliveroo… et puis Narvélos sur une partie de la Seine-Saint-Denis et à Paris. Lancée il y a trois ans, la coopérative de livraison à vélo-cargo a imaginé un modèle plus vertueux : les coursiers sont tous salariés et associés de la SCOP francilienne.

Damien Hoffmann a toujours aimé le vélo, et il voulait un travail qui faisait sens pour lui. Ingénieur logistique de formation, il a longtemps évolué dans le secteur des boissons sans alcool, de l’électroménager et de la parfumerie. « Au bout d’un moment, j’ai eu le sentiment de ne plus être à ma place, se remémore-t-il. J’agissais contre mes valeurs, on était sans cesse dans cette logique d’augmentation de la productivité. Et on produisait des biens pas toujours indispensables à la vie de la cité. » Il a ressenti comme une envie d’aller voir ailleurs. L’appel de l’alternative.

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Damien Hoffmann : « La forme coopérative m’a attiré tout de suite » © Narvélos

Et puis le déclic est arrivé. Damien s’en souvient bien. Un jour, un ami – tout autant fou de la pédale – lui parle de la fédération coopérative internationale de livraison à vélo CoopCycle, dont est membre sa SCOP des Coursiers bordelais. Intéressé, Damien consulte la liste des adhérents au niveau national et en déniche un sur ses terres de l’Est parisien : Narvélos, coopérative située à Bagnolet, à deux pas de Paris, en Seine-Saint-Denis. « J’en avais assez du management pyramidal des organisations classiques. La forme coopérative m’a attiré tout de suite. »

Des parts sinon rien

Damien y a vite trouvé sa place. Déjà, il a pu souffler : au sein de la structure, pas de place pour « les n+1, n+2 et n+3 ». La coopérative lancée il y a trois ans vise à créer une alternative au « modèle néfaste » des plateformes de livraison telles qu’Uber ou Deliveroo. À Narvélos, les coursiers payés à la tâche ne sont pas auto-entrepreneurs. Ils se font embaucher et obtiennent un véritable statut de salarié… mais pas seulement. Car l’organisation demande à ce que ses membres prennent au minimum deux parts de la coopérative six mois après leur embauche (soit 100 euros). « C’est même obligatoire pour pouvoir continuer l’aventure », détaille Damien.

Lui est ainsi devenu salarié associé en ce début d’année, ce qui lui donne le droit de participer avec ses collègues aux prises de décisions lors des assemblées générales. « L’égalité est au cœur de la démarche. » Et cela se ressent aussi au niveau des écarts de rémunération peu élevés au sein de la structure entre les gérants et les coopérateurs. Du côté des coursiers, chacun bénéficie d’un salaire horaire équivalent. Certains ont décidé de ne pas travailler à temps complet pour ralentir ou parce qu’ils ont une autre activité. « Mais s’ils veulent davantage de missions, on peut essayer d’y répondre favorablement. »

♦ Sur le site de Narvélos, une carte permet de comprendre les zones de livraison.

Tout le monde pédale

Adrien Thébault, l’un des cofondateurs, gérant et toujours coursier © Narvélos

Tout le monde s’y met, tout le monde pédale. Même les deux gérants mettent le pied à l’étrier en cas de forte demande. À bord de leurs huit vélos-cargos à assistance électrique – conçus par Toutenvelo et Ilicycles – les coursiers livrent en majorité des professionnels, que ce soit à Montreuil, à Bagnolet ou au sein d’autres communes, dont Paris (1). Ils peuvent transporter jusqu’à 100 kilos ou 450 litres de marchandises par biporteur (sans compter les remorques disponibles).

Cela peut être du pain, du café, des produits issus de la mer, des plats de traiteurs pour des événements, des paniers de courses pour quelques particuliers, du matériel audiovisuel à transférer d’un plateau de tournage à un autre. Des produits neufs comme usagés. Parfois, les coursiers apportent à un réparateur des équipements informatiques dont s’est séparé un bailleur social afin de leur offrir une seconde vie.

« Couteau suisse »

Pour autant, les coursiers ne passent pas leur semaine sur la route à pédaler. On leur propose différentes missions… ce qui leur permet de se reposer un peu. « Rouler 100% du temps de travail, c’est très physique », sourit Damien, rider, commercial et « couteau suisse » pour la coopérative.

À Narvélos, les coursiers évoluent en interne et montent en compétences, selon la formule appropriée. Typiquement, ils peuvent chacun leur tour enfiler une casquette de mécanicien en se chargeant de la « maintenance préventive ». Au bureau, situé à Bagnolet, les salariés vérifient le voilage des roues, nettoient les chaînes, resserrent les vis, s’assurent en somme que tout est ok pour les départs à venir. L’idée est d’éviter ou de limiter tout incident durant les tournées, et de prolonger au maximum la durée de vie des vélos-cargos, au coût assez élevé. « On est tous formés pour savoir réparer en cas d’imprévus sur la route. »

Et bientôt, une CAE ?

Certains se chargent en outre d’organiser les tournées des coursiers de la semaine : ce sont « les dispatcheurs » dont fait également partie Damien. Au bureau, il y en a toujours un qui se tient prêt à partir, en cas de livraison de dernière minute ou si l’un de ses collègues rencontre un problème pendant sa tournée et qu’il faut l’épauler. « Heureusement, il n’y a pas eu d’accident ayant entraîné des arrêts de travail. Cependant, on a déjà subi quelques accrochages avec des automobilistes. »

La coop compte huit vélos-cargos à assistance électrique – conçus par Toutenvelo et Ilicycles © Narvélos

En cas de pic de charge, Narvélos sait faire appel à des indépendants. Un système pas forcément optimal. Alors ses collègues et lui ont une idée derrière la tête. Ils ont déjà rejoint la fédération des coopératives d’activité et d’emploi (à laquelle est rattachée par exemple Coopaname). Pour l’instant, la coopérative n’a pas vraiment le statut de CAE, mais envisage de se transformer pour y parvenir dans quelques mois.

Cela lui offrirait l’opportunité de proposer un statut de salarié – donc plus protecteur – aux indépendants amenés à collaborer avec la SCOP et de bénéficier ainsi de soutiens en externe en cas de besoin. « Pour l’instant, on manque un peu de temps pour mettre en place cette CAE. » Toujours est-il que celle-ci pourrait voir le jour d’ici un an ou deux. ♦

 

Bonus

# Passerelles. Narvélos coopère avec l’autre coopérative parisienne de cyclologistique Cargonautes, basée dans le nord de la capitale. En fonction des zones de prestation, les deux acteurs (les seuls en région parisienne) n’hésitent pas à se « renvoyer des clients ».

# Ressources. La SCOP utilise en outre le logiciel Cyke de Cargonautes visant à gérer les commandes des clients, ainsi que sa Cabribox (la boîte à l’avant du vélo que commercialise la coopérative).